Cocorico dissonant pour la French Tech

17.09.2021 - Éditorial

Cocorico de rigueur pour la French Tech avec un premier semestre 2021 de tous les records. 5,14 milliards d’euros de fonds levés selon le baromètre EY du capital-risque, soit presque autant que les 5,39 milliards d’euros de l’ensemble de l’année 2020, avec la perspective d’un atterrissage à 10 milliards d’euros pour l’année 2021, quatre fois plus que les 2,57 milliards d’euros levés quatre ans plus tôt en 2017.

Cocorico certes, mais cocorico dissonant dès lors que l’on élargit la focale aux autres pays européens et en premier lieu à l’Allemagne. Lors de la publication des résultats 2020, d’aucuns s’étaient félicités que la France passe devant l’Allemagne et que la France « soit désormais le pays leader de la tech en Europe ». Horresco referens, sur le premier semestre 2021, la Deutsche Tech fait mieux, et même beaucoup mieux que la French Tech, +298 % contre +90 %, et la distance de plus de 2,5 milliards d’euros. Le Royaume-Uni, bien que ne faisant plus partie de l’Europe, n’est pas en reste. 16,44 milliards d’euros, plus de trois fois la France avec un taux de croissance de +243 %. Si l’on élargit encore la focale, la dissonance ne fait que s’accentuer. Sur un total de 250 milliards d’euros de fonds levés, les Etats-Unis en représentent plus de la moitié, 139 milliards d’euros contre 50 milliards d’euros pour l’Europe, soit un poids relatif pour la French Tech de 2 % du total mondial et de 10 % du total européen. Clairement, malgré les progrès plus que notables enregistrés, la French Tech, si l’on veut voir le verre à moitié vide, accuse encore un retard important, si l’on veut voir le verre à moitié plein, dispose de marges de progression encore considérables.

Des marges de progression considérables, car, contrairement à ce que l’on pourrait légitimement redouter, la progression fulgurante des levées de fonds « Tech » ne résulte probablement pas de la formation d’une bulle spéculative mais de l’émergence accélérée d’une classe d’actifs. S’il est vrai que la masse monétaire en circulation au sein de l’OCDE a augmenté de plus de 80 % pendant la crise sanitaire, alors que l’activité, elle, régressait, favorisant ainsi la revalorisation de tous les actifs, y compris le « Tech », si des corrections sévères sont possibles, et mêmes à craindre, il demeure cependant que la crise sanitaire et les confinements ont changé le regard porté sur la santé et le numérique, tandis que la confirmation du réchauffement climatique et des menaces sur la biodiversité ont changé le regard porté sur l’évolution indispensable de nombreuses technologies. Des marges de progression considérables, car si la France accuse un retard, sa dynamique d’innovation est forte et son tissu de startups parmi les plus denses. 416 startups françaises ont levé des fonds au premier semestre 2021, soit moitié moins qu’au Royaume-Uni (861) mais nettement plus qu’en Allemagne (313). La faiblesse française se porte essentiellement sur le segment « growth », ou la French Tech fait moitié moins que l’Allemagne alors qu’elle fait presque jeu égal sur le segment « Venture ».

Le retard est encore plus flagrant sur les levées de fonds de plus de 100 millions d’euros. 9 en France, 16 en Allemagne, 34 au Royaume-Uni. Aucune startup française ne figure dans le top 10 européen. Des marges de progression considérables, car, pour l’instant, contrairement à l’Allemagne, la French Tech est un phénomène essentiellement parisien et aucune région n’émerge. A elle seule, l’Ile-de-France représente 81 % des fonds levés et il demeure en région un potentiel encore inexploité. Des marges de progression considérables, car logiquement les startups françaises d’aujourd’hui feront les licornes de demain. La French Tech ne doit pas désespérer d’un retard qui a vocation à se combler au moins avec l’Allemagne, pour autant qu’elles demeurent françaises.

De fait, une partie des fonds levés sous pavillon américain ou britannique ne résulte pas d’une création mais d’une captation de valeur, soit par le jeu d’un rachat par un opérateur étranger, soit par le jeu d’une cotation sur un marché de type NASDAQ. Il ne suffit pas de créer des startups, il faut aussi savoir les conserver et les valoriser. Pendant le semestre, deux levées de fonds importantes réalisées par des pépites anciennement françaises, Dataiku et Aircall, ont été comptabilisées en dollars et non en euros, aux Etats-Unis et non en France. Pendant quelques mois, probablement grâce à une gestion financière de la crise sanitaire plus favorable, le coq français de la tech s’est vu plus beau qu’il n’était. Peut-être n’est ce que partie remise.

La French Tech accuse encore un retard important et son potentiel est sous-estimé. Il est paradoxal et regrettable que dans la campagne présidentielle à venir, et contrairement à celle de 2017, le thème des startups et de la tech soit considéré comme un thème négatif, un repoussoir, et non plus comme un levier de développement. La tech française doit aussi s’assumer. Ce n’est pas encore tout à fait le cas et là aussi des progrès restent à faire

Dominique Leblanc
Dominique LEBLANC est associé senior chez ESL & Network France. Après avoir été au Ministère de l’Industrie (1979-1984) et au Ministère de l’Economie et des Finances (1984-1988), il intègre la Société des Bourses Françaises, aujourd’hui NYSEEuronext. Il y occupe successivement plusieurs fonctions de direction, jusqu’à en devenir le directeur général délégué. En 2001, il devient directeur général délégué de Viel et Cie, et en 2003, directeur général délégué de FinInfo SA. En mai 2008, il crée la société Information & Finance Agency S.A.S, société de conseil, spécialisée dans les questions de finance de marché et d’évaluation d’entreprises dont il est le président-directeur général. Dominique LEBLANC est président de Wansquare et de La Lettre de l’Expansion.