Un fonds souverain européen pour nos scale-ups

18.02.2022 - Éditorial

Pour la French Tech, 2021 a été l’année de tous les records. 11,6 milliards d’euros levés, soit 115% de plus qu’en 2020. Un accroissement considérable des levées de fonds de plus de 100 millions d’euros. Et même, dans un pays où le spectre de la désindustrialisation est omniprésent, une première licorne industrielle ! L’objectif fixé par les pouvoirs publics d’atteindre 25 licornes a été dépassé avec trois ans d’avance il y a quelques semaines, laissant ainsi présager une année 2022 placée sous les mêmes auspices. Mais quelle est donc la recette de ce « miracle français » ?

Les premiers ingrédients sont aisément identifiables et les fondamentaux qui permettent à un écosystème – qu’il soit technologique ou non d’ailleurs – de prospérer sont connus.

Une fiscalité attractive, tout d’abord, pour ne pas faire fuir nos cerveaux sous des cieux plus cléments. C’est ce qui fut particulièrement mis en place dès la première loi de finances du quinquennat d’Emmanuel Macron. Flat Tax, baisse de l’impôt sur les sociétés, transformation de l’ISF en IFI… autant de signaux pour dire à nos entrepreneurs qu’ils ne devaient pas avoir la réussite honteuse et qu’une Silicon Valley à la française était un horizon désormais réaliste.

Autre élément clef pour la réussite de nos licornes : la stabilité de l’environnement fiscal et légal dans un pays où le stop and go a longtemps été un sport national au gré des équilibres politiques, et parfois au sein d’une même majorité !

De même, les efforts engagés depuis de nombreuses années pour simplifier la vie des entrepreneurs et leur permettre de se consacrer pleinement à leur activité, pour raccourcir les délais – et le chemin est encore long ! – sont autant d’ingrédients indispensables à la réussite de nos entreprises.

Enfin, les politiques publiques mises en œuvre avec la création de Bpifrance et de la French Tech, dès les débuts du quinquennat de François Hollande, ont permis d’irriguer l’ensemble de l’écosystème et de le faire grandir à un rythme plus soutenu que chez beaucoup de nos voisins européens démontrant ainsi, si besoin était, que lorsque nos pouvoirs publics font fi des cycles électoraux, ils sont encore un puissant levier de création de valeur pour notre pays.

À ces éléments, il faut en ajouter un autre, moins tangible ou quantifiable celui-là, mais dont l’importance ne doit pas être minimisée : les role models que sont nos entrepreneurs et nos investisseurs à succès. Xavier Niel, Jacques-Antoine Grangeon, Marc Simoncini, Pierre Kosciusko-Morizet et beaucoup d’autres ont tant apporté. Ils ont disrupté des modèles établis dans une France souvent corsetée et ont fait sauter tous les plafonds de verre, inspirant des générations entières de jeunes entrepreneurs et renouant avec la promesse républicaine de mobilité sociale…sans obligatoirement passer par les grandes écoles ! Leur participation a été clef pour lancer des projets auxquels personne ne croyait, pour amorcer ou accélérer le développement de nos startups devenues licornes pour bon nombre d’entre elles comme Alan, Swile, ou encore BackMarket.

Et maintenant ? Le troupeau de licornes va continuer de grandir et c’est tant mieux. Mais ce n’est pas suffisant. Après le succès des startups, place à l’enjeu décisif du scale up. Ce n’est pas un anglicisme de plus au pays de Molière, mais l’une des conditions sine qua non de notre souveraineté de demain. Plusieurs voix se sont récemment élevées pour rappeler que, si l’attractivité retrouvée de la France auprès des investisseurs étrangers était évidemment une bonne nouvelle, elle avait toutefois comme conséquence que les capitaux investis dans nos licornes étaient souvent le fait de fonds étrangers, japonais pour Sorare ou américain pour Qonto par exemple. De fait, même si les fonds européens ont grandi et accru leurs capacités, à de rares exceptions près, ils ne peuvent lutter à armes égales face aux géants américains et asiatiques.

C’est la raison pour laquelle il est temps de proposer une réponse européenne à ce besoin de financement de nos champions technologiques. Ils seront nos Airbus et nos Ariane de 2030. C’est le sens de l’initiative Scale-Up Europe qui vise à accélérer l’émergence de champions technologiques européens. La Présidence française de l’Union européenne a permis d’en préciser l’un des premiers objectifs, à savoir faire émerger, d’ici 2023, 10 entreprises européennes valorisées plus de 100 milliards de dollars. Pour y parvenir, l’Europe doit se doter de moyens sans précédent. Une première étape a été franchie avec l’annonce par Bruno Le Maire de la création d’un fonds de fonds rattaché au Fonds Européen d’Investissement et doté de 3,5 milliards d’euros (1 milliard pour la France et l’Allemagne ; 0,5 milliard pour Bpifrance, la BEI et la banque nationale danoise).

C’est une bonne nouvelle qui permettra de faire émerger de nouveaux acteurs du financement, mais cela reste encore très insuffisant. 35 licornes européennes, dans un appel de mars 2021, avaient fixé un objectif de 100 milliards d’euros pour la création d’un European Sovereign Tech Fund. Seules, les banques publiques d’investissement ne pourront y parvenir. Voilà un rendez-vous à ne pas manquer pour tous les acteurs de l’investissement privé européen.

Benjamin Griveaux
Diplômé de Sciences Po Paris et d’HEC, Benjamin GRIVEAUX débute sa carrière politique en tant que militant du Parti socialiste. Il a été le collaborateur de Dominique Strauss-Kahn (2003 à 2007) et membre du cabinet de Marisol Touraine, ministre de la Santé (2012 à 2014). Il a également exercé différents mandats locaux en Saône-et-Loire de 2008 à 2015 et a ensuite rejoint le secteur privé en tant que directeur de la communication et des affaires publiques d'Unibail-Rodamco (2014-2016). Proche d'Emmanuel Macron, il a participé à la fondation d’En Marche et devient porte-parole du mouvement. Lors des législatives de 2017, il est élu député de la cinquième circonscription de Paris. En même temps, il est nommé secrétaire d'État auprès du ministre de l'Économie et des Finances. De novembre 2017 à 2019, il exerce la fonction de porte-parole du gouvernement, rattaché au Premier ministre. En 2021, il annonce mettre un terme à sa carrière politique pour créer un cabinet de conseil en stratégie dédié aux dirigeants d'entreprises. Depuis la rentrée, il co-anime, avec Florence Duprat, une émission économique mensuelle sur la chaîne BSmart.