Souveraineté économique et crise qui vient

28.01.2021 - Éditorial

Au mois de novembre 2020, le FMI disait qu’en France « La réduction du déficit ne doit pas être une source de préoccupation tant que la crise persiste ». Dans son rapport de janvier 2021 sur l’économie française, il prévoit pour 2021 une croissance de 5,5% du PIB de notre pays, après une contraction de 9% environ en 2020. Il insiste désormais sur le déficit budgétaire du secteur public qui selon lui s’élève à 7,7% du PIB cette même année.

Et son chef de mission en France déclare : «La dette en France est élevée et nous pensons que le moment est venu d’élaborer et d’approuver un plan d’assainissement budgétaire crédible à moyen terme». C’est le début du retournement attendu et de la reprise en mains. La crise non seulement n’est pas terminée mais va vraiment commencer. On sent bien que les injonctions internationales et certainement européennes vont se multiplier et se faire de plus en plus pressantes sur la France. Dans ces conditions, la sécurité économique de notre pays et son autonomie stratégique, ou souveraineté économique, vont être mises à rude épreuve.

L’affaiblissement des entreprises, qui ne seront plus soutenues par les prêts et reports de paiement, comme celui de l’Etat, qui devra trouver des ressources par tout moyen, va attirer des investisseurs nationaux, européens et internationaux sérieux mais aussi beaucoup de prédateurs. Concernant les investissements étrangers, il est plus que jamais indispensable de disposer, à côté des décrets existants, d’une doctrine d’emploi simple, cohérente, régulièrement mise à jour, pas nécessairement publiée, mais néanmoins robuste, définissant quelques critères de l’intérêt stratégique d’une entreprise ou d’une activité publique ou parapublique à laquelle l’Etat doit porter une attention particulière : par exemple, monopole ou quasi sur une approvisionnement vital, qualité de seul dernier producteur ou fournisseur d’un bien ou service essentiel, avance ou savoir -faire uniques industriels et/ou technologiques avérés… Il existe déjà des opérateurs d’importance vitale mais ces critères doivent pouvoir s’appliquer à d’autres entreprises et activités de toute taille qui les remplissent. Dans ce cadre, deux attitudes sont tout aussi regrettables : celle d’abord qui caricature et raille le concept de souveraineté, comme le fait entre autres le dernier rapport de la Fondapol, qu’on a connue mieux inspirée, entre « mythe du potager » et « tentation de l’autarcie », tout en proposant sur le fond quelques critères pas très éloignés de ceux exposés ci-dessus, comme si le mot leur brûlait la plume. Cette analyse conduit aussi les auteurs à ne pas se soucier du déficit commercial, tant que les flux financiers sont suffisants. Bref la fin de toute politique industrielle, l’industrie n’étant plus indispensable. Cela nous rappelle des souvenirs peu glorieux. L’autre attitude, à l’inverse, est de refuser un investissement étranger sans critères clairement identités, ce qui peut laisser penser au fait du prince et décrédibiliser notre pays nationalement et internationalement. En ce sens, la posture prise par le gouvernement sur Carrefour est étrange. A côté de la doctrine, il faut mettre en place dans les régions une collaboration entre Etat et collectivités territoriales, un système solide et pérenne de remontée rapide d’informations sur la santé économique des entreprises locales.

Il y a en effet fort à parier qu’en même temps que l’argent magique va disparaître, les failles existantes amplifiées par le covid vont obliger les entreprises à se tourner vers ceux qui n’attendent que cela, notamment des fonds parfois plus intéressés par leurs actifs que par le développement de leurs activités. Les fonds stratégiques publics qui ont été créés par Bercy et par le ministère de la Défense, la BPI, les banques des territoires doivent impérativement être mis à contribution pour soutenir capitalistiquement temporairement des entreprises saines dans la phase potentiellement désastreuse de trois à quatre ans qui s’annonce. Il ne s‘agit pas que de haute technologie mais d’entreprises, d’emplois et de savoir-faire qui pourraient disparaître. Il nous faut pousser Bruxelles à faire sortir des limbes les fonds de souveraineté européens, organismes de placement collectif répondant aux normes européennes investissant dans des entreprises de croissance. Et sûrement d’autres outils. Il sera aussi nécessaire que le gouvernement s’applique ces critères de souveraineté à lui-même et ne cède pas à la tentation (peut-être à la pression extérieure ?) de privatiser ses infrastructures rentables. Il faudrait au contraire que les décideurs publics profitent de la période pour geler les grands meccanos incertains (de type projet Hercule pour EDF) et se reconcentrent sur une protection absolue et un développement des infrastructures qui sont l’avenir du pays.

Les décideurs publics ne doivent pas se laisser impressionner par les accusations de protectionnisme et de « repli dangereux », habituels et pauvres arguments de ceux qui ne semblent pas voir, par exemple, que le Président Biden à peine arrivé renforce le Buy American Act. Il est temps d’ailleurs que les marchés publics soient utilisés en partie comme soutien à l’activité des entreprises comme aussi en Allemagne ou aux Pays-Bas. Le lien allant de la recherche fondamentale à l’industrie doit être repensé. Tout cela peut et doit se faire dans le cadre d’un fonctionnement équilibré des marchés. Il est temps, enfin, que dans la même période l’administration se refonde en distinguant ses missions, essentielles et non essentielles, et en repensant l’organisation de leur prise en charge, en utilisant ses capacités internes qui sont grandes et en maîtrisant plusieurs de ses addictions, du mouvement perpétuel de création de structures au recours à des prestataires extérieurs, en passant par la pensée magique du « on l’a dit donc on l’a fait ».

Si la période très dure qui va arriver sert au moins à recentrer l’Etat sur ses priorités, à les protéger, à nous rendre le plus vite possible collectivement plus forts pour affronter les défis où nous pouvons réussir, elle ne sera pas totalement perdue pour le pays. Seul a été traité ci-dessus le terrain économique, la même approche doit être mise en oeuvre sur les autres, en particulier pour la protection et la restauration des libertés.

Claude Revel
Claude Revel est depuis le 4 décembre 2019 présidente fondatrice de la société INFORMATION & STRATEGIES, spécialisée dans l’information stratégique nationale et internationale, l’influence professionnelle et éthique, les enjeux numériques et depuis le 2 janvier 2020 présidente du GIE France Sport Expertise et conseillère stratégique et influence du groupe SKEMA. Claude REVEL a été Déléguée interministérielle à l’intelligence économique auprès du Premier ministre entre mai 2013 et juin 2015, puis Conseillère maître en service extraordinaire à la Cour des comptes entre juin 2015 et novembre 2019. Claude REVEL a une longue expérience au service de l’Etat (ministères de l’Equipement, du Commerce extérieur et des Affaires étrangères, de 1980 à 1989), mais surtout dans la promotion des acteurs économiques français et internationaux à l’international. C’est dans ce domaine qu’elle fut un des pionniers français de l’intelligence économique et de l’influence professionnelle. Elle a également publié de nombreux articles et ouvrages, notamment en 2012, «La France, un pays sous influences ?», aux éditions Vuibert.