Entre tensions géopolitiques et découplage : quelles implications pour les entreprises ?

25.03.2021 - Regard d'expert

Le 18 mars, lors de la première réunion de haut niveau entre les responsables américains et chinois à Anchorage (Alaska), le secrétaire d’Etat Antony Blinken et le ministre des Affaires étrangères Wang Yi ont étalé au grand jour leurs divergences de fond.

Cela s’inscrit dans un contexte d’exacerbation des tensions entre les deux pays, marquées par l’application de nombreuses sanctions américaines à l’encontre d’entités et d’officiels chinois : on citera notamment le Hong Kong Autonomy Act et l’Uyghur Human Rights Policy Act des 14 et 17 juillet derniers, sanctionnant des officiels et institutions chinoises respectivement liés à la nouvelle loi sur la sécurité nationale à Hong-Kong et à la répression de la minorité ouïgoure au Xinjiang. A ces sanctions américaines, la Chine a répondu par des contre-sanctions à l’encontre de plusieurs officiels et sénateurs américains entre août 2020 et janvier 2021. Par ailleurs, le 22 mars, l’Union européenne, en coordination avec les Etats-Unis, le Royaume-Uni et le Canada, adoptait ses premières sanctions à l’encontre de la Chine depuis 1989.

Ces sanctions visant des acteurs chinois de la répression de la minorité musulmane ouïgoure dans le territoire autonome du Xinjiang ont été immédiatement suivies d’une surenchère chinoise à l’encontre de plusieurs membres du Parlement européen et de parlements nationaux, d’institutions européennes et de chercheurs européens. Les contre-sanctions chinoises ont à leur tour amené plusieurs pays de l’Union européenne à convoquer les ambassadeurs chinois dans ces pays respectifs, tandis que David Sassoli, le président du Parlement européen promettait de nouvelles représailles à l’encontre de la Chine. Cette montée des tensions apparaît comme un point d’orgue dans les relations que la Chine et les pays occidentaux entretiennent, marquées depuis plusieurs années par l’accélération des tendances de découplage, séparant davantage les grandes économies et perturbant les flux commerciaux mondiaux.

Quelles implications potentielles pour les entreprises françaises et européennes ?

A travers l’incertitude provoquée par une situation instable, il est possible d’identifier plusieurs risques potentiels. Les risques immédiats et conjoncturels pour les entreprises européennes tiennent en grande partie à la politisation de l’environnement business propre à la Chine et à la porosité que le monde des affaires chinois entretient avec le politique, l’amenant à subir des pressions à la fois externes (de la part des médias chinois, des gouvernements locaux et national) et internes (de la part des partenaires commerciaux, des consommateurs ou des employés chinois). Enfin, il est à signaler que l’Accord global sur les investissements entre l’Union européenne et la Chine (AGI) n’a pas encore été ratifié par le Parlement européen, dont certains de ses membres sont soumis à des sanctions chinoises, ce qui amène certains observateurs à penser que l’accord pourrait être mort-né. Cela peut ainsi entraîner des effets dommageables pour les sociétés ayant investi en Chine : disruption de la supply chain, hausse des coûts ou abandon de projets d’investissement par exemple. A cela s’ajoutent des risques propres à la sphère d’application des sanctions occidentales susmentionnées, en l’occurrence la région autonome du Xinjiang et certaines entités qui y opèrent.

Ces sanctions mettent les milieux d’affaires dans une position doublement délicate et les entreprises occidentales se trouvent prises en étau. Toute entreprise européenne en contrat avec des entités basées au Xinjiang (sous-traitants, partenaires, ou clients) se trouve potentiellement impactée ; mais, parallèlement, la Chine a pris des mesures interdisant aux entreprises d’appliquer des sanctions internationales sur le territoire national, assimilées à de la collusion avec des puissances étrangères (notamment via le MOFCOM Order No. 1 of 2021 on Rules on Counteracting Unjustified Extra-territorial Application of Foreign Legislation and Other Measures de janvier dernier). Les tribunaux chinois peuvent désormais poursuivre les sociétés étrangères qui ne feraient que suivre les injonctions américano-européennes. Plus généralement, il importe d’avoir à l’esprit un ordre de risque, structurel celui-ci, ces tensions s’inscrivant dans une tendance de long-terme, à savoir la transformation et la mise à niveau de secteurs stratégiques de l’économie chinoise, à travers la mise en place du plan Made in China 2025, mais également dans l’évolution législative dont elle a fait preuve en matière de sécurité nationale. A ce titre, on pensera bien sûr à la récente loi sur la sécurité nationale de Hong-Kong, votée en juin dernier, mais aussi à la loi sur la cybersécurité de 2017, donnant aux autorités chinoises la possibilité d’accéder à tout moment aux données des entreprises établies en Chine.

Se préparer pour mieux faire face aux risques

Devant l’incertitude et les risques potentiels alimentés par la situation géopolitique actuelle, il importe pour les entreprises de réduire l’exposition aux risques en adoptant un certain nombre de mesures de prévention : en l’absence de recul, il est fondamental de monitorer étroitement l’actualité politique chinoise et internationale afin de pouvoir se préparer au mieux aux potentielles conséquences des tensions géopolitiques. Cela passe aussi par un décryptage de l’environnement décisionnel chinois (analyse des circuits de décision et des pratiques d’affaires en vigueur). Il est conseillé à toute entreprise faisant des affaires en Chine, d’examiner les comptes et portefeuilles d’actifs existants afin d’identifier toute activité qu’elle mène actuellement avec des personnes morales ou des personnes politiquement exposées (Politically Exposed Persons) qui pourraient faire l’objet de sanctions occidentales ou chinoises.

De même, il importe d’étudier finement l’écosystème de tout partenaire potentiel en vue de fusion-acquisitions, joint-ventures, contrats commerciaux, en particulier au Xinjiang ou dans des industries stratégiques pour la Chine.

Boris Elaiba
Sinisant et spécialiste de la Chine, Boris Elaiba a rejoint le China Desk de l’ADIT en 2018 en tant que consultant et accompagne de nombreux groupes français sur la Chine pour des projets d’acquisition, de partenariat, de joint-venture et de compliance.