Avertissement aux entreprises : tout triomphalisme en matière de lutte contre le changement climatique peut les exposer au reproche d’écoblanchiment

02.12.2022 - Regard d'expert

Les ONG ne sont pas les seules à dénoncer les pratiques d’écoblanchiment (ou greenwashing) et à initier des actions pénales contre les entreprises à qui elles reprochent des publicités trompeuses sur leurs engagements climatiques. Les autorités administratives comme l’Autorité des Marchés Financiers (AMF), l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR), la Securities and Exchanges Commission (SEC) américaine, ou encore la Financial Conduct Authority (FCA) britannique sont aussi promptes à dénicher toutes déclarations de ce type pour rappeler à l’ordre les entreprises contrevenantes, voire leur infliger des pénalités.

 

Des informations ou images non seulement trompeuses, mais équivoques

Selon l’article L121-2 du code de la consommation, l’écoblanchiment couvre toutes « allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur [notamment le consommateur et les investisseurs] sur les caractéristiques essentielles du bien ou du service, à savoir : ses qualités substantielles, sa composition (…), ses propriétés et les résultats attendus de son utilisation, notamment son impact environnemental [et] la portée des engagements de l’annonceur, notamment en matière environnementale ».

Présenter un produit ou service comme « vert » ou « propre » est risqué, de même qu’annoncer atteindre la neutralité carbone en 2050. Tout engagement jugé non crédible peut être retenu à charge de l’entreprise de même que peut tomber sous le coup du délit d’écoblanchiment le fait de décrire les effets environnementaux bénéfiques d’un produit en omettant d’en mentionner les aspects négatifs.

Or l’information susceptible de constituer du greenwashing peut prendre toutes les formes possibles et imaginables : encarts publicitaires, flyers, affiches, photos, emballages[1], bons de commande, catalogues[2], panneaux, interviews de dirigeants dans la presse[3], commentaires dans les colloques ou sur un site Internet[4], applications, liens hypertextes, réseaux sociaux, vidéos, radio[5], télévision[6] etc.) ; sans compter tous les documents commerciaux et ceux relatifs au reporting financier comme non financier. Attention même à l’introduction du document d’enregistrement universel par les dirigeants !

 

Des risques accrus du fait d’obligations de transparence d’une portée sans précédent

Le risque d’écoblanchiment s’est considérablement accru du fait de la législation européenne imposant aux entreprises des obligations de transparence d’une portée sans précédent : publication d’une déclaration de performance extra-financière (DPEF) [7], d’un bilan de gaz à effet de serre (BEGES)[8] ou d’un plan de vigilance[9] non pas sur le climatique, mais sur les mesures de prévention de dommages environnementaux susceptibles d’être causés non seulement par l’entreprise, mais par l’ensemble des entités de sa chaîne de valeur, rapport de développement durable etc.

Cette hyper-réglementation atteint des sommets avec l’adoption de la directive « Corporate Sustainability Reporting Directive » (CSRD) le 10 novembre dernier[10]. Et l’on peut légitimement se demander si le législateur européen a bien mesuré les risques que font peser sur la sécurité nationale et la protection de notre potentiel économique les nouvelles obligations de transparence prévues par ce texte.

Au-delà de la transparence, le texte promeut les labels, lesquels devront être en harmonie avec la taxonomie verte décrétée par la Commission européenne pour classer les activités « vertueuses » ou non du point de vue de la durabilité[11]. Or il y a des incohérences : en France, par exemple, les fonds investissant dans le nucléaire étaient exclus du label Greenfin du ministère de la Transition Écologique[12] tandis que le gouvernement demandait à EDF la remise en service de 32 réacteurs nucléaires[13]. Le gouvernement a annoncé qu’il réviserait régulièrement  les critères d’attribution des labels ; mais quid de la sécurité juridique à laquelle doivent pouvoir prétendre les entreprises ?

