Les élections allemandes du 26 septembre 2021

09.09.2021 - Regard d'expert

Plus que jamais depuis le déclenchement d’une campagne électorale incertaine, la chronique politique d’Outre-Rhin relève du drame cornélien. Acte manqué, ou perte de sens pathétique ? A la suite de la faillite de la tête de file des Verts, Annalena Baerbock, l’électorat allemand, stupéfait, assiste à la descente aux enfers d’une candidate plus que prometteuse. Personne n’osait imaginer que cette belle ambitieuse puisse si piteusement chuter, au titre d’un délit de plagiat ravageur.

En effet, au sein de l’élite universitaire et méritocratique allemande, ce type de tricheries est fortement réprouvé, et les conséquences de ce plagiat se sont traduites pour Annalena Baerbock par une chute de 43 à 18 % sur les baromètres hebdomadaires. Deux semaines avant l’échéance fatidique du 26 septembre, une remontée, dans de telles conditions, semble relever d’une mission impossible. Ce type de griefs peut sembler anecdotique à un regard latin. Rien de tel à Berlin. La coupable s’est tout d’abord permise, dans un livre-confession ennuyeux et autocentré, l’insertion abusive de citations dépourvues de leurs guillemets de rigueur. S’ajoute à cela la mention de diplômes factices, faisant notamment référence à une inexistante licence de l’université de Hambourg alors que Madame Baerbock aurait pu avantageusement et simplement mentionner être une ex-athlète de trampoline.

Notre distraite candidate a également omis de mentionner avoir obtenu un master de la très cotée London School of Economics. Le summum de cette méchante série noire pour cette jeune luthérienne, pourtant réputée frugale, a été la non-déclaration de confortables primes défiscalisées à hauteur de 25 200 euros. Un intermède vénal qui la condamne à ruminer cette maxime « qui veut être élu ne peut se permettre aucune faute ». Cette crise est d’évidence un cataclysme au coeur du paysage électoral allemand, et ceci à quelques semaines de l’échéance qui marquera le début de la retraite méritée d’Angela Merkel. Dans l’immédiat, l’actuelle chancelière semble peu convaincue du charisme de son successeur, Armin Laschet. Malgré tout, elle s’est efforcée de lui mettre le pied à l’étrier, calmant ainsi les ardeurs de son rival, le Bavarois Markus Söder.

Mais non sans faire patienter cruellement pendant plus de deux longues semaines Armin Laschet pour finalement déclarer platement, que « parce que l’Allemagne valait bien un combat pour l’améliorer, c’est bien naturellement Armin Laschet qu’elle voyait en tant que futur chancelier pour cette mission. Tant elle était convaincue de ses capacités ». Cependant, ces phrases-clés, attendues et relevant d’une forme de service minimum, n’ont pas été émises, comme à l’accoutumée, devant 4 000 militants, mais seulement devant 400 membres choisis parmi des jeunes militants du parti de la chancelière. Au détriment d’Armin Laschet qui a su noter que les rituels faiseurs de rois de l’Union chrétienne-démocrate, traditionnellement mobilisés en ces circonstances, n’étaient pas de la fête. A titre d’exemples Volker Bouffier, l’influent ministre-président du Land de Hesse – de longue date en coalition heureuse avec les Verts locaux – ou, plus surprenant encore, Wolfgang Schaüble, l’ex-ministre des Finances, d’Angela Merkel étaient absents. Leur silence tonitruant a froissé. Concernant ses années de mandat, la chancelière de Berlin a osé s’accorder un satisfecit sans équivoque, en rappelant l’exploit que furent, à sa mesure « seize bonnes années, malgré la crise financière, l’afflux de migrants, l’irruption du Corona, les toutes récentes inondations, l’Afghanistan… »

Pourtant, malgré les apparences, rien n’est encore joué d’ici le 26 septembre prochain. Pour éviter le pire, les conservateurs de la CDU/CSU se promettent de frapper d’ici-là à quelques 100 000 portes dans le pays. Cet effort ne sera pas vain, car, avec seulement quelques poussières de points au-delà des vingt points dans les sondages, il n’est en effet pas certain que la droite allemande déjà au pouvoir soit en mesure de réinvestir confortablement le Bundestag. Une guerre des nerfs est en cours, notamment avec une première série de sondages dont les résultats semblaient être bénéfiques aux chrétiens-démocrates qui remportaient 25,5 % des voix, tandis que les sociaux-démocrates n’obtenaient que 19,5 % et les Verts 17,5 %. Ces chiffres sont déplorables pour les Verts qui, au printemps dernier, lors d’un scrutin local dans le Bade-Wurtemberg avaient obtenu un score étonnamment élevé de 32,6 % des voix, ce qui leur laissait espérer pouvoir surprendre leurs adversaires sociaux-démocrates et chrétiens-démocrates lors de prochaines élections.

