La question de l’autorité de l’État sera au cœur de la prochaine élection présidentielle

18.06.2021 - Éditorial

Baromètre après baromètre, les enquêtes d’opinion confirment la forte défiance que nourrit la population française vis-à-vis de la politique et de ses institutions. Les dirigeants français sont perçus comme lointains, déconnectés des réalités et peu sensibles au sort de leurs concitoyens.

Police et Justice sont des institutions contestées, jugées parfois trop laxistes ou au contraire trop autoritaires et injustes avec les faibles ou les minorités. Policiers ou même pompiers sont empêchés d’exercer leurs missions dans certains quartiers de nos villes. Les enseignants voient leur parole contestée au sein même des établissements scolaires, empêchés même parfois d’aborder un certain nombre de thèmes de peur de réactions violentes de leurs élèves ou des parents de ces derniers. Les territoires perdus de la République se multiplient sous fond de scepticisme généralisé ou de complotisme plus ou moins assumé.

Ce paysage résumé n’est pas une photographie nouvelle et figée mais la conséquence d’une lente et longue dégradation de l’image de l’Etat et de son autorité. La crise des gilets jaunes, la violence du débat politique, l’abstention de plus en plus grande aux élections nationales et locales mais aussi le fait que 60 % des policiers aient l’intention de voter pour le Rassemblement National aux prochaines élections ou que des militaires signent une tribune pour dénoncer le délitement de notre pays sont autant d’indices forts montrant que quelque chose ne va pas dans le pacte républicain de notre pays qui fonde l’autorité de l’Etat. Car il ne faut pas se tromper . Derrière la question de l’autorité de l’Etat , c’est bien la validité du contrat social ou du pacte républicain qui est posé . Les règles imposées par l’Etat ne sont acceptables et acceptées que lorsque les citoyens ont le sentiment qu’elles sont justes et s’appliquent à tous dans le respect des principes et des valeurs de la République de liberté , d’égalité , de fraternité sans oublier que la République française est aussi indivisible, laïque , démocratique et sociale . Et c’est parce que les Français ont le sentiment que ces principes et ces valeurs sont devenus trop abstraits, trop éloignés de la réalité de leur vie quotidienne, non appliqués même pour certains, que l’autorité de l’Etat est contestée et peine à s’appliquer. Si bien que pour exercer son autorité et faire respecter l’ordre légal, l’Etat n’a d’autres choix que d’imposer des législations d’exception. J’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer sur le sujet mais c’est particulièrement étrange de constater que sur les 5 dernières années, notre pays aura passé plus de de la moitié de son temps en situation d’état d’urgence pour gouverner comme si le cadre légal traditionnel ne suffisait pas à garantir l’autorité de l’Etat.

Lorsque les sondeurs et les analystes politiques constatent une bascule idéologique de la France à droite, ils mettent, à mon avis, le doigt sur le fait que la gauche, notamment celle de gouvernement, a abandonné le thème de l’autorité de l’Etat comme faisant partie du pacte républicain. Un État juste, démocratique, social, attentif aux autres est un État qui doit faire preuve d’autorité sous peine de faire perdre toute crédibilité à l’action publique. Et on voit bien toute la difficulté au sein de la Gauche de parler d’ordre, d’autorité de l’Etat. Cette situation n’est pas nouvelle. On se souvient de la candidate Ségolène Royal, si décriée et pourtant à l’intuition si forte plaidant en 2006, face au délitement de l’Etat pour un « ordre juste ». « il faut rétablir un ordre juste par le retour à la confiance , par le retour de repères clairs, par le bon fonctionnement des services publics, par des règles d’honnêteté… valables pour tous ». Son camp politique, souvenons nous, avait accueilli ses propos avec circonspection. Ce débat renvoyait à une autre période où lorsque Adrien Marquet, maire de Bordeaux défendait à La Tribune du 30 ème congrès de la SFIO en juillet 1933 « l’ordre, l’autorité, et la Nation », Léon Blum se déclarait épouvanté.