 

Une multiplicité de sanctions pénales, civiles et administratives

Non seulement les entreprises, quels que soient leur forme sociale et leur secteur d’activité, mais aussi leurs dirigeants peuvent voir leur responsabilité pénale engagée pour écoblanchiment sur le fondement des articles L121-2 et suivants du code de la consommation. Le cadre ou le dirigeant en infraction encourt un emprisonnement de deux ans – pouvant aller jusqu’à sept ans si le délit a été commis en bande organisée – et une amende de 300 000 euros.

Les personnes morales encourent une amende de 1 500 000 euros[14] qui peut atteindre 80 % du chiffre d’affaires moyen annuel[15] ou des dépenses engagées pour la pratique délictueuse ; sans préjudice de peines complémentaires.

Les entreprises peuvent aussi voir leur responsabilité civile mise en cause par des consommateurs y inclus via des actions de groupe (class action),  leurs associations et des actionnaires. Des actions collectives ont ainsi été intentées aux Etats-Unis contre H&M pour ses allégations sur la durabilité de ses produits[16] et contre KLM Royal Dutch Airlines pour avoir déclaré que la compensation de ses émissions de GES annulait l’impact environnemental négatif des vols aériens[17].

Les autorités administratives ne sont pas en reste : les autorités de la concurrence[18], de contrôle de la publicité[19], les autorités de marchés etc. peuvent infliger des amendes et prononcer des avertissements, des blâmes, une interdiction temporaire ou définitive d’exercice de l’activité ou un retrait d’agrément.

Les régulateurs veillent tout particulièrement à ce que la dénomination des fonds d’investissement reflète la réalité de leurs investissements. Pour l’AMF[20] et pour la FCA[21], un fonds qui s’affiche « ESG », « vert » ou « durable » doit avoir une part « significative » d’investissements durables répondant aux critères requis. La SEC est plus précise : seuls les fonds dont la politique d’investissement est orientée ESG à 80 % au moins peuvent prétendre à cette dénomination[22].  Plusieurs enquêtes pour écoblanchiment ont été lancées en lien avec la commercialisation de produits financiers labellisés ESG. On peut citer l’enquête de la SEC concernant Goldman Sachs[23] ou encore l’enquête conjointe de la SEC et du régulateur allemand – la BaFIN – sur la filiale de Deutsche Bank, DWS[24].

 

En guise de conclusion :

On ne soulignera jamais assez que dans le monde de communication dans lequel nous vivons, rien de ce qui est écrit ou déclaré par une entreprise ou ses dirigeants n’est anodin. Toute expression peut être retenue à charge que ce soit devant un juge ou devant une autorité publique administrative. La communication d’entreprise « pure » n’existe plus. Elle a désormais, notamment – mais pas seulement – en matière climatique, une portée juridique. Ce qui veut dire que la transparence est une obligation, certes, mais une obligation à haut risque !

 

[1] Crim., 6 octobre 2009, n° 08-87.757 : concernant l’emballage d’un herbicide de la société Monsanto présentant le produit comme « biodégradable » et laissant « une terre propre » avec un logo représentant un oiseau entouré de la phrase « respect de l’environnement ».

[2] TGI Nanterre, ord. référé, 23 octobre 2012 : concernant une publicité de la société Toyota représentant un véhicule automobile roulant dans la nature publiée dans un catalogue.

[3]U.S. District Court for the Southern District of Florida, Federal Trade Commission (autorité américaine de protection des consommateurs) v. Truly Organic Inc., 18 septembre 2019, n° 19-23832-Civ-Scola : concernant des déclarations réalisées par des cadres de l’entreprise présentant les produits comme étant « 100 % bio », « certifiés bio » et « vegan ».

[4] U.S. District Court for the District of Colombia, Federal Trade Commission v. Walmart Inc., 8 avril 2022, n° 1:22-cv-00965 : concernant une publicité publiée sur le site Internet de l’entreprise vantant le fait que ses produits textiles en bambou avaient été fabriqués selon des procédés respectueux de l’environnement alors que des produits polluants avaient été utilisés.