Aujourd’hui, subrepticement, un équilibre s’instaure entre les conservateurs, dotés de 23 points, les sociaux-démocrates gratifiés de 21 points et les Verts, cette fois en régression, avec seulement 17,5 points. Des données qui, pour peu que l’on y inclut les libéraux (12 points), l’AfD (10 points) et l’ultragauche (5 points), renouent avec celles d’un paysage électoral familier où seuls, dans le cadre d’une coalition ou d’autres alliances, les libéraux s’imposeraient comme force d’appoint. A une quinzaine de jours du scrutin, il n’est nullement assuré que les chrétiens-démocrates d’Armin Laschet, qui se doivent de franchir le cap fatidique des 40 % y parviennent.

Par ailleurs, la CSU, le parti frère bavarois de la chrétienne-démocratie rhénane – traditionnellement bien plus conservateur que la CDU des Länder du Nord – a peu de chances de dépasser ou même d’atteindre un score de même ampleur. D’autant plus que des drames, tels que les inondations mortelles de la vallée de l’Ahr, (Rhénanie-Westphalie) ou la gestion très confuse de l’irruption des Talibans à Kaboul, troublent fortement le déroulement du scrutin et l’ensemble de la classe politique fédérale et régionale allemande. Le Bavarois Markus Söder, jusqu’alors acerbe au sein du camp conservateur, considère que « l’heure n’était plus aux lamentations. Mais au combat commun. Pour éviter tout retour dans une opposition stérile ». Avant d’admettre que, « dans l’union avec Armin Laschet seule une direction claire était désormais possible ». Une déclaration bienvenue pour Angela Merkel qui sut apprécier cette évolution. Les nordiques de la CDU exprimaient tout de même quelques réserves, car « les Bavarois, pour assurer la victoire du camp conservateur, se devaient d’apporter 40 % de suffrages au pot commun », or les sondages ne pronostiquaient que 37 %, et les ultimes 3 % manquants ne seraient pas simples à glaner. Néanmoins, d’autres opportunités se profilent à l’horizon. Une des grandes conséquences de la disqualification de la candidate verte Annalena Baerbock serait une faveur providentielle des sondages pour les sociaux-démocrates, cornaqués par l’actuel ministre des Finances et vice-chancelier Olaf Scholz. La chute d’Annalena Baerbock joue également en faveur de Robert Habeck, ami charismatique de Scholz et récemment sacrifié par les Verts au titre de la parité homme/femme. Ce dernier pourrait sauter dans la brèche et se remettre spectaculairement en selle au titre de futur chancelier, voire vice-chancelier d’une alliance rose/ verte et rouge vif, entre sociaux-démocrates, écologistes et die Linke, fraction d’extrême gauche noté à 7 points dans les sondages.

Une hypothèse qui a valu à Scholz d’être sèchement rembarré par Angela Merkel : « Jamais, souligna- t-elle, elle n’eut imaginé participer seule, ou en tant que chancelière, à une telle coalition avec la gauche de la gauche ». Pour l’instant, 60 % des militants sociaux-démocrates sont visiblement effrayés par les incertitudes qu’éveille, dans les rangs écologistes et sociaux-démocrates, la marginalisation d’Annalena Bearbock. En effet, ces 60 % d’électeurs se sont d’ores et déjà prononcés pour la relance d’une coalition plus conservatrice avec les chrétiens-démocrates. L’ultime hypothèse serait que le très opportuniste Olaf Scholz envisage, en désespoir de cause, d’ouvrir une tout autre forme de négociation en formant une coalition noire-verte-jaune – déjà envisagée à l’automne 2017. Ainsi, avec Christian Lindner, enfant terrible du camp libéral disposant de 10 à 12 points dans les sondages actuels, ils considèrent pouvoir s’unir à des alliés qui les accepteront.

C’est donc le 24 septembre qu’Angela Merkel, lors d’une ultime harangue publique prononcée depuis Munich, se posera en avocate de son parti. Le soir du 26 septembre, face aux résultats que dictera la loi des urnes, ses impétueux compagnons de route réaliseront ce qu’ils perdront, ou non, après son départ. Il faudra ensuite rapidement attaquer le bouclage d’une coalition viable, avec la crainte que les partis en lice pour former un gouvernement présentable se perdent, une fois encore, dans un jeu de yoyo exténuant pouvant s’éterniser, comme ce fut le cas en 2017, jusqu’à la mi-janvier 2022. Il y aurait alors le risque que lassés, les électeurs allemands imposent une nouvelle fois cette coalition centriste, que 66 % d’entre eux semblent préférer aux incertitudes générées par la précédente consultation de 2017. Il ne reste qu’à espérer que la chancelière, redevenue cette Madame Téflon énigmatique, puisse enfin goûter, loin des interminables hivers du septentrion germanique, à ces sommeils d’été californiens dont elle rêve depuis l’enfance.

Michel Meyer
Écrivain et journaliste, Michel Meyer a été correspondant en Allemagne pendant une quinzaine d’années au service de la télévision publique française, au point de devenir un des meilleurs connaisseurs de sa culture. Il devient ensuite directeur de l’information de Radio France, avant de participer à la création de France Info en 1987. Il a également publié plusieurs ouvrages, notamment son « Dictionnaire amoureux de l’Allemagne » aux éditions Plon, en 2019.