Des élections régionales et départementales sans grande signification

01.07.2021 - Éditorial

L’élection de dimanche dernier a suscité de la part des habitués des plateaux de télévision des commentaires qui me paraissent exagérés et décalés par rapport à une vision objective. Si je cherche à résumer ces commentaires, je pourrais en faire l’énumération suivante : très faible participation, lourd échec de la majorité présidentielle, effondrement du Rassemblement National, victoire des Républicains, stabilité de la gauche, difficultés des écologistes à incarner une alternative.

Parmi ces remarques, peu d’entre elles me paraissent fondées et cet éditorial est pour moi l’occasion de vous faire part de mon analyse. Le principal enseignement de cet épisode électoral est d’abord et avant tout l’échec de tous les instituts de sondage sur le niveau des scores obtenus par le Rassemblement National. L’étonnement vient de la généralité de l’échec, pas un institut n’est meilleur que l’autre, et de l’incapacité à réagir entre les deux tours. Les instituts se trompent au deuxième tour en prévoyant un scrutin serré en PACA entre Renaud Muselier et Thierry Mariani comme ils se sont trompés au premier. Les explications tirées par les cheveux sur le faible niveau de participation ne sont ni pertinentes, ni convaincantes et posent une vraie question de fiabilité des outils de prévisions électorales pour aujourd’hui et demain. Le seul constat que je partage avec les observateurs repose sur des chiffres objectifs (difficile du coup de ne pas le partager) sur le niveau d’abstention qui frôle les 66%. Ce niveau d’abstention très élevée illustre le désintérêt profond de nos concitoyens pour un scrutin dont ils n’ont pas perçu l’enjeu. Les médias ont bien tenté, sans succès, de présidentialiser le scrutin. Les électeurs leur ont répondu vertement : vos élections régionales et départementales, on s’en fout. On a d’autres sujets de préoccupation dans la tête, foutez-nous la paix. Que l’électorat populaire ou des classes moyennes se soit abstenu dans une proportion supérieure n’a rien d’étonnant.

Que faut-il en tirer ? Le vote obligatoire ? Le vote électronique ? Rien de ce qui est pratiqué à l’étranger ne provoque de résultats concluants. L’Estonie, petit pays en pointe sur le numérique, pourra peut-être servir un jour d’exemple, mais ni le taux d’équipement de notre pays, ni le faible usage des technologies numériques dans la citoyenneté, ne nous mettent en situation de nous comparer.

A quoi servent les régions ? A quoi bon des départements dans le mille-feuille territorial actuel ? Voilà des questions auxquelles la campagne électorale, la communication gouvernementale ou celle des collectivités territoriales auraient dû massivement répondre si l’on avait voulu emporter intérêt et adhésion de nos concitoyens. Pour le reste aucune des réflexions des commentateurs politiques « avisés » n’a emporté mon adhésion. Déroute de la majorité présidentielle ? Qui attendait de gros scores de LREM dans cette élection ? Personne et certainement pas le Président de la République. L’échec aux municipales était un premier indicateur très clair, LREM n’est pas soutenue par le Président de la République qui ne veut pas d’un parti politique.

Le Président n’a rien fait, ni rien dit à l’occasion de cette élection. Envoyer des ministres à l’abattoir n’était sans doute pas une idée formidable mais je suis sûr que le Président a voulu à travers cela les envoyer comme messagers et capteurs, sans illusion aucune sur le résultat. On ne peut pas inscrire un mouvement politique dans les territoires sans patience et sans volonté politique forte. Emmanuel Macron n’a ni patience, ni volonté de créer un parti macroniste. Cela ne signifie rien à mon sens pour la suite. L’élection présidentielle arrivera en temps et en heure et le Président me paraît avoir encore beaucoup d’atouts entre les mains. L’hypothèse de sa présence au second tour de l’élection reste encore la plus probable. L’effondrement du Rassemblement National ? J’ai du mal à y croire aussi. Les électeurs qui rejettent la politique et qui se réclament de l’antisystème, ne se reconnaissent plus dans les institutions : ils ont répondu par le silence et l’absence. Ont-ils changé d’avis ? Leur logique abstentionniste l’emportera-t-elle durablement sur leur volonté d’en découdre ? La dédiabolisation recherchée par Marine Le Pen détournera-t-elle une partie de son électorat vers un nouveau champion de type Éric Zemmour ou le ramènera-t-il vers LR ? C’est un peu tôt pour le dire. Les semaines qui viennent seront intéressantes pour voir ce que dit le Rassemblement National et sa championne.

