L’évolution de la société saoudienne

09.12.2022 - Éditorial / Interviews

Quelle est aujourd’hui, selon vous, l’image que renvoie l’Arabie Saoudite dans les pays occidentaux ?

L’Arabie Saoudite est un pays de stéréotypes pour beaucoup de personnes. C’est un pays dont on parle constamment depuis 2016 avec la mise en œuvre de notre Vision 2030. Le problème principal pour l’Arabie Saoudite est le fait que les gens la voient et la jugent selon leurs propres critères, souvent sous un prisme occidental. Cela est injuste et conduit à des erreurs de jugement basées sur la méconnaissance. On ne tient pas compte ni de son histoire, ni de sa culture, ni de ses traditions. On ne regarde pas son passé, ses développements ou ses progrès. L’Arabie Saoudite doit être vue, découverte et vécue pour être comprise. Nous les Saoudiens, nous sommes en partie coupables car nous ne savons pas comment nous promouvoir. Ouvrir largement les portes du pays aidera à remédier à cela et des mesures ont déjà été prises pour faciliter l’entrée des visiteurs. Le tourisme a énormément augmenté ces dernières années et le Royaume a vraiment beaucoup à offrir (diversité des paysages, lieux historiques, mer Rouge, etc). Les principales villes sont immenses et disposent de tous les services imaginables. Des mégaprojets sont en cours pour mettre en valeur la beauté et l’histoire du pays, et partout, notre sens de la responsabilité envers l’environnement est pris en compte.

 

L’Arabie Saoudite s’est développée en un temps record. Pouvez-vous revenir sur l’histoire fulgurante du pays et sur cette dichotomie entre tradition et modernité si caractéristique du pays et de sa société ?  

Bien sûr. 1932 a vu l’unification du pays et l’établissement de l’Arabie Saoudite moderne. De 1932 à 2022, la transformation qui y a eu lieu ne peut être décrite que comme étant extraordinaire, et d’autres changements sont encore à venir. L’Arabie Saoudite a joué un rôle important dans le commerce très tôt parce qu’elle abritait les routes caravanières de l’époque et était le carrefour de différents continents. De plus, l’Arabie Saoudite est également le lieu de naissance de l’Islam. Néanmoins, avant la découverte du pétrole, le pays était très pauvre. Les gens quittaient le pays pour faire fortune ailleurs. La société saoudienne était nomade, composée de tribus qui se déplaçaient d’une partie du désert à l’autre, vivant dans des tentes ou des maisons en terre. Certaines personnes ont quitté le pays pour l’Égypte, la Syrie ou l’Irak — des pays qui avaient déjà une grande civilisation à leur nom — et ont fait du commerce leur gagne-pain. Certains sont revenus après avoir fait fortune et leurs enfants et petits-enfants font partie des familles les plus importantes du Royaume.

En 1933, un accord de concession a été signé entre l’Arabie Saoudite et la Standard Oil Company de Californie. Le 29 août de la même année, Saudi-Aramco a été fondée. Mais ce n’est qu’en mars 1938 que le pétrole a été découvert pour la première fois. Les réserves de pétrole de l’Arabie Saoudite ont propulsé ce pays de 35 millions d’habitants d’une nation désertique sous-développée à un acteur économique majeur en quelques décennies. Cependant, étant donné que les réserves de pétrole brut sont une ressource limitée dont on estime qu’elle s’épuisera d’ici 90 ans, nous cherchons maintenant à diversifier notre économie.

Il est vrai que ce rapide développement a fait émerger une dichotomie entre tradition et modernité. Les Saoudiens de l’époque étaient simples, traditionnels et religieux. Ils ont été projetés dans un monde qui dépassait leurs aspirations. L’argent a commencé à affluer, le pays a émergé dans sa nouvelle image moderne, le désert s’est transformé en villes reliées par des autoroutes, et les symboles de l’Occident ont fait leur chemin dans le Royaume. Cela a fait naître un courant sous-jacent de mécontentement. La génération qui vivait dans le pays a eu du mal à associer ces changements sociaux à son mode de vie. Ce sentiment s’est propagé dans l’ensemble du Moyen-Orient lors de la révolution iranienne de 1979. Dans le Royaume, cela s’est manifesté par la prise de la Mosquée de la Mecque par des militants extrémistes. Leur but était de renverser la monarchie qui avait laissé s’introduire des idéologies occidentales, lesquelles allaient à l’encontre de leur interprétation de l’islam. C’est à cette époque que le Royaume a commencé à se refermer. Les infrastructures ont continué à se moderniser mais une lecture stricte et sévère de l’islam s’est imposée à la société.

 

Quels sont les défis actuels de l’Arabie Saoudite pour répondre aux revendications d’une jeunesse de plus en plus « éduquée » ?

L’Arabie Saoudite est un pays jeune. 70% de la population a moins de 30 ans. Au début du 20ème siècle, seuls 15% des hommes étaient alphabétisés. Conscient que la nouvelle Arabie Saoudite ne disposait pas des prérequis nécessaires pour se moderniser, le gouvernement a compris que les choses devaient changer. L’éducation est devenue une priorité non seulement pour les dirigeants du pays mais aussi pour le peuple. En 1945, le roi Abdulaziz a lancé un programme de création d’écoles (pour garçons) dans tout le Royaume. Les écoles pour filles sont nées en 1961-62. A l’époque, l’alphabétisation des filles était inférieure à 2% contre 99,45% aujourd’hui. En 1927, les dépenses nationales pour l’éducation représentaient 2% contre 53,1% aujourd’hui. Celles-ci permettent de moderniser le système éducatif grâce à des réformes profondes (modernisation des programmes scolaires qui privilégient la pensée critique, reconversion des enseignants, construction d’écoles). De plus, nous avons 43 universités publiques et 44 universités privées. L’Université du Roi Saoud à Riyad compte aujourd’hui 61 000 étudiants. La jeune génération est un véritable moteur du changement. Les revendications des jeunes sont entendues par le Prince héritier qui partage les mêmes rêves et ambitions notamment au travers de sa feuille de route : la Vision 2030. Celle-ci permettra à l’Arabie Saoudite de se moderniser davantage tout en préservant nos valeurs fondamentales et notre identité.

