La rupture des relations diplomatiques entre le Maroc et l’Algérie

09.09.2021 - Éditorial

La rupture des relations diplomatiques entre le Maroc et l’Algérie, à l’initiative de cette dernière, vient ponctuer une période de paix froide de plus de vingt ans, qui s’est peu à peu transformée en une crise latente allant crescendo ces six derniers mois, après la reconnaissance par les Etats-Unis de la souveraineté marocaine sur le Sahara.

Les relations maroco-algériennes sont passées ces soixante dernières années, depuis l’indépendance de l’Algérie, par des phases de détente et de tension, marquées par deux conflits armés : l’un, appelé « la guerre des Sables » a opposé les deux pays de septembre 1963 à février 1964 sur fond de désaccord territorial post-colonisation ; le second, mineur, qui n’a duré que quelques jours, s’est déroulé en 1976 à Amgala, un village situé au sud de Smara et a opposé le Maroc au Polisario et à un détachement de l’armée algérienne. D’un point de vue général, le Maroc a non seulement fait preuve d’une retenue à toute épreuve vis-à-vis de son voisin, mais a également oeuvré pour établir des relations cordiales avec lui, malgré le soutien constant et indéfectible de ce dernier au Polisario, au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, tout en ignorant la proposition d’autonomie promue par le Maroc à l’ONU depuis 2007. On notera néanmoins une autre période de tension, en 1994, après les attentats de Marrakech, derrière lesquels le ministre marocain de l’Intérieur de l’époque voyait se profiler les services secrets algériens. S’est ensuivie la fermeture des frontières terrestres à l’initiative de l’Algérie. Elles le sont toujours. Une paix froide s’est alors installée entre les deux pays.

Alors que s’est-il passé plus récemment pour qu’on en arrive là ?

Tout au long de ces vingt dernières années, le Maroc a consolidé son leadership sur le continent africain aussi bien sur le plan politique qu’économique ; politiquement, le Maroc engrange les bénéfices d’une politique volontariste et soutenue vis-à-vis des pays africains ; il a élargi ses partenariats bien au-delà de l’Europe, avec la Chine notamment, mais également avec l’Inde et la Russie ; économiquement, que ce soit en termes d’exportation ou d’IDE (Investissements Directs Etrangers), il devance notablement ses deux voisins du Maghreb, l’Algérie et la Tunisie. Dans le même temps, l’Algérie soldait la décennie de guerre civile puis les années Bouteflika et la Tunisie s’enfonçait dans une crise dont elle ne voyait pas la fin, tout au moins jusqu’au « coup d’Etat institutionnel » du Président, soutenu par une large majorité des Tunisiens. La reconnaissance par la présidence Trump de la souveraineté marocaine sur le Sahara a été la divine surprise venue renforcer encore plus, s’il le fallait, la position et la posture marocaines ; si on y ajoute la reprise des relations officielles avec Israël, en fait elles ne se sont jamais interrompues, tous les ingrédients sont réunis pour faire du Maroc un acteur incontournable et sûr de lui, aussi bien sur le continent que dans l’Europe post-Brexit, où le Royaume-Uni, mais également le groupe de Visegrad, deviendraient des partenaires clés, en lieu et place des partenaires traditionnels, France et Espagne notamment.

C’est en tout cas la lecture des autorités et de la classe politique marocaines. Le dernier discours royal, à l’occasion du 68e anniversaire de la Révolution du Roi et du Peuple, ne laisse planer aucun doute à cet égard. Lors de ces six derniers mois, le Maroc a littéralement engagé le fer contre l’Allemagne et l’Espagne, certes pour des raisons différentes, mais au bout du compte encore et toujours liées à la question de l’intégrité territoriale du Royaume. Quant à la France, elle a fait en sorte que l’affaire Pegasus ne vienne pas entamer la relation. S’agissant de l’Algérie, la dernière crispation est intervenue à l’occasion d’une intervention du représentant permanent du Royaume à l’ONU, s’étonnant du refus de l’Algérie d’accorder au peuple kabyle le droit à l’autodétermination. Vu de l’Algérie, la ligne rouge était franchie, justifiant ainsi la rupture des relations diplomatiques. On fera observer que sur le plan de la légalité internationale, le Sahara occidental est un territoire disputé selon le vocabulaire onusien, ce que n’est pas la Kabylie ; aussi, le diplomate marocain, qui n’ignore pas ce fait, a volontairement créé une situation dont il pouvait se douter qu’elle aurait des conséquences. Mais on note également que cet épisode n’a pas fait l’objet de grands titres dans la presse nationale, mais aussi, et il ne faut pas le négliger, qu’aucun officiel de haut rang, ministre ou autre, n’a repris la position exprimée par le diplomate. Mieux encore, le chef du Gouvernement a déclaré dans une interview au journal en ligne Hespress que « cette position n’est pas celle de la politique de l’Etat marocain » ; il n’est pas coutume que le chef du Gouvernement s’exprime sur les sujets de politique extérieure surtout en période de crise aigüe. On peut supposer une volonté du Maroc de « calmer le jeu » sans se déjuger ; les rumeurs de médiation saoudienne et émiratie procèdent de la même volonté.

