La situation autour du Haut-Karabakh en 4 questions

19.11.2020 - Éditorial

1 — Est-ce que l’accord tripartite du 10.11 règle le conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan ?

L’accord signé par le Président Poutine, le Premier ministre Pashinyan et le Président Aliev stoppe le conflit militaire, fait cesser le bain de sang et évite de nouvelles victimes pour les années à venir, du moins s’il est respecté par les deux protagonistes.C’est là son apport essentiel. L’accord fixe aussi la nouvelle donne dans l’affrontement : en raison de sa pression militaire et face à la faiblesse de la réponse de l’armée arménienne,l’Azerbaïdjan conserve les positions acquises depuis le début du conflit en date du 27 septembre et récupère les 7régions disputées ainsi que d’autres territoires dont notamment la ville de Chouchi – symbole de la victoire de l’Arménie dans l’affrontement de 1992 – 1994. Plus que cela, Bakou verra les liens logistiques et économiques avec la république autonome de Nakhitchevan complètement débloqués, car l’Arménie se voit contrainte de restaurer les connexions de transportterrestres entre l’Azerbaïdjan et Nakhitchevan.En ce qui concerne l’Arménie, elle évite en premier lieu « des milliers des nouvelles pertes humaines », conserve le Corridorde Lachine ainsi que le statuquo flou concernant le Haut-Karabakh.En effet, l’accord tripartite ne règle en rien le statut du Haut-Karabakh et repousse pour une énième fois la question à plus tard et aux « nouveaux dirigeants des pays et nouveaux acteurs » (selon V. Poutine). L’accord représente donc une solution partielle, mais pose sans doute des nouvelles bases et conditions d’une négociation sur le Haut-Karabakh à l’avenir. Certains observateurs y voient une avancée tandis que d’autres – au contraire un gel de la situation.La question des gagnants et des perdants reste douloureuse non seulement pour l’Arménie mais aussi pour une grande partie de l’opinion occidentale largement favorable à l’Arménie.Et ce pour plusieurs raisons : le penchant clair des occidentaux pour une « jeune démocratie » arménienne face au« régime du dictateur » azéri, l’importance symbolique de la défense des chrétiens face aux musulmans dans le contexte actuel, le déni de l’influence accrue de la Russie mais aussi de la Turquie sur la scène internationale…

2 — Quelles sont les implications géopolitiques de l’accord ?

Notons à cet égard deux aspects importants. Tout d’abord,dans le contexte régional du Caucase du Sud, l’accord propulse la Russie au rang de pacificateur reconnu et légitime de même qu’il renforce son rôle et sa présence dans cette région. Ce n’était pas acquis après les événements en Géorgie,Abkhazie et Ossétie de 2008. Même si la Turquie ne fait pas partie formellement de l’accord, elle reste néanmoins omniprésente dans toutes les discussions, tous les scénarios et toutes les analyses. Plus que cela, ce pays pourrait même avoir une présence militaire dans la région, ce qui est aussi un fait nouveau.En ce qui concerne l’aspect international plus large, soulignons que le groupe de Minsk est en revanche un grand absent : il n’a pas participé dans les négociations et n’est pas mentionné dans l’accord. La France et l’UE ne veulent pas céder le rôle prépondérant à la Russie et à la Turquie et «souhaitent participer politiquement » dans les discussions concernant le destin du Haut-Karabakh à l’avenir, reste à trouver la bonne formule dans ce nouveau contexte.

3 — Est-ce que la Russie a trahi l’Arménie ?

L’allié depuis toujours, l’ami béni – est-ce que la relation avec le peuple arménien a été sacrifiée par la signature russe de l’accord en question ? Le Président russe, certes, ne porte pas dans son coeur les chefs d’État qui ont accédé au pouvoir « parle coup de force de la rue » et beaucoup donnent cela comme raison principale d’une distanciation entre les deux pays.L’hésitation et relatif silence russe depuis le début du conflit n’ont pas passé inaperçus. La décision du Kremlin tardait, car chaque action et intervention russe dans le voisinage proche est scrutée par la communauté internationale. La Russie a dû intervenir pour d’une part, arrêter les pertes humaines surtout du côté de l’Arménie et d’autre part, ne pas perdre son rôle dans le Caucase.Est-ce que la Russie aurait pu mieux protéger les intérêts arméniens? Seulement si la Russie avait pu s’appuyer sur des raisons relevant du droit international, et notamment si l’indépendance du Haut-Karabakh était reconnue. Faute de cela, une seule option lui restait: accepter de soutenir l’Arménie militairement,ce qui était évidemment impossible. La Russie n’avait aucune intention de mener cette guerre pour et à la place de l’Arménie.4000 de victimes et près de 10 000 de blessés – c’est un bilan qui aurait peut-être été moins lourd si l’accord avait été conclu plus tôt (vers le 20 octobre selon Poutine) mais aussi qui auraitpu être beaucoup plus lourd si le PM Pashinyan n’avait pas accepté d’arrêter les actions militaires…

4 — What’s next?

Toute l’attention sera maintenant concentrée sur le statut du Haut-Karabakh. Comme le rappelle très justement le Président russe dans son interview télévisée le 18 novembre dernier, le Haut Karabakh n’a jamais été reconnu par aucun pays, y compris l’Arménie, comme un territoire indépendant ; et cela n’est pas prêt de changer. En revanche, la tentation d’utiliser cette question à des fins politiques sera grande et de tous les côtés,à commencer par les 5 sénateurs français qui proposent de reconnaître l’indépendance du Haut-Karabakh.Bakou ne lâchera pas sous prétexte de la promesse de ses dirigeants de récupérer le Haut-Karabakh. Les Russes ne partiront pas non plus facilement de la région. Les Etats-Unis dénonceront l’occupation russe du Caucase. Les arméniens devront endurer les séquelles. Et tous les protagonistes seront encore enlisés dans cette affaire dont peu comprennent les aboutissants.

Olga Belot-Schetinina
Olga Belot-Schetinina est associée senior chez ESL & Network. Diplômée de MGIMO (Russie), elle a commencé sa carrière chez Lucent Technologies CIS, puis a rejoint Motorola, jusqu’en 2002, exerçant différentes fonctions commerciales et financières dans la région EMEA (Europe, Moyen- Orient, Afrique). Olga BELOT a rejoint le groupe ESL & Network en 2004 après un MBA à HEC (Paris) pour développer les activités du groupe en lien avec la Russie et les autres pays de CIS.