Les SPAC, nouvelles étoiles ou étoiles filantes de la finance ?

06.05.2021 - Regard d'expert

Apparues dans les années 1990 aux Etats-Unis, les Spac ont longtemps eu mauvaise presse à Wall Street où la plupart d’entre elles ont terminé leur vie boursière comme « penny stocks ». Attirer les investisseurs sur sa réputation et une simple promesse et était considéré comme un exercice périlleux, une source potentielle de problèmes.

Mal considéré outre-Atlantique, le concept était quasi inconnu en Europe avec néanmoins une exception. En 2010 Jean-Bernard Lafonta et Wendel, par ce canal, avaient pu acquérir une société suisse pour un prix de 250 M€ moyennant un investissement initial de 10 M€ dans un Spac coté à la bourse de Francfort. Par quel miracle la citrouille s’est-elle transformée en carrosse ? Une première explication réside évidemment dans une conjoncture financière et boursière exubérante. Déjà en 2000, lors de la bulle internet les Spac avaient connu un regain d’intérêt vite retombé après l’éclatement de ladite bulle. Aujourd’hui les investisseurs, gorgés de liquidités et de poudre sèche, à la recherche désespérée de rendements y compris les plus risqués, répondent présents mais, pour reprendre l’expression de Warren Buffet qui, à l’occasion de sa récente conférence annuelle, a réitéré son aversion pour les Spac et le bitcoin, quand la mer se retirera, on verra ceux qui n’ont pas de maillots de bain. L’explication par la constitution d’une bulle est à l’évidence à considérer sérieusement.

Les sombres prédictions seront peutêtre vérifiées. E lles demeurent cependant un peu courtes et n’expliquent pas ce soudain engouement et encore moins son ampleur. Au cours de l’année 2020, les Spac ont connu un boom phénoménal avec 227 opérations pour un montant $76 milliards. Le premier trimestre 2021 a été encore plus spectaculaire, avec une moyenne de 20 annonces par semaine. L’exubérance en question n’est pas dépourvue de toute rationalité. Plusieurs raisons permettent de comprendre pourquoi l’Europe à son tour succombe à la vague des Spac, la première d’entre elles étant, comme toujours sur les marchés, les nombreuses success stories et l’appât du gain.

Les warrants dont bénéficient les souscripteurs au capital des Spac, les valorisations stratosphériques dans un marché en ébullition ont permis à certains d’entre eux de réaliser des plus-values spectaculaires. Wheels up qui a décuplé sa valeur d’actifs en réalisant l’acquisition de plusieurs compagnies aériennes de jets privés pour moins de 150 millions de dollars, en est un exemple parmi d’autres. En quelques mois de confinement Covid, sa valeur est passée de 300 millions à 2 milliards de dollars et les commissions des intermédiaires financiers ont été à l’avenant. On comprend que ces chiffres mirobolants excitent l’imagination des entrepreneurs, des investisseurs et de leurs conseils financiers. La seconde raison de l’émergence fulgurante des Spac est la régulation dont elles font l’objet, notamment de la part de la SEC. Après de nombreux errements, le marché s’est moralisé et certains abus criants réprimés. La SEC a notamment veillé à l’égalité des souscripteurs et à une relative modération des commissions. Le marché des Spac n’est plus le coupe-gorge qu’il a pu être.

La troisième raison de la ruée vers les Spac est la possibilité de réaliser des opérations de private equity en passant par la Bourse. Les investisseurs bénéficient des garanties offertes par les sociétés cotées, notamment en termes de réglementation et d’information et peuvent céder facilement leurs titres. Les particuliers peuvent participer. Les Spac conjuguent le meilleur de deux mondes, le private equity d’une part, les marchés régulés de l’autre. Dernier avantage des Spac la rapidité. Après Tidjane Thiam, Matthieu Pigasse, Xavier Niel, et la banque Lazard, Jean-Pierre Mustier, Tikehau et la Financière Agache viennent de lever 500 M€ pour une acquisition à venir dans le secteur financier. En à peine plus de deux mois a été réalisé ce qui aurait pris au moins un an en empruntant une autre voie. Ce faisant il a été gagné un temps précieux par rapport à une démarche classique de private equity où le promoteur a l’obligation de créer un fonds puis de négocier en bilatéral avec chacun des souscripteurs. Autre avantage de rapidité et de moindre coût, le moment venu de l’acquisition, la société-cible pourra s’introduire en bourse beaucoup plus rapidement et facilement qu’au travers d’une IPO classique. Compte-tenu de tous ces avantages, est-ce à dire que les Spac ont vocation à devenir une classe d’actifs à part entière, un instrument financier pérenne comme le private equity a su le devenir ?

La réponse est oui pour autant qu’ils parviennent à passer avec succès deux stress-tests redoutables, le test des marchés d’une part, celui des régulateurs d’autre part. Quelle sera la résilience des Spac et de leurs performances financières en période de conjoncture adverse ? Le private equity a l’avantage de faire l’objet d’une valorisation au plus trimestrielle et de s’éviter ainsi bien des désagréments.

Les Spac auront le désavantage d’être cotées quotidiennement et d’être valorisées en ligne avec un marché dépressif. Aujourd’hui la plupart des Spac cote au-dessus de leur actif net mais dans le même temps les banques, les conglomérats et les sociétés d’investissement cotent largement en-deçà de leur actif net. Au 31 mars 2021, Wendel faisait l’objet d’une décote sur son actif net de 38,9%. Sauf à subir le même sort, les Spac devront faire la preuve de la qualité de leurs performances financières, de leur résilience sur longue durée. On attendra pour répondre la prochaine correction boursière. Second stress-test : la régulation. Les Spac sont manifestement dans le collimateur de la SEC qui s’interroge sur le traitement comptable des warrants et demande des informations sur les frais de transaction, les volumes, les contrôles mis en place pour surveiller les transactions la conformité et les contrôles internes. Il ne s’agit pas encore d’une enquête formelle mais la simple annonce début avril de ces diligences a suffi pour jeter un grand coup de froid sur le marché des Spac. Après plus de 100 nouvelles transactions en mars, l’émission est presque au point mort avec seulement 10 SPAC en avril. Le précédant des junk bonds est là pour nous rappeler les risques d’une enquête approfondie de la SEC. Les promoteurs des Spac sont prévenus

Dominique Leblanc
Dominique LEBLANC est associé senior chez ESL & Network France. Après avoir été au Ministère de l’Industrie (1979-1984) et au Ministère de l’Economie et des Finances (1984-1988), il intègre la Société des Bourses Françaises, aujourd’hui NYSEEuronext. Il y occupe successivement plusieurs fonctions de direction, jusqu’à en devenir le directeur général délégué. En 2001, il devient directeur général délégué de Viel et Cie, et en 2003, directeur général délégué de FinInfo SA. En mai 2008, il crée la société Information & Finance Agency S.A.S, société de conseil, spécialisée dans les questions de finance de marché et d’évaluation d’entreprises dont il est le président-directeur général. Dominique LEBLANC est président de Wansquare et de La Lettre de l’Expansion.