2024, l’année de tous les dangers

22.12.2023 - Éditorial

L’année 2023 se termine. Il est bien difficile d’exprimer un point de vue positif tant les signaux opposés sont nombreux.

Au plan français, le vote sur le projet de loi immigration et en parallèle les multiples usages du 49-3 pour contourner l’absence de majorité absolue pour la majorité présidentielle à l’Assemblée et au Sénat illustrent une profonde crise démocratique et l’impossibilité d’Emmanuel Macron à gouverner notre pays. Quatre ans avant la fin de son mandat, le Président de la République est isolé, semble avoir perdu son flair politique, victime du syndrome de l’isolement élyséen, qu’ont connu avant lui certains de ses prédécesseurs, coupés des réalités sociales de notre pays. Il redoutait l’émergence d’une fronde dans sa majorité politique : 60 députés de sa majorité ont refusé de voter un texte de compromis sur l’immigration élaboré par LR et voté par le RN. Les frondeurs sont désormais là et bien présents. Sans que je prenne grand risque de me tromper, les élections européennes du printemps 2024 illustreront cette grave crise politique. On peut anticiper une forte poussée du RN et un effondrement de Renaissance, qui va perdre une partie de son socle électoral indigné d’un reniement des valeurs sur lesquelles Emmanuel Macron avait bâti ses succès de 2017 et 2022. 2024 risque d’être une année confirmant l’impossibilité de gouverner notre pays et de donner du sens à l’action publique.

Autour de nous, l’Europe risque également de connaître une année dangereuse. La montée de l’extrême droite est générale. Victoire en Italie, aux Pays-Bas, forte poussée en Allemagne et en France ; l’Europe démocratique vacille. Contestée sur ses valeurs, attaquée sur son modèle économique, poussée dans ses retranchements sur son modèle culturel, l’Europe est remise en question à la fois en son sein mais aussi sur les autres continents.

C’est à la fois inquiétant et surprenant. Inquiétant parce que l’Europe ne parvient pas à répondre à ces critiques, à ces remises en cause. L’économie européenne recule, poursuit sa désindustrialisation. L’Europe se défend, subit, n’est plus à l’offensive même si autour de Thierry Breton se multiplient les efforts de redéfinir dans certains secteurs une stratégie industrielle (espace, semi-conducteurs, batteries électriques, nucléaire). Ce déclin continu n’empêche pourtant pas l’attractivité du continent européen et de l’Occident.  Les flux migratoires, les déplacements climatiques et politiques ne s’y trompent guère, l’Europe continue d’exercer une forte attraction. Les réfugiés afghans et syriens ne vont ni en Chine, ni en Russie. Les migrations africaines continuent de se faire principalement vers l’Europe. Il en va de même pour le sous-continent indien qui envoie ses enfants vers l’Occident (en Angleterre, aux Etats-Unis).

L’Europe restera en 2024 fragile et inquiète car la guerre Ukraine-Russie se prolonge dangereusement. Elle se fige ou se gèle sur les frontières des conquêtes russes ou des contre-attaques ukrainiennes. Le soutien à l’Ukraine des pays européens ne se dément pas mais il reste fragile. Continuerons-nous à soutenir à une hauteur suffisante l’effort militaire ukrainien pour permettre aux Ukrainiens de résister aux offensives russes ? Le champ des négociations s’ouvrira-t-il entre la Russie et l’Ukraine ? Ou au contraire, la réélection certaine de Poutine entraînera-t-elle un regain des efforts russes sur le front ukrainien ? Comment traiterons-nous la demande pressante d’entrée de l’Ukraine au sein de l’Union ? Et quels seront les moyens effectifs mis en œuvre pour la reconstruction du pays ? Ces incertitudes sont immenses et pèsent sur le climat des affaires et le contexte politique des pays européens. Les élections européennes au printemps prochain seront un moment important et leurs résultats impacteront les engagements des Européens sur le front ukrainien. Or beaucoup de choses ne dépendent pas de nous.

2024 sera l’année des élections présidentielles américaines. L’éventuel retour de Donald Trump à la tête de la plus grande puissance mondiale, favori des sondages à moins d’un an de l’élection, porte des dangers considérables.

Danger d’abord pour la démocratie américaine, elle-même bousculée dans ses fondements et déchirée par des conflits et des divisions de plus en plus difficiles à concilier. Danger surtout parce que Trump réélu, ce serait vraisemblablement la fin du soutien financier des Etats-Unis à l’Ukraine, un risque de sortie des Américains de l’OTAN, un décrochage du soutien américain à l’Europe. C’est en tout cas le discours de Trump lui-même et de son proche entourage. On imagine le choc sur nos pays et sur l’Union européenne renvoyée à un face à face avec la Russie de Poutine. Trump réélu, les Etats-Unis renforceront leur pression sur la Chine dont ils sont l’adversaire résolu. Ce choc frontal que Trump annonce dans toutes ses prises de parole ferait peser sur le monde une menace d’une ampleur inconnue mais réelle dans la zone Pacifique et autour de Taïwan.

De même au Moyen-Orient, le conflit à Gaza, qui commence à prendre une dimension internationale avec l’entrée des Houtis dans le conflit, risque de voir se multiplier les attaques en Mer Rouge. Les contraintes liées au retraçage des routes commerciales maritimes pourraient être les premiers impacts globaux du conflit.

Ces incertitudes renforcent l’importance de nos métiers, la quête impérieuse des informations stratégiques qui permettent d’anticiper et de prendre des décisions maîtrisées en éliminant les risques. La complexité du monde rend plus que jamais nécessaire de maîtriser les rapports de force, d’élaborer des stratégies d’influence et de les mettre en œuvre avec tous les outils du lobbying et de la diplomatie d’affaires. C’est l’ambition de nos groupes.

Vous souhaiter de bonnes fêtes de Noël dans ce contexte un peu lourd peut paraître décalé. C’est pourtant ce que je fais en mon nom personnel mais aussi au nom d’ESL, d’Antidox et du comité de rédaction de notre Newsletter piloté d’une main de fer par Eugénie, épaulée par Nicolas et Charlène. Bonnes et heureuses fêtes de Noël, bonne fin d’année. Et à très vite en début d’année prochaine.

Alexandre Medvedowsky
Alexandre Medvedowsky est un ancien élève de l’Ecole Nationale d’Administration (promotion Denis Diderot, 1984-1986). Magistrat au Conseil d’Etat à partir de 1986, il siège au cabinet de Laurent Fabius alors président de l’Assemblée Nationale de 1990 à 1992. De 1998 à 2001, il est professeur associé à l’Université d’Aix-Marseille III et enseigne à l’IEP de Paris jusqu’en 2006. Il a été conseiller des Bouches-du-Rhône de 1998 à mars 2015. Nommé conseiller d’Etat en juillet 2001, il rejoint ESL & Network Holding la même année et intègre le Directoire d’ESL & Network Holding, dont il est nommé président le 1er janvier 2013. Il a été élu président du SYNFIE, le syndicat français de l’intelligence économique en mai 2014.