Un an de pandémie…que penser de la France ?

11.03.2021 - Éditorial

Il y a un an, jour pour jour, l’Organisation mondiale de la santé qualifiait la Covid-19 de pandémie. Il n’est pas inintéressant de se poser la question, un an plus tard, de savoir comment notre pays s’est comporté durant cette année écoulée et quelles sont les perspectives qui s’offrent à lui. La crise est d’abord une crise sanitaire. Et sur le plan de la santé, notre pays ne s’est pas illustré par des résultats extraordinaires.

Souvenons-nous des premières semaines où, face aux événements tragiques qui secouaient l’Italie du Nord, les spécialistes de notre système de santé expliquaient doctement que cela ne se passerait pas pareil, que notre système de santé était bien meilleur que celui de l’Italie et que nous contrôlerions la situation. Un an après, notre système de santé a clairement montré qu’il n’était pas prêt pour affronter une telle pandémie. Sans crainte d’être démenti, convenons que notre performance n’aura pas été meilleure sur tous les indicateurs (nombre de morts par millions d’habitants, gestion des tests, gestion des vaccins, ….) que nos principaux voisins. Plus encore, nous sommes frappés par l’absence de médecine préventive dans notre système de soins. Le renforcement des défenses immunitaires de nos concitoyens est une question quasi absente du débat de santé publique.

La question des soins des malades de la Covid- 19 aura été tout aussi surprenante : restez chez vous et prenez du Doliprane, «on ne sait pas soigner » aura été la réponse la plus courante des autorités de santé jusqu’à aujourd’hui, les rares médecins tentant de soigner leurs patients ayant été traité de dangereux charlatans. Finalement la seule réponse de santé publique face à la pandémie (je vous renvoie à toutes les déclarations des autorités sanitaires françaises) aura été de dire aux Français « respectez les gestes barrières » et aux politiques « confinez le plus possible la population pour nous permettre d’éviter la thrombose de notre système hospitalier ». Un peu court, me semble-t-il pour un système de santé réputé être l’un des plus développés et des meilleurs du monde.

A ce jugement sévère, il faut en plus ajouter une mauvaise gestion par notre système de santé de la question des masques jugés d’abord inutiles puis essentiels, des tests, et plus récemment de la campagne de vaccination faute de vaccins. Pour finir, voir un critère comme celui du taux d’occupation des lits de réanimation en France s’imposer comme le seul élément devant rythmer la vie de la nation toute entière sur le champ politique, économique, culturel, éducatif, sociétal, a de quoi étonner. Si j’ajoute notre incapacité nationale à participer à la course scientifique et industrielle à la production d’un vaccin anti Covid, s’achève ainsi un tableau assez noir de la situation qui évidemment ne diminue en rien le dévouement des soignants, la volonté de défendre, coûte que coûte, la vie des plus fragiles, la mobilisation jusqu’à l’épuisement des personnels hospitaliers. Mais face aux résultats très moyens, aux hésitations, à la suffisance et la morgue affichée par certains scientifiques sur les plateaux de télévision, comment s’étonner des doutes des Français, de la contestation générale de la parole scientifique, d’une perte de confiance dans notre système de santé ? Sur le champ politique, les autorités gouvernementales ont, durant de longs mois, laissé la main au pouvoir scientifique. Le conseil scientifique, les patrons des services hospitaliers des principaux hôpitaux (notamment parisiens), les épidémiologistes ont conseillé, suggéré, imposé leur vue.

Il faut reconnaître au Président de la République et à son gouvernement d’avoir cependant mis en place très vite un amortisseur économique et social de grande ampleur qui a protégé l’économie française le plus possible et les salariés peut être encore plus, à la fois par le soutien à des dispositifs de nouvelle organisation du travail , les mécanismes de chômage partiel et de compensation pour des professions obligées de mettre la clé sous la porte sur longue période comme les restaurateurs, et des systèmes d’aides aux entreprises. Le « quoiqu’il en coûte » mis en oeuvre dans notre pays a été d’une ampleur exceptionnelle et singulière dans le monde.

Il est à mettre au crédit du Président Macron et aura permis d’éviter bien des drames. La montée de la pauvreté depuis un an dans nos villes, le désarroi et la misère des jeunes, notamment des étudiants, montrent néanmoins qu’il y a des trous dans la raquette de notre système social sur lequel il faudra se pencher. La crise sanitaire montre que l’on peut encore avoir faim en France en dépit de notre niveau élevé de protection sociale. Le mois de janvier 2021 aura marqué un tournant majeur dans la gestion politique de la crise sanitaire. Le Président Macron, pour la première fois depuis le début de la pandémie, décide de reprendre le pouvoir aux scientifiques et de ne plus suivre aveuglément leurs recommandations. Son refus, face aux pressions multiples, de reconfiner une troisième fois le pays marque le retour du politique. Décision est prise de privilégier le vivant, la croissance, l’éducation, le travail, la santé mentale, le commerce.

