Brève d’Haïti

28.10.2021 - Regard d'expert

Dans une tribune publiée par le Monde le 10 juillet dernier au lendemain de l’assassinat du Président Jovenel Moïse, j’avais appelé le gouvernement français à se réengager afin d’aider Haïti à sortir de « la marmite du diable » (l’expression est de Régis Debray). Je pensais à tort que les Haïtiens venaient de toucher le fond. Depuis lors, l’ancienne perle des Antilles françaises s’est rapprochée plus près encore du gouffre : après un séisme au mois d’août qui a dévasté le Sud et le Grand Ouest, immédiatement suivi d’une tempête tropicale, les habitants de la capitale assistent impuissants, et à un rythme désormais quotidien, à des enlèvements de masse et à la prolifération de gangs surarmés !

Les pays dits « amis » semblent tout aussi désemparés : à la frontière mexicano-américaine, des Haïtiens sont refoulés sans ménagement par des policiers américains à cheval, contraignant Joe Biden à faire acte de repentance et son émissaire en Haïti Daniel Foote à démissionner de son poste après avoir claqué la porte. Aux Nations Unies, la situation n’est guère meilleure : le mandat du Bureau juridique, qui n’a eu de cesse de légitimer la dérive autocratique du Président défunt, a été péniblement renouvelé d’un an. La France, qui a eu pourtant la Présidence du Conseil de sécurité en juillet dernier, n’a pas même essayé de réengager l’ONU au niveau qui devrait être le sien pour reprendre pied dans le pays : une force d’intervention robuste susceptible de soutenir la police nationale, qui seule n’y arrivera pas.

Dans ce contexte, Ariel Henry, médecin de formation et premier ministre sans légitimité, s’efforce d’avancer malgré tout. Il vient de remercier la commission électorale : c’était un préalable indispensable, de nouveaux membres devront être proposés. Cette étape sera cruciale pour la suite : la tenue d’élections, un Président et un gouvernement légitimes, mais aussi le retour progressif d’institutions qui n’existent plus que sur le papier (l’Assemblée nationale, le Sénat, la Cour constitutionnelle…).

Un nouvel ambassadeur de France vient également de prendre ses fonctions, il n’a pas de lettres de créances, puisqu’il n’y a plus personne à qui les remettre ! Fabrice Mauries connaît bien la région, il a pratiqué les arcanes onusiennes, ce qui lui sera utile. Dans son premier message à nos compatriotes, il rappelle à juste titre tout ce qui nous unit de longue date à cet îlot de la francophonie des Caraïbes. Il compte s’appuyer sur notre réseau culturel, nos écoles, sur une coopération vivante, qui connaît bien la réalité d’Haïti, ses faiblesses, mais aussi ses atouts, notamment son capital humain.

Et dans le chaos de 2021, les Lettres haïtiennes brillent malgré tout, comme un pied de nez au destin : avec Milwaukee blues, Louis-Philippe Dalembert figure dans la sélection du prix Goncourt ;  Jean d’Amérique, déjà remarqué pour son premier roman « Soleil à coudre », a été lauréat du prix RFI Théâtre 2021 pour «Opéra poussière» ; Frankétienne et Emmelie Prophète ont été distingués par l’Académie française.

Didier Le Bret
Didier LE BRET, associé senior ESL Network, est diplomate de carrière. Il est notamment nommé ambassadeur de France en Haïti en septembre 2009, fonction qu’il exerce jusqu’en décembre 2012. Durant sa mission, il aura eu à gérer et à coordonner la réponse française au séisme du 12 janvier 2010. Il dirige le Centre de crise du Quai d’Orsay de 2012 à 2015 avant d’être nommé Coordonnateur national du renseignement, auprès du Président de la République, fonction qu’il exerce de mai 2015 à septembre 2016.