[5] Advertising Standards Authority (autorité britannique de contrôle de la publicité), Shell v. WWF UK and others, 8 juillet 2020 : concernant une publicité radio-diffusée suggérant que les sables bitumineux constituent une source d’énergie durable.

[6] Advertising Standards Authority, Ryanair v. Greenpeace, Notre Affaire à Tous et Friends of the Earth, 5 février 2020 : concernant une campagne publicitaire diffusée dans la presse écrite, à la radio et la télévision présentant la compagnie aérienne Ryanair comme ayant les plus faibles émissions de CO2 en Europe.

[7] Article L225-102-1 du code de commerce.

[8] Loi n°2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

[9] Loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre.

[10] Proposition de directive modifiant les directives 2013/34/UE, 2004/109/CE et 2006/43/CE ainsi que le règlement (UE) nº 537/2014 en ce qui concerne la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises, COM/2021/189 final.

[11] Règlement (UE) 2020/852 du 18 juin 2020 sur l’établissement d’un cadre visant à favoriser les investissements durables et modifiant le règlement (UE) 2019/2088.

[12] Voir le référentiel du ministère d’octobre 2021 excluant du label «L’ensemble de la filière nucléaire, c’est-à-dire les activités suivantes : extraction de l’uranium, concentration, raffinage, conversion et enrichissement de l’uranium, fabrication d’assemblages de combustibles nucléaires, construction et exploitation de réacteurs nucléaires, traitement des combustibles nucléaires usés, démantèlement nucléaire et gestion des déchets radioactifs ».

[13] Une question parlementaire avait été posée sur le sujet. Question écrite n° 27590 de M. Hervé Maurey (Eure – UC). JO Sénat du 07/04/2022 – page 1825.

[14] Article 131-38 du code pénal.

[15] Le chiffre d’affaires moyen est calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date de la commission du délit.

[16]Commodore et al. v. H&M Hennes & Mauritz LP, n° 22-cv-6247, S.D.N.Y. (July 2022) ; Lizama et al. v. H&M Hennes & Mauritz LP, n° 22-cv-1170, E.D. Mo. (Nov. 2022).

[17] Kandus Dakus et al. v. KLM, n° 1:22-cv-07962, S.D.N.Y. (Sept. 2022).

[18] Il s’agit de l’Autorité de la concurrence en France, de la Competition and Markets Authority au Royaume-Uni et de la Federal Trade Commission aux Etats-Unis.

[19] Il s’agit du Jury de déontologie publicitaire en France, de l’Advertising Standards Authority au Royaume-Uni et du Federal Trade Commission aux Etats-Unis.

[20] AMF, Position – recommandation relative aux informations à fournir par les placements collectifs intégrant des approches extra-financières, préc., §3 et 4.

[21] FCA, « Sustainability Disclosure Requirements (SDR) and investment labels », préc., §6 « Naming and marketing ».

[22] SEC, « Investment Company », §III.B.1.

[23] In Les Echos, Greenwashing : Goldman Sachs visé par une enquête du régulateur américain, 12 juin 2022.

[24] In Les Echos, Greenwashing : le grand défi des régulateurs des fonds ESG, 21 juin 2022.

Noëlle Lenoir
Noëlle Lenoir est spécialisée en droit de la conformité, droit public, droit de la protection des données personnelles, régulation et concurrence, au niveau national, européen et international. Ministre des Affaires Européennes de 2002 à 2004 elle a aussi été la première femme et plus jeune membre jamais nommée au Conseil Constitutionnel (1991-2001). Noëlle Lenoir est également membre de de l’Académie française des Technologies et vice-présidente de la Chambre de Commerce Internationale (section française). Elle est, depuis mai 2017 l’un des trois membres du panel d’experts indépendants chargé de suivre les politiques et procédures de compliance chez Airbus.