La Vision 2030 a l’intention d’internationaliser l’économie saoudienne, de stimuler les investissements étrangers, de privatiser les actifs publics, de créer des emplois dans le secteur privé et d’augmenter les exportations non liées au pétrole. En bref, la Vision 2030 permettra de prospérer dans une ère post-pétrolière et de devenir un pays d’importance et de leadership. Il existe trois piliers pour y parvenir : développer une société dynamique, une économie florissante et une nation ambitieuse. Au sein de chacun de ces piliers, il existe des sous-catégories telles que le renforcement des valeurs islamiques et l’identité nationale, la possibilité d’une vie épanouie et saine, le développement et la diversification de l’économie, etc. Depuis son lancement en 2016, de nombreuses cases ont été cochées. Par exemple, 2030 devrait voir 30% de femmes professionnalisées. En avril 2022, nous avons atteint 34% contre 20% en 2018.

Les femmes ont excellé dans le monde universitaire avec plus de femmes que d’hommes dans l’enseignement supérieur. Les femmes veulent faire carrière, faire partie du tissu économique et briser le plafond de verre. Conséquence, sur le plan social, les femmes se marient plus tard et ont moins d’enfants car leurs priorités ont changé. Cependant, l’éducation à elle seule ne renforcera pas le rôle des femmes ni ne promouvra les femmes sur le lieu de travail. Des lois et règlements doivent être mis en place pour faciliter ce changement. La Vision 2030 fait déjà des femmes des acteurs importants de la société en leur donnant la possibilité de travailler dans des entreprises auparavant dominées par les hommes. Pour que la Vision 2030 réussisse, les femmes doivent réussir. Beaucoup de mesures ont également été prises dans ce sens (en 2011, un ordre royal a été émis pour modifier la constitution et instaurer la participation à part entière à un minimum de 20% de femmes au Conseil de la Choura ; en 2018, le règlement du travail a été modifié pour empêcher la discrimination salariale entre hommes et femmes ; en 2019, la loi sur les voyages a été modifiée pour garantir aux femmes leur autonomie en termes de déplacements ; etc). Ces réformes ont déjà bénéficié à 6 millions de femmes. De nombreuses femmes ont également été nominées à des postes auparavant occupés uniquement par des hommes (Dr Hanan Al-Ahmadi, présidente adjointe du Conseil de la Choura ; Princesse Rima bint Bandar, ambassadrice saoudienne aux États-Unis ; Princesse Haifa Al-Megren, Représentante permanente de l’Arabie saoudite auprès de l’UNESCO ; Princesse Haifa Al-Saud, vice-ministre du Tourisme).

 

Comment assurer la poursuite du développement du pays tout en participant à la lutte contre le réchauffement climatique ?

Le changement climatique est un problème mondial et l’Arabie Saoudite n’est pas à l’abri des éventuelles conséquences et catastrophes qui pourraient arriver. Nous souffrons déjà d’une chaleur atroce en été (52 degrés en moyenne) et notre principale préoccupation pour l’avenir est l’eau potable. Les usines de dessalement sont déjà utilisées et devront probablement l’être encore davantage dans un avenir proche. Nous avons commencé par plusieurs initiatives pour protéger l’environnement telles que les « initiatives vertes » saoudiennes qui intègrent la protection de l’environnement, la transition énergétique et les programmes de durabilité innovants. L’objectif est de compenser et de réduire les émissions, d’augmenter l’utilisation de l’énergie propre et de lutter contre le changement climatique avec le désir de devenir un leader mondial dans la mise en œuvre de l’économie circulaire du carbone. L’Arabie Saoudite s’est par exemple engagée à planter 10 milliards d’arbres à travers le pays. Pour l’heure, 8,4 millions d’arbres ont été plantés et nous visons 450 millions d’arbres d’ici 2030. L’Arabie Saoudite s’est aussi engagée à ouvrir la voie à des émissions nettes nulles d’ici 2060 et à ce que 50% de son électricité soit produite par des sources renouvelables d’ici 2030. Tout cela comprend l’investissement dans de nouvelles sources d’énergie, l’amélioration de l’efficacité énergétique et le développement d’un système de captage et d’un programme de stockage.

Hoda Al-Helaissi
Hoda Abdulrahman Saleh Al-Helaissi est membre du Parlement saoudien (Choura) dont elle est également vice-présidente de la Commission des Affaires étrangères. Après avoir étudié à Londres puis aux Etats-Unis, Hoda Al-Helaissi a commencé sa carrière en tant que maître de conférences à l’Université du Roi Saoud de Riyad. Nommée par le Roi en 2013, elle a ensuite rejoint les bancs de la Choura. Elle fait partie des trente premières femmes à avoir siégé au Parlement saoudien. Sa nomination a été renouvelée en 2016 puis en 2020. Hoda Al-Helaissi parle l’arabe, l’anglais, le français et l’italien couramment.