L’Afrique et la vaccination : comment faire ?

21.01.2021 - Regard d'expert

La peur affecte à présent le continent africain qui avait jusqu’à présent été relativement épargné par la Covid-19. Après avoir enregistré trois millions de cas et seulement 75 000 décès à la fin de l’année passée, l’Afrique est devenue depuis la deuxième région où la progression de la pandémie est la plus rapide derrière l’Amérique du Nord.

La nouvelle variante de la Covid-19 en Afrique du Sud, où la situation sanitaire est hors de contrôle, est particulièrement agressive et représente la plupart des nouveaux cas. Dans la course à la vaccination, l’OMS craint un « nationalisme vaccinale », un chacun pour soi qui pénaliserait les pays n’ayant pas les moyens d’obtenir les précieuses doses pour se protéger de la Covid-19. L’Union africaine (UA) vient d’obtenir 270 millions de doses auprès de trois grands fournisseurs : Pfizer-Biotech, Astra-Zeneca (par l’intermédiaire du Serum Institute of India) et Johnson & Johnson. Toutes les doses seront utilisées cette année a promis Cyril Ramaphosa, l’actuel président sud-africain de l’UA. Ces doses s’ajoutent aux 600 millions de doses déjà promises par le mécanisme Covax mis en place par l’OMS et l’Alliance pour les vaccins (Gavi) qui vise à fournir des vaccins aux pays à faible revenu. Est-ce suffisant ? Avec deux doses par personne, l’Afrique aura besoin de 2,6 milliards de doses.

Le compte n’y est pas. Les premières doses de Covax qui seront disponibles au cours du premier semestre 2021 suffiront à peine pour vacciner les travailleurs de la santé. Au mieux, l’OMS espère voir vaccinés 20 % d’ici la fin de l’année 2021. Il faudra entre deux et trois ans pour vacciner au moins 60 % de la population et pour atteindre l’immunité collective. Une campagne beaucoup trop lente pour certains pays qui préfèrent jouer la carte du bilatéralisme plutôt que d’attendre. Des pays proches de la Chine, comme la RD Congo, négocient avec elle pour avoir le vaccin Sinopharm. D’autres, plus proches de la Russie, comme la Guinée, tentent de faire de même pour obtenir le vaccin Spoutnik-V. Conakry a demandé à Moscou de lui livrer deux millions de doses pour vacciner dans un premier temps un petit nombre de volontaires d’un certain âge. La Tanzanie fait cavalier seul le porte-parole du ministère de la santé vient de déclarer que son gouvernement n’avait pas l’intention d’importer des vaccins, mais qu’il fondait plutôt ses espoirs sur la recherche sur les «plantes locales». L’archipel des Seychelles est le premier pays africain à avoir commencé à vacciner toute sa population, avec le vaccin chinois Sinopharm. Mais le pays ne compte que 98 000 personnes. Loin des 214 millions de Nigérians. D’autres pays ont adopté une stratégie singulière. Pour de nombreux Sud-Africains, la façon de se faire vacciner le plus vite possible consiste à être volontaire pour participer à un essai clinique. Ce pays, comme le Kenya, l’ Égypte et le Maroc ont négocié avec les laboratoires pharmaceutiques des essais cliniques sur leur sol.

Ainsi le Maroc a participé aux essais de phase III du vaccin Sinopharm, dernière phase avant une possible homologation. En contrepartie, le pays a un accès prioritaire à dix millions de doses. Le royaume espère commencer sa campagne de vaccination en février et être en mesure de fabriquer le vaccin prochainement. Pour le continent africain, le défi est financier. Il est aussi logistique. Les vaccins inoculés en Europe ou aux États-Unis, ceux de Pfizer/ BioNTech et de Moderna, utilisent la technologie novatrice reposant sur l’ARN messager et nécessitent un stockage à très basse tempéra ture : -70 degrés pour le premier, -20 pour le second. Ce qui représente un véritable casse-tête logistique pour le distribuer, encore plus dans des régions isolées ou sous des chaleurs tropicales, dans les régions où le dernier kilomètre se fait à l’arrière d’une moto.

Le vaccin d’Astra-Zeneca présente deux avantages majeurs pour les pays africains : sa température de stockage se situe entre 2 et 8 degrés et les doses sont beaucoup moins chères, entre deux et trois dollars par injection contre 25 au minimum pour les deux autres. Reste à convaincre les Africains de recevoir des injections. Le plaidoyer ne sera peut-être pas aussi difficile qu’en France : selon une enquête menée par le Centre africain de contrôle et de prévention des maladies (Africa CDC) : 79 % en moyenne des Africains interrogés dans 15 pays se feraient vacciner contre le nouveau coronavirus si le vaccin était jugé «sûr et efficace».

Pierre Jacquemot
Pierre Jacquemot est senior economic advisor chez ESL.GOUV. A la fois universitaire et diplomate, il est ancien ambassadeur de France, au Kenya (2000-2003), au Ghana (2005-2008), puis en République Démocratique du Congo (2008-2011). Il a également été conseiller du Président du Sénégal, Abdou DIOUF. Depuis 2011, il est président du GRET - Professionnels du développement solidaire, chercheur associé à l’IRIS, collaborateur de l’Institut Nord-Sud d’Ottawa, et membre du Comité de direction du CIAN (Conseil des investisseurs français en Afrique). Il enseigne à Sciences Po-Paris, au CEFEB de Marseille et à 2iE de Ouagadougou.