Peut-on parler d’une réconciliation entre les États-Unis et l’Arabie Saoudite?
La visite qu’a effectuée le secrétaire d’État américain à Riyad, au cours de laquelle il a rencontré le prince héritier saoudien et a participé à une réunion du CCEAG, avait un objectif clair : rassurer les alliés de Washington dans le Golfe sur la pérennité de son engagement à leur côté.
En réalité, l’administration Biden est préoccupée par la multiplication des gestes de distanciation de Riyad à l’égard de son « protecteur » traditionnel : rétablissement des relations diplomatiques avec l’Iran, réintégration de la Syrie de Bachar el Assad lors du sommet de la Ligue Arabe à Djeddah, réduction de la production pétrolière saoudienne, adhésion à l’Organisation de Coopération de Shangaï, et rapprochement en cours avec les BRICS.
Washington souhaite naturellement préserver l’intérêt des entreprises américaines sur le juteux marché saoudien, et faire passer le message que les dernières initiatives diplomatiques de Riyad donnent l’impression aux Etats-Unis que l’Arabie Saoudite joue un peu trop la carte chinoise. Les négociations en cours entre l’Arabie et la Chine sur le paiement en Yuan d’une partie des importations chinoises de brut saoudien sont notamment perçues à Washington comme un signal inquiétant.
C’est la raison pour laquelle M. Blinken est venu faire le point avec les autorités saoudiennes sur la relation bilatérale, afin de trouver un nouvel « understanding » sur une série de sujets : la sécurité, le pétrole, les contrats, et les questions régionales : Soudan, Yémen, Syrie, Liban, Iran…
Du côté saoudien, il est clair que MBS a le sentiment qu’il a réussi, par ses initiatives diplomatiques, à jouer un rôle important sur la scène internationale, mais aussi à rééquilibrer la relation entre les deux pays en faisant comprendre que désormais, il entendait avoir une relation « transactionnelle » avec les États-Unis.
Il est en effet de notoriété publique que les Américains font pression sur le royaume pour qu’il rejoigne les accords d’Abraham en reconnaissant l’État d’Israël. Une telle décision – outre son impact international — pourrait naturellement être exploitée par Biden dans la perspective de la prochaine élection présidentielle aux États-Unis.
La réponse saoudienne est prudente pour deux raisons :
- La politique répressive actuelle du gouvernement Netanyahou à l’égard des Palestiniens n’incite guère Riyad à faire le geste demandé
- Les Saoudiens sont conscients qu’ils disposent là d’une carte majeure vis-à-vis tant d’Israël que des États-Unis, et ils n’ont pas l’intention de gâcher leur joker.
Il est donc probable que Riyad exige en retour des garanties en matière de livraisons d’équipements militaires, un assouplissement des conditions américaines pour le développement du programme nucléaire saoudien, et bien sûr un geste israélien sur la question palestinienne, permettant de parvenir à une solution acceptable. Le roi Salman n’entend en effet pas « vendre la Palestine », selon l’expression consacrée.
Naturellement, les Saoudiens sont parfaitement conscients qu’ils dépendent encore largement des États-Unis en matière de sécurité, et ils attendent par ailleurs de voir si Téhéran et Damas « délivrent » sur leurs engagements en échange des ouvertures faites par Riyad à leur égard, ce qui reste à voir . Il s’agit en particulier de trouver une solution honorable à la guerre au Yémen et de mettre un terme au trafic de Captagon en provenance de Syrie.
Il n’y a pas eu d’annonce précise faite à l’issue de la visite de M. Blinken à Riyad, mais la volonté des deux parties de normaliser leurs relations est évidente. Il reste à savoir jusqu’où l’administration Biden est prête à aller pour améliorer ses rapports avec l’Arabie, mais aussi ce que Téhéran et Damas sont disposés concrètement à faire pour attirer les fonds saoudiens chez eux, ce qui est leur principal objectif.
L’Arabie Saoudite entend, elle, dialoguer avec tout le monde, alliés et adversaires d’hier, mais elle jugera ses partenaires aux actes, et agira en conséquence.