Pour la petite histoire on rappellera quand même que le même Adrien Marquet quelques années plus tard, après son exclusion du Parti Socialiste, se ralliera au régime de Vichy. Pour autant Ségolène Royal n’a pas été la première dans la période récente à réintroduire les concepts d’ordre et d’autorité chez les socialistes partageant cette idée avec Jean Pierre Chevènement ou même avec Lionel Jospin en 2005 proclamant dans son ouvrage « Le monde comme je le vois » « il faut donc assumer la valeur de l’ordre, c’est à dire du respect des règles…. il n’y a pas de liberté sans ordre…. l’ordre est consubstantiel à la liberté et à la République. La droite est évidemment plus à l’aise face à ces notions d’ordre et d’autorité mais il faut reconnaître que la Présidence Sarkozy n’a pas permis d’interrompre ce sentiment profond que l’Etat n’est plus à sa place, que son autorité ne s’exerce plus, que les institutions ne représentent, ni n’incarnent plus personne, que la démocratie ne fonctionne plus, bref que tout « fout le camp » laissant un boulevard sans cesse croissant au Front National puis au Rassemblement National. Marine Le Pen dénonçait il y en encore quelques jours à la suite de l’assassinat d’un policier à Avignon le fait que « l’autorité de l’Etat est à un niveau de délitement jamais atteint ». Emmanuel Macron pensait en 2017, lors de son élection, probablement qu’une autre forme de démocratie, plus directe et moins dépendante des partis politiques traditionnels, qu’une réforme des institutions et de l’Etat porteraient le rétablissement de l’autorité et une confiance nouvelle des citoyens. Rien de tout cela ne s’est passé. D’abord parce que les formes nouvelles de démocratie n’ont pas été mises en place, hors la courte et contestée convention citoyenne et qu’aucune réforme de l’Etat, ni des institutions n’est intervenue soit disant à cause du Sénat mais aussi beaucoup par absence de forte volonté politique. Le Président de la République, très intuitif lui aussi sent bien que face à ce sentiment de délitement de l’Etat et d’absence d’autorité politique et morale incarnée, il lui faut réagir sans qu’il sache exactement comment le faire. On sent bien la volonté de passer d’un social libéralisme du début de mandat à un souverainisme républicain mais les voies et moyens ne sont pas clairs . Face aux pertes de repères , au sentiment d’insécurité, à la délinquance, Emmanuel Macron à son tour appelle à promouvoir un « ordre républicain ». « Sans ordre républicain, il n’y a ni sécurité, ni liberté. » vient-il de déclarer dans sa dernière allocution. Sa référence à la Nation à cinq reprises montre cette volonté nouvelle d’asseoir, dans une France à genoux économiquement et socialement fracturée, une nouvelle stature d’incarnation de l’autorité. Arrivera t’il à le faire dans le laps de temps qui lui reste, ou d’autres l’incarneront ils mieux que lui, telle est l’une des questions qui seront à mon sens centrale au mois de mai 2022. Deux décisions récentes montrent cependant qu’entre le discours et les actes, tout n’est encore pas clair et que la conception de l’autorité de l’Etat du Président de la République et de son proche entourage sont particulières et posent problème. La suppression de l’ENA est une mauvaise décision. Elle ne peut en tout cas se substituer à une réforme de l’Etat, nécessaire, et que le Président aurait pu entamer au cours des quatre dernières années.

On pourra me taxer de corporatisme, mais l’ENA est un modèle d’élitisme républicain réussi que beaucoup de nations nous envient et ont d’ailleurs copié, qui a su se transformer et se moderniser au fil des ans. Quant à l’accusation de temple de la reproduction sociale des élites, elle m’amuse car tous les élèves et les connaisseurs de cette école de la République savent que sa diversité sociale sans doute insuffisante, y est largement supérieure grâce notamment aux concours internes à celles que l’on trouve à l’institut d’études politiques de Paris ou dans les classes préparatoires des grands lycées parisiens. On pourra toujours dire que cette suppression est une nécessité de chercher un bouc émissaire facile et d’offrir à l’opinion publique le symbole d’un État critiqué.

Mais que dire de la deuxième annonce surprenante de la suppression du Corps préfectoral? Sans entrer dans une explication de texte du projet confus du gouvernement, l’idée même a un moment où chacun devrait s’attacher à restaurer et à défendre l’autorité de l’Etat, de s’attaquer au corps qui symbolise le fonctionnaire d’autorité, le fonctionnaire qui représente l’Etat dans les territoires, qui est capable d’organiser son travail et de gérer des sujets de logistiques sur lesquels l’administration centrale a montré son incapacité lors de la crise sanitaire , à de quoi laisser pantois. Ne nous y trompons pas, les semaines qui viennent vont être décisives pour notre pays.

L’autorité de l’Etat, l’ordre républicain fondé sur les valeurs de notre République doivent être défendus et restaurés. Il en va de l’avenir de notre pacte social. Prenons garde que d’autres formes d’autorité et d’ordre moins républicain et moins juste ne profitent de la situation pour s’imposer

Alexandre Medvedowsky
Alexandre Medvedowsky est un ancien élève de l’Ecole Nationale d’Administration (promotion Denis Diderot, 1984-1986). Magistrat au Conseil d’Etat à partir de 1986, il siège au cabinet de Laurent Fabius alors président de l’Assemblée Nationale de 1990 à 1992. De 1998 à 2001, il est professeur associé à l’Université d’Aix-Marseille III et enseigne à l’IEP de Paris jusqu’en 2006. Il a été conseiller des Bouches-du-Rhône de 1998 à mars 2015. Nommé conseiller d’Etat en juillet 2001, il rejoint ESL & Network Holding la même année et intègre le Directoire d’ESL & Network Holding, dont il est nommé président le 1er janvier 2013. Il a été élu président du SYNFIE, le syndicat français de l’intelligence économique en mai 2014.