L’Arabie Saoudite signe un accord de coopération militaire avec la Russie

09.09.2021 - Regard d'expert

Le vice-ministre saoudien de la Défense – le prince Khaled ben Salman, fils du Roi et frère du prince héritier Mohamed ben Salman (MBS) – a annoncé le 23 août sur Twitter qu’il avait signé avec son homologue russe, Alexandr Formin, un accord de coopération militaire, à l’occasion du Forum « Armée 2021 » tenu à Moscou.

Il a ajouté qu’il avait également rencontré le ministre russe de la Défense Sergei Shoigu afin « d’explorer les moyens de renforcer la coopération militaire et de défense » et qu’ils avaient discuté de « leur effort commun pour préserver la stabilité et la sécurité de la région ». Les détails de l’accord signé ne sont pas connus, mais les termes employés par les deux ministres laissent entendre qu’il s’agit à ce stade d’une sorte de lettre d’intention.

La question se pose naturellement si des négociations de vente d’armement sont d’ores et déjà engagées. Je rappelle qu’en juin 2017 la Russie avait annoncé qu’elle avait commencé à exporter de l’équipement militaire à l’Arabie Saoudite – sans plus de précision – mais qu’en octobre de la même année, Rosoboronexport avait déclaré être parvenu à un accord pour la fourniture de missiles S-400, de systèmes de missiles anti-chars Kornet-EM, de lance-flammes TOS-IA, de lanceurs de grenades AGS 30 et de fusils Kalashnikov AK-103. Le ministre de la Défense russe s’est contenté pour sa part de déclarer : « Nous avons pour objectif un développement progressif de la coopération militaire dans tous les domaines d’intérêt commun ». Il a ajouté que les systèmes d’armes russes avaient prouvé leur efficacité en Syrie. Le fait que l’Arabie Saoudite ait signé un tel accord de coopération militaire avec la Russie est en soi significatif, quand on sait que, traditionnellement, le royaume s’appuie sur l’assistance américaine et occidentale pour sa sécurité.

Cet accord intervient en effet au moment où les Etats-Unis se désengagent d’Afghanistan dans les conditions que l’on sait, donnant à l’Arabie le sentiment de ne plus pouvoir compter totalement sur Washington. En outre, les relations de MBS avec l’administration Biden – critique de plusieurs aspects de sa politique – n’ont plus la même qualité qu’avec l’administration Trump. L’accord avec la Russie peut donc être interprété comme un signal à l’administration américaine.

Certes, les Saoudiens sont bien conscients que Moscou ne constitue pas une alternative à Washington comme garantie de sa sécurité ; mais Riyad prend en compte le nouveau rôle régional de la Russie – en Syrie et comme partenaire de l’Iran – en ouvrant ses options. L’annonce d’exercices navals conjoints entre la Chine, la Russie et l’Iran dans le Golfe ne peut qu’inciter l’Arabie à ménager Moscou. Il est aussi clair que, ce faisant, Riyad espère amener Washington à être moins critique à son égard, quand on sait que les entreprises américaines d’armement n’entendent pas laisser échapper au profit de Moscou une part de leur juteux marché saoudien. Sauf détérioration importante de la relation américano-saoudienne, il est donc peu probable que les Saoudiens acquièrent des missiles S-400, ce que l’on sait être une ligne rouge pour Washington. Mais la coopération militaire saoudo-russe pourrait se développer progressivement, surtout si Riyad a le sentiment que l’administration Biden poursuit le désengagement américain de la région au profit d’autres zones jugées plus stratégiques.

Bertrand Besancenot
Bertrand BESANCENOT est senior advisor chez ESL Network. Il a passé la majorité de sa carrière au Moyen Orient en tant que diplomate français. Il est notamment nommé Ambassadeur de France au Qatar en 1998, puis Ambassadeur de France en Arabie saoudite en 2007. En février 2017 il devient conseiller diplomatique de l’Etat puis, après l’élection d’Emmanuel MACRON en tant que Président de la République, Émissaire du gouvernement du fait de ses connaissances du Moyen Orient.