UE: affaire Google, signe de force ou aveu de faiblesse ?

30.06.2023 - Regard d'expert

En apparence, les jeux sont faits, et le mot a été prononcé : démantèlement. C’est l’interprétation usuelle qui a été faite de l’annonce le 14 juin par la Commission européenne de l’envoi d’une notification des griefs par laquelle il est reproché à Google un abus de position dominante, et de l’emploi de l’expression « remèdes structurels ».

Bien sûr, on pourrait rappeler qu’il ne s’agit pas d’une décision, mais d’une étape, dans une procédure au long cours. Google se fera fort de contrer les arguments de la Commission, promettant une bataille homérique, sous le regard sourcilleux d’un juge européen qui régulièrement annule en tout ou partie les décisions de la Commission.

Reste que parler de démantèlement, c’est médiatiquement frapper un grand coup. Car c’est faire référence à une bataille légendaire : le découpage de la Standard Oil. Plutôt qu’une preuve de force, il se pourrait, paradoxalement, que cette affaire — sur laquelle il est peu prudent de parler au fond — soit en réalité un aveu de faiblesse, à trois titres.

Aveu de faiblesse européen. L’Union européenne (UE) a depuis 2014 et la Commission Juncker fait du numérique une priorité. Mais les faits sont têtus : la tech américaine reste à la pointe de l’innovation. Alors qu’un texte sur l’IA vient d’être présenté au Parlement, l’ancien secrétaire d’Etat français au Numérique en dénonce les limites. Au fond, toujours les mêmes : ne pas comprendre qu’il ne suffit pas de réguler ou sanctionner, tropismes européens fondamentaux. Et si on parle de Google aujourd’hui, l’une des questions du moment pour la Commission est d’ouvrir ou non une enquête sur les comportements de Microsoft dans le cloud.

Aveu de faiblesse pour ce qui concerne la sanction des pratiques anticoncurrentielles. L’abus d’abord. Car le grand fait de cette Commission, c’est d’avoir largement — contre l’avis des services de la concurrence — considéré que l’article 102 du traité, sur les abus et leur sanction ex-post, ne suffisait plus dans le numérique. C’est la raison pour laquelle un contrôle ex-ante (avec le Digital Markets Act) a été créé. Dans ce contexte, la tentation est forte pour Margrethe Vestager, la commissaire à la Concurrence, dès qu’elle le peut, de montrer qu’il faut encore compter avec elle et ses outils éprouvés, ici contre Google.

Aveu de faiblesse, enfin, de la part d’une Commissaire à la concurrence sortante face à ce qui restera la marque de cette Commission : la montée en puissance, menée par Thierry Breton, d’une vision française plus dirigiste, hostile à la politique de la concurrence. En est-il témoignage plus grand que la disparition désormais admise, programmée, du régime de contrôle des aides d’Etat ?

De tout ceci, une conclusion émerge : la Commission se « francise ». Elle fait moins de droit de la concurrence. Plus de politique de la concurrence. La nuance est essentielle.

Paru dans l’Opinion le 15 juin 2023

Bruno Alomar
Bruno ALOMAR est diplômé de l’IEP de Paris, d’HEC et de l’Ecole de Guerre. Ancien élève de l’ENA, il est également titulaire d’un LLM de l’Université Libre de Bruxelles. Cet économiste français a travaillé au ministère des Finances et à la Commission européenne (en tant que haut fonctionnaire à la DG COMP, Direction générale de la concurrence) et a enseigné les questions européennes à Sciences Po Paris et à l'IHEDN. Auteur de La réforme ou l’insignifiance : dix ans pour sauver l’Union européenne (Ed. Ecole de Guerre – 2018), Bruno ALOMAR commente régulièrement l’actualité, et notamment les questions européennes, à travers des chroniques publiées dans divers médias français. Depuis 2020, il est également PDG de New Horizon Partners, une société spécialisée dans le conseil en relations publiques et communication.