Je lui rappellerai modestement que toute l’histoire des élections présidentielles de la Vème République montre qu’avant de prétendre rassembler au deuxième tour, il faut d’abord s’y qualifier au premier. Et que pour cela, il faut d’abord compter sur son camp et sur ses partisans. Être radical au premier tour au sens de la radicalité avant de jouer le rassemblement au deuxième tour. Voir les Républicains plastronner sur les plateaux de télévision m’a rappelé aussi bien des souvenirs…de la gauche euphorique lors des élections intermédiaires pendant longtemps et pleurant de toutes ses larmes devant les déceptions de l’élection nationale décisive.

LR a fait réélire ses présidents sortants dans de bonnes conditions. Laurent Wauquiez, Valérie Pécresse, Xavier Bertrand, Renaud Muselier et quelques autres… Peuvent-ils désormais déployer leurs ailes vers d’autres horizons ? Xavier Bertrand a-t-il pris une épaisseur et un avantage déterminant sur ses concurrents ? Je ne le crois pas. L’espace politique de LR sur le plan national reste contraint par la politique du gouvernement et le positionnement du Président de la République. « La route est droite mais la pente est forte » pour reprendre une des plus célèbres « raffarinades ». La gauche pourrait-elle aussi avoir des raisons d’espérer même si les observateurs ne l’ont pas associée à la victoire supposée des Républicains, parlant de stabilité et de la difficulté des Verts à s’imposer à la tête des exécutifs régionaux. Pourtant en plus de la réélection de ses cinq présidents de Région en métropole, la gauche a gagné deux régions d’outremer, la Réunion et la Guyane arrachées à LR. Plus encore sur le papier, l’Union de la gauche de LFI au PS en passant par EELV et le PC pourrait avec un champion unique assurer facilement sa présence au second tour de l’élection présidentielle. Emmanuel Macron ne croit pas à cette hypothèse et continue de pilonner LR. La macronie estime que la réconciliation entre la gauche de gouvernement et la gauche révolutionnaire est impossible, que tout les sépare et que la haine (le mot n’est pas excessif) entre les militants de ces deux blocs empêche tout rapprochement. J’ai pensé pendant un temps que le miracle du printemps marseillais porté aux élections municipales par le tandem Michèle Rubirola et Benoit Payan pouvait avoir valeur d’exemple.

Qu’un rassemblement construit autour des maires socialistes et verts des métropoles, auxquels seraient venus s’agréger les présidents de régions et de départements pourrait créer une dynamique. Le soir de l’élection dimanche les comportements, la gestuelle, les remarques acerbes et perfides des apparatchiks des partis de gauche m’ont plutôt persuadé du contraire. Aucun de ces leaders ne me paraît être à la hauteur des aspirations d’un peuple de gauche qui n’existe d’ailleurs probablement pas. Une élection pour rien alors ? Pas de déclaration, pas de remaniement, pas de réforme des institutions, pas de changement de cap. Une France qui sort de son confinement, une France qui se remet au travail, une France qui retrouve le chemin de la croissance, une France qui attire investissements et projets étrangers, une France qui gagne.

Tel paraît être le pari d’Emmanuel Macron. Sauf que la France peut perdre aussi …la défaite contre la Suisse en huitième de finale du championnat d’Europe rappelle qu’être favori ne suffit pas pour gagner. Le manque d’humilité, le manque de solidarité, le refus de changer de cap, le manque de solidité des bases peuvent se révéler de lourds handicaps en fin de match.

Alexandre Medvedowsky
Alexandre Medvedowsky est un ancien élève de l’Ecole Nationale d’Administration (promotion Denis Diderot, 1984-1986). Magistrat au Conseil d’Etat à partir de 1986, il siège au cabinet de Laurent Fabius alors président de l’Assemblée Nationale de 1990 à 1992. De 1998 à 2001, il est professeur associé à l’Université d’Aix-Marseille III et enseigne à l’IEP de Paris jusqu’en 2006. Il a été conseiller des Bouches-du-Rhône de 1998 à mars 2015. Nommé conseiller d’Etat en juillet 2001, il rejoint ESL & Network Holding la même année et intègre le Directoire d’ESL & Network Holding, dont il est nommé président le 1er janvier 2013. Il a été élu président du SYNFIE, le syndicat français de l’intelligence économique en mai 2014.