Et maintenant ?

Dans la mesure où les relations sont quasi inexistantes, cette rupture des relations diplomatiques sera sans conséquence sérieuse sauf sur le plan de l’approvisionnement en gaz du Maroc. En effet, le Maroc reçoit son approvisionnement en gaz depuis l’Algérie via deux sources : • Sous la forme d’une redevance de 7 % (droit de passage) sur les volumes transitant par le Gazoduc Maroc Espagne (GME) dont une partie est perçue en nature (en gaz) ; il s’agit de gaz acheté par Naturgy à la Sonatrach pour les besoins de l’Espagne et par Galp pour les besoins du Portugal ; • Sous la forme d’un contrat direct de 10 ans datant de 2011 entre l’ONEE (Office National de l’Eau et de l’Electricité) et la Sonatrach et qui vient à échéance le 31 octobre 2021. Ce gaz sert principalement à alimenter les deux centrales à cycle combiné de Tahaddart et Beni Mathar. Le risque est que, si aucune solution alternative n’est trouvée, les deux centrales ne soient plus alimentées.

Quelles alternatives ?

A court terme (quelques mois), il y en a au moins quatre : • Puiser dans la marge disponible (surcapacité installée) et mise en place sur la dernière décennie par le Maroc, qui reste positive malgré l’arrêt possible des deux centrales à cycle combiné de Tahaddart et Beni Mathar ; • Utiliser l’interconnexion électrique entre l’Espagne et le Maroc pour importer de l’électricité depuis l’Espagne ; • En cas de besoin ; https://www.ree.es/sites/default/files/ downloadable/telecharger.pdf • Mettre en oeuvre la réversibilité (sens Espagne Maroc) du GME de manière à pouvoir faire venir du gaz d’Espagne ; • Négocier un nouvel accord d’achat de gaz entre l’ONEE et la Sonatrach au-delà du 31 octobre 2021. Pourquoi pas à travers une médiation espagnole, compte tenu des bonnes relations de l’Espagne avec les deux parties ? A moyen terme, la construction d’une bretelle entre le gisement gazier de Tendrara (marocain) et le GME permettrait l’approvisionnement des deux centrales. A plus long terme, le projet de gazoduc Maroc-Nigeria.

Pour conclure

 Le Maroc a sans conteste fortifié sa position dans le concert des nations et a montré qu’il fallait désormais compter avec lui, qui que l’on soit, grands pays européens compris. C’est le résultat d’une politique constante, inspirée par le plus haut niveau de l’exécutif. Cela étant posé, nul doute que le Royaume est conscient du poids de l’histoire et de la géographie. Il serait sans doute utile, même si elle l’a déjà fait, que la diplomatie marocaine continue de faire valoir ses arguments bien sûr, explique encore et toujours ses positions et surtout explicite de manière plus approfondie ses projets ; l’autonomie oui, mais quelle autonomie ? On est évidemment loin de la proposition de 1983 faite au président Chadli Benjedid par Feu Sa Majesté Hassan II : « Laissez-moi le timbre et le drapeau, le reste est négociable » ; mais quel contenu exactement le Maroc est-il prêt à mettre dans cette autonomie ? On fera remarquer également que depuis des mois maintenant, là encore pour des raisons diverses, le Royaume n’a pas d’ambassadeur « à plein temps » en France, et plus du tout en Espagne, en Allemagne et à Bruxelles, auprès de l’Union européenne. Ne faut-il pas réactiver une grande campagne de plaidoyer ?

Sami Baghdadi
Sami Baghdadi est Directeur Général Délégué d’ESL Agence Publics Maroc. Ingénieur de formation (Ecole Nationale de l’Aviation Civile) et diplômé d’une licence en Sciences Economiques, Sami BAGHDADI a exercé au cours de sa carrière dans des entreprises de hautes technologies comme Texas Instruments, ST Micro, Nokia, Gemplus et Certplus. Il a également une expérience dans le conseil en management chez KPMG Peat Marwick, un des leaders mondiaux du conseil aux entreprises. En tant que dirigeant de Certplus, Il a participé activement à la réalisation de grands projets fondateurs de l’administration électronique en France. En 30 ans de carrière, dont 20 à des postes de direction générale, il a exercé ses responsabilités dans nombre de domaines opérationnels, notamment en marketing et communication.