Nouveau tour de magie ou chemin de croix ?

17.06.2022 - Éditorial

Dimanche 19 juin, le deuxième tour des élections législatives va permettre de savoir si Emmanuel Macron disposera ou pas d’une majorité absolue à l’Assemblée Nationale. 289 députés, tel est le chiffre à atteindre.

Les principaux enseignements du Premier tour sont les suivants :

Une forte abstention était  attendue. Or, 52% des français ont boudé les urnes. Une poussée de l’extrême droite très significative par rapport à 2017. Ce n’est pourtant pas le point le plus développé par les médias, mais le Rassemblement National, auquel on peut ajouter le petit nombre de voix pour Reconquête, fait 6 points de plus qu’en 2017.

En dépit de la dynamique de marketing créée, avec beaucoup d’habileté par Jean Luc Mélenchon autour de NUPES, le score de la gauche est à peu près identique à celui de 2017, soit un peu plus de 25%. Ce n’est pas un succès, ni historique ni relatif. C’est plutôt un retrait significatif par rapport au score des mêmes formations politiques au premier tour de la Présidentielle de 2022, à savoir 30,6%.

La formation présidentielle (Ensemble) ou le regroupement des mouvements la composant connaît un net recul puisqu’En marche (28,2%) et le MoDem totalisaient à eux deux 32% des voix en 2017 contre 25,8 % cette année. Recul également par rapport au score de 27,8% d’Emmanuel Macron au premier tour de l’élection présidentielle cette année.

Ce qui est frappant et masqué là encore par un déferlement médiatique autour de la NUPES, c’est que la gauche est à un niveau historiquement faible dans notre pays. C’est évidemment un peu trompeur puisqu’une partie de l’électorat du Président de la République vient de la gauche et s’en réclame toujours. Mais la NUPES considère que tout ce qui n’est pas NUPES est de droite. Cela voudrait donc dire que 75% des électeurs de notre pays voteraient à droite. Alors que la gauche totalisait 41,7 % en 2002, 44,36% en 2007, 55,63% en 2012. Même en admettant qu’un tiers de l’électorat d’Emmanuel Macron soit de gauche, on serait aujourd’hui dans un rapport 65-35 entre la droite et la gauche dans notre pays.

Il est intéressant aussi de constater qu’avec une proportionnelle intégrale, l’Assemblée Nationale issue du vote de dimanche dernier ne permettrait de dégager aucune majorité, et donc de gouvernement stable. Trois blocs seraient ressortis dont Ensemble avec 168 députés, NUPES avec 167 députés, et le Rassemblement National avec 121 députés. Même l’addition d’Ensemble avec LR-UDI (73 députés) et les divers gauche (20 députés) aboutirait à un regroupement de 261 députés très éloignés des 289 députés nécessaires pour constituer une majorité absolue. Une réflexion pour les réformes institutionnelles à venir !

La majorité présidentielle disposera-t-elle dimanche d’une majorité absolue ou relative ? Bien malin qui peut le dire ce soir. Les instituts de sondage donnent tous des fourchettes larges qui incluent les deux hypothèses pour être sûrs de ne pas être démentis. Ça devrait se jouer à pas grand chose. 120 circonscriptions seraient dans des duels se jouant entre 52 et 48%. Sur ces 120, 80 pourraient se jouer entre 51 et 49%…

Des reports de voix légèrement différents, de petits sursauts de mobilisation, tout est susceptible de modifier le résultat final. La NUPES ne dispose à priori d’aucun réservoir de voix alors que les candidats d’Ensemble peuvent espérer additionner tous ceux que rebutent l’idée de Mélenchon premier ministre et d’un programme de dépenses publiques impressionnant, d’un renforcement de la fiscalité, d’une chasse aux entreprises et à l’argent, d’une politique complaisante vis à vis du communautarisme et de l’immigration. Mais il est aussi possible qu’une certaine convergence des populismes de gauche et de droite fondée sur un rejet commun du Président de la République puisse se manifester dans le secret de l’isoloir.

Emmanuel Macron a pris le risque de limiter au maximum le temps de la campagne électorale. Si le contexte international de la guerre en Ukraine peut expliquer une absence de campagne présidentielle, il est moins compréhensible qu’une fois élu, il ait à ce point hésité sur la composition de son équipe gouvernementale et négligé la campagne législative. La faible participation qui s’en est suivie a touché son électorat peut-être plus que ceux qui rêvaient d’un troisième tour. Complexe de supériorité ? Manque d’intuition et de sensibilité du moment ?… Le magicien de la politique qui avait magistralement bouleversé le jeu politique en 2017 aurait-il perdu la main ? Nous y verrons plus clair dimanche soir.

Il est sûr qu’une majorité relative à l’Assemblée nationale dimanche soir compliquerait la tâche du président de la République et du gouvernement. La recherche nécessaire de forces d’appoint essentiellement dans ce qu’il restera du contingent d’élus républicains déporterait nécessairement les politiques publiques vers les solutions les plus libérales accentuant les risques de contestations sociales à l’Assemblée Nationale, dans les entreprises et sans doute dans la rue.

Le seul concept de Conseil National de la Refondation suffira t-il à redonner du souffle au deuxième et dernier quinquennat d’Emmanuel Macron ? Il faudra qu’il ait un contenu extrêmement ambitieux sur les pratiques démocratiques, sur la place de l’humain dans l’entreprise, sur la transition écologique et énergétique, sur la reprise en main du destin industriel et stratégique de notre pays, sur le rayonnement et l’influence de la France dans le Monde, sur l’attractivité des valeurs de l’Europe au service de son développement économique. Autant de thèmes qui n’ont été souvent qu’effleurés par les équipes du président et dont il n’est donc pas assuré qu’ils soient maîtrisés dans leurs problématiques et les solutions à mettre en œuvre.

Ce deuxième quinquennat débute avec de grandes incertitudes. Il peut constituer un nouveau tour de magie du président Macron donnant une impulsion nouvelle à notre pays ou se transformer en un douloureux chemin de croix.

Alexandre Medvedowsky
Alexandre Medvedowsky est un ancien élève de l’Ecole Nationale d’Administration (promotion Denis Diderot, 1984-1986). Magistrat au Conseil d’Etat à partir de 1986, il siège au cabinet de Laurent Fabius alors président de l’Assemblée Nationale de 1990 à 1992. De 1998 à 2001, il est professeur associé à l’Université d’Aix-Marseille III et enseigne à l’IEP de Paris jusqu’en 2006. Il a été conseiller des Bouches-du-Rhône de 1998 à mars 2015. Nommé conseiller d’Etat en juillet 2001, il rejoint ESL & Network Holding la même année et intègre le Directoire d’ESL & Network Holding, dont il est nommé président le 1er janvier 2013. Il a été élu président du SYNFIE, le syndicat français de l’intelligence économique en mai 2014.