Le Président Macron parie sur la sortie de crise, pari fragile car sous condition d’une vaccination dont on ne maîtrise ni le rythme de production des vaccins, ni le rythme des injections et sous surveillance des scientifiques dépossédés de leur pouvoir et avides de revanche. Si deux tiers des français jugent sévèrement la gestion politique de cette année de crise, le bilan apparaît pour ma part beaucoup plus nuancé. La décision de maintenir à flot le pays est à mettre au crédit de l’exécutif. A la faute réelle d’avoir laissé trop longtemps le pouvoir aux scientifiques, s’y ajoute, à mon sens une seconde : le sort réservé au secteur culturel. Avoir pendant des mois estimé que la culture n’était pas essentielle, maintenir trop longtemps les librairies fermées, et aujourd’hui voir des espaces culturels désespérément vides, a été et reste une faute politique. Au même titre que l’éducation, la culture aurait dû faire partie, me semble-t-il, du « quoiqu’il en coûte ». Sur les terrains des entreprises et de l’économie, l’Etat aura joué son rôle, à la fois, on l’a dit, par des mécanismes de solidarité puissants mais plus encore par sa volonté de soutenir l’activité économique. Le plan de relance de 100 milliards d’euros, la mobilisation des institutions européennes, la volonté d’investir au service d’une économie plus verte, de la compétitivité de nos entreprises et de la cohésion de la nation sont autant d’éléments d’une stratégie cohérente et volontariste qui mérite d’être suivie d’effets.

Vaste programme aurait dit le Général de Gaulle. Mais l’optimisme, pour autant que le politique ne soit pas rattrapé par le sanitaire, est de mise. Après une chute historique de 8,1% de l’activité en 2020, les prévisions de l’OCDE prévoient 6% de croissance en France en 2021 soit mieux que les trois quarts des pays du G20. Seuls l’Inde (+12,6%), la Chine (+7,8%) et les USA (+6,5%) devraient surpasser la performance de notre économie. Le PIB français progresserait ainsi deux fois plus vite que celui de l’Allemagne. Si la France peut envisager d’atteindre de tels objectifs, c’est parce qu’elle a évité jusqu’ici un reconfinement national. Nous comprenons que le Président Macron, appuyé par les milieux économiques, veuille tenir bon et réussir son pari. Au-delà de la croissance, le gouvernement, les entreprises et les salariés auront durant cette année tâtonné pour permettre à la vie économique de se poursuivre.

Des changements majeurs sont intervenus dans l’organisation du travail avec le double objectif de protéger les salariés de la maladie et de permettre la poursuite de l’activité. Cela ne s’est pas fait sans mal et sans heurt comme le montre l’exemple de la Poste, en difficulté au début de la pandémie pour maintenir le service public postal. Mais au total, la résilience des entreprises aura été une vraie surprise. La montée en puissance du télétravail, partout où il était possible, aura été un phénomène majeur qui transforme la vie des entreprises. Il n’y aura pas de retour en arrière même si le défi est complexe à relever pour maintenir lien social, créativité et transversalité dans l’entreprise. Une année de pandémie s’achève mais la pandémie n’est pas encore terminée. Vivre avec le virus sera notre quotidien pour les prochains mois.

La France n’est pas exemplaire comme beaucoup d’autres pays en Europe sur sa campagne de vaccination et l’horizon bleu d’une sortie de crise reste donc incertain. Cette première année de pandémie aura révélé la grande résilience de notre pays mais aussi d’immenses faiblesses dans l’anticipation, la prévention, la gestion de crise, les questions logistiques, la faiblesse de nos hôpitaux, la faiblesse du soutien à la recherche, la perte de souveraineté stratégique dans des secteurs essentiels.

Toutes ces faiblesses sont autant de défis à relever et c’est au politique qu’il revient de le faire. Gérer et sortir d’une crise, on l’a souvent vu par le passé, mais la crise de la Covid-19 nous le rappelle, nécessite une direction politique forte, qui n’abandonne à personne ses prérogatives, qui écoute tout le monde mais qui trace ensuite sa voie au nom de l’intérêt général et non d’intérêts particuliers. C’est sans doute plus facile à dire qu’à faire et cela nécessite des hommes et des femmes politiques clairvoyants et courageux. Ce sera l’enjeu de l’élection présidentielle de 2022.

Alexandre Medvedowsky
Alexandre Medvedowsky est un ancien élève de l’Ecole Nationale d’Administration (promotion Denis Diderot, 1984-1986). Magistrat au Conseil d’Etat à partir de 1986, il siège au cabinet de Laurent Fabius alors président de l’Assemblée Nationale de 1990 à 1992. De 1998 à 2001, il est professeur associé à l’Université d’Aix-Marseille III et enseigne à l’IEP de Paris jusqu’en 2006. Il a été conseiller des Bouches-du-Rhône de 1998 à mars 2015. Nommé conseiller d’Etat en juillet 2001, il rejoint ESL & Network Holding la même année et intègre le Directoire d’ESL & Network Holding, dont il est nommé président le 1er janvier 2013. Il a été élu président du SYNFIE, le syndicat français de l’intelligence économique en mai 2014.