« La suspension du décret de dissolution des Soulèvements de la Terre est inquiétante »

08.09.2023 - Regard d'expert

Ce vendredi 11 août, le Conseil d’État a suspendu en référé la dissolution du collectif qui avait été prononcé par un décret du 21 juin en Conseil des ministres. Noëlle Lenoir, membre honoraire du Conseil constitutionnel et Jean-Éric Schoettl, ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel, estiment que cette annulation temporaire légitime le recours à la violence.

Pour ceux qui restent convaincus – et ils sont fort heureusement nombreux en France – que la violence n’est pas justifiable dans un État de droit, la décision du Conseil d’État, suspendant le décret de dissolution de l’association « Les Soulèvements de la Terre » (pris en Conseil des ministres le 21 juin dernier) interpelle. Plus encore, sa motivation peut inquiéter, eu égard au goût pour la violence de nombre de groupements associatifs et politiques en France.

L’affaire était importante car il s’agissait d’appliquer une disposition cruciale et récente de l’article L212-1 du code de la sécurité intérieure relative à la dissolution, par décret en conseil des ministres, « de toutes les associations ou groupements de fait » qui « provoquent (…) à des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens » (1° de l’article). La possibilité de dissoudre des associations, prévue dans la loi de 1901 sur la liberté d’association, s’était révélée peu efficace face aux manifestations insurrectionnelles de l’entre-deux-guerres. On doit à Léon Blum, président du Conseil, l’adoption de la loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et les milices privées. Celle-ci prévoyait la dissolution des associations provoquant à des « manifestations armées ». Mais c’est la loi du 24 août 2021 confortant les principes de la République qui, pour permettre d’appréhender toutes les formes de violence nouvelles, a prévu également la dissolution des associations provoquant « à des agissements violents à l’encontre des personnes et des biens ». C’est la base juridique du décret de dissolution de l’association les « Soulèvements de la Terre ».

Le recours à la violence

Or, qu’a jugé le Conseil d’État, saisi en référé, pour suspendre le décret de dissolution des « Soulèvements de la Terre » ? Il a d’abord estimé qu’il y avait urgence à statuer. C’est peu contestable. Mais le référé suspension exige plus : un moyen suscitant, en l’état de l’instruction, un doute sérieux sur la légalité de la mesure attaquée. Le Conseil d’État a considéré qu’un tel « doute sérieux » existait sur le fait de savoir si le collectif provoquait à des agissements violents à l’encontre des personnes et des biens.

Or, qu’a jugé le Conseil d’État, saisi en référé, pour suspendre le décret de dissolution des « Soulèvements de la Terre » ? Il a d’abord estimé qu’il y avait urgence à statuer. C’est peu contestable. Mais le référé suspension exige plus : un moyen suscitant, en l’état de l’instruction, un doute sérieux sur la légalité de la mesure attaquée. Le Conseil d’État a considéré qu’un tel « doute sérieux » existait sur le fait de savoir si le collectif provoquait à des agissements violents à l’encontre des personnes et des biens.

Antérieurement, dans un appel à « stopper les méga-bassines », les Soulèvements de la Terre vantaient en ces termes l’action des militants, le 6 novembre 2022, à Mauzé-le-Mignon : « Un élément de l’installation de pompage qui alimentait cette bassine a été démonté par des paysan ne s. Une fois la foule montée sur le talus de la bassine, un débâchage a été effectué pour la mettre hors d’état de nuire. Cette action collective de désarmement témoigne de la nécessité assumée, au vu de l’urgence climatique, d’utiliser les outils de la désobéissance civile quand des projets écocidaires passent en force. » À l’audience de référés, Pascale Léglise, directrice des libertés publiques au ministère de l’intérieur, avait exposé en quoi le collectif incitait à des violences graves contre les biens. Des violences pas seulement symboliques, des violences actives allant au-delà de la notion de désobéissance civile (qui est un comportement passif consistant en un refus d’obéir pour des raisons morales). Seule face à une cohorte d’avocats représentant les multiples associations requérantes, elle a analysé en détail la responsabilité du collectif dans la provocation à la violence, évoquant notamment des « appels à tout brûler » et des « tutoriels » de destruction des canalisations.

Décision inquiétante

Certes, le Conseil d’État n’a pas tranché le fond à titre définitif. Toutefois, en suspendant la dissolution des « Soulèvements de la Terre », il a exprimé son « doute sérieux » sur la légalité du décret. Aussi tous ceux qui croient que rien ne légitime la violence politique en démocratie ont-ils des raisons de s’inquiéter de cette décision.

Pour le respect de la volonté du législateur d’abord. Les travaux préparatoires de la loi sont clairs : toute provocation à la violence – indépendamment de ses conséquences – doit pouvoir conduire à la dissolution du groupement qui la prône. Des agissements du type de ceux encouragés par les Soulèvements de la Terre tombent sous le coup de la loi. Ainsi, le président de la commission spéciale d’examen du projet de loi dont est issue la loi du 24 août 2021 stigmatisait ceux « qui utilisent la liberté d’association (…) pour commettre des actes contraires à l’ordre public, des actions illégales ».

Deuxième motif d’inquiétude : pour le dévoiement de la liberté d’expression. Selon l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, « la liberté consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ». Or les actes de sabotage contre les mégabassines nuisent évidemment aux coopératives agricoles qui les ont régulièrement installées, sans parler des projectiles dangereux.

Deuxième motif d’inquiétude : pour le dévoiement de la liberté d’expression. Selon l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, « la liberté consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ». Or les actes de sabotage contre les mégabassines nuisent évidemment aux coopératives agricoles qui les ont régulièrement installées, sans parler des projectiles dangereux.

Paru dans Marianne le 11 août 2023

Noëlle Lenoir
Noëlle Lenoir est spécialisée en droit de la conformité, droit public, droit de la protection des données personnelles, régulation et concurrence, au niveau national, européen et international. Ministre des Affaires Européennes de 2002 à 2004 elle a aussi été la première femme et plus jeune membre jamais nommée au Conseil Constitutionnel (1991-2001). Noëlle Lenoir est également membre de de l’Académie française des Technologies et vice-présidente de la Chambre de Commerce Internationale (section française). Elle est, depuis mai 2017 l’un des trois membres du panel d’experts indépendants chargé de suivre les politiques et procédures de compliance chez Airbus.