Immigration : Trois idées fausses

05.05.2023 - Éditorial

La question de l’explosion démographique de l’Afrique subsaharienne – qui verra sa population plus que doubler d’ici 2050 – croise, dans l’imaginaire européen, celle d’une ruée de migrants se déversant sur les rives du Vieux Continent. Trois affirmations, qui nourrissent les préjugés et les peurs et qui font le lit des positions extrêmes, sont contestables.

1ère affirmation – L’Europe de 2050 sera peuplée à 25 % d’immigrés subsahariens

Le Vieux Continent comptera 150 à 200 millions d’Afro-Européens dans trente ans. « Un quart des habitants de l’Europe seront « africains » en 2050 », voire « plus de la moitié des moins de trente ans », a écrit Stephen Smith dans La Ruée vers l’Europe (Grasset, 2018).

C’est faux ! Du haut de la chaire Migrations et sociétés au Collège de France, François Héran rétorque dans une note, construite sur la « matrice bilatérale des migrations », qui recense depuis vingt ans le nombre de natifs d’un pays résidant ailleurs, que cette invasion est un mirage. L’ordre de grandeur le plus réaliste est cinq fois moindre. Les Subsahariens, dont le nombre va certes fortement augmenter dans leur pays, mais dont les migrants ne représentent que 1 % de la population européenne (1,5 % de la population française) représenteront tout au plus 3 ou 4 % de la population des pays du nord en 2050.

Pourquoi pas davantage ? Parce qu’il n’y a pas de parfait vase communiquant entre d’un côté l’augmentation rapide de la population et de l’autre celle de la migration intercontinentale. « Les immigrés subsahariens installés dans les pays de l’OCDE pourraient représenter en 2050 au plus 2,4 %  » précise F. Héran. Une hausse importante certes, mais ne permettant en aucun cas de parler d’invasion, même en ajoutant la seconde génération.

De plus, rien n’indique que les futurs migrants se tourneront tous vers l’Europe. Lorsqu’ils partent, les Subsahariens choisissent d’abord les pays limitrophes. 70 % s’installent dans un autre pays africain, 25 % se répartissent entre le Golfe et l’Amérique du Nord et 15 % seulement viennent en Europe. Et la France n’est pas un pays si attractif pour les étrangers.

2ème affirmation – La pauvreté est la source de la migration

Faux, également ! Du moins à l’échelle macro-sociétale.

L’Afrique subsaharienne émigre peu, moins que l’Amérique centrale, l’Asie centrale ou les Balkans. En raison même de sa pauvreté.

Pour quelles raisons ? Les mouvements des populations aujourd’hui confirment un résultat connu depuis les travaux de Wilbur Zelinky (1970). Ce ne sont pas les plus pauvres, les sans-qualifications, qui émigrent.

Deux explications reviennent le plus souvent :

– Les personnes ayant une qualification sont celles qui ont la plus forte propension à migrer, car elles auront l’opportunité de trouver le financement de leur départ, de gérer la route souvent périlleuse de la migration puis de trouver un travail à l’étranger.

– Il leur sera plus facile de rejoindre un pays où se trouve déjà une diaspora importante, laquelle est un facteur d’amplification de l’émigration.

Contrairement à une idée reçue, le développement économique crée un climat favorable à l’émigration. Il faudrait ajouter d’autres facteurs comme l’urbanisation où se diffuse l’information sur les « routes » de la migration, où se distend le lien social et où se multiplient les possibilités de financement des départs.

3ème affirmation – L’aide au développement est le moyen le plus efficace pour limiter l’émigration

Encore faux ! Du moins partiellement. Dans les pays pauvres d’Afrique , et contrairement à une idée reçue fortement enracinée dans l’esprit des décideurs publics notamment français, l’aide au développement n’a jamais permis de juguler les flux migratoires . Loin de là.  Et peut-être même au contraire.

Lorsqu’elle contribue à améliorer le sort des jeunes en leur donnant une compétence et une ouverture intellectuelle grâce à un programme de formation, elle leur confère une grande aptitude à migrer. À moins que le programme soit ancré dans les réalités locales et rigoureusement conçu pour répondre aux difficultés auxquelles se heurtent les jeunes, avec un accompagnement de leur parcours d’insertion professionnelle et sociale.

Dans un contexte européen de montée du populisme xénophobe, le risque est de faire des migrations une question principalement sécuritaire et identitaire au lieu de l’aborder comme un enjeu global. Par temps de crise, l’autre est de trop. Les idées erronées formulées pour conforter les préjugés de l’opinion souvent hostile aux migrants contrarient en fait le jeu des mobilités indispensables au vrai développement. Les migrants sont des acteurs à part entière de la transformation et des changements politiques, ici comme là-bas, en y contribuant par leurs apports intellectuels, financiers, techniques et culturels.

Pour l’admettre et en tirer ensuite les conséquences, il faut renverser l’approche et considérer, sans équivoque, que les mobilités sont à la fois une ressource et un moteur de la transformation structurelle pour les territoires qui sont concernés, ici comme là-bas. Faire de l’aide l’instrument de régulation des migrations n’est pas une bonne idée, comme ne le sont pas davantage les entraves systématiques dans la délivrance des visas contrariant la mobilité nécessaire. En revanche, faire de l’aide un instrument de valorisation des apports des migrants aurait un sens. Il conviendrait donc de prendre en compte les approches « diasporiques » et de soutenir plus stratégiquement les initiatives, notamment entrepreneuriales, mais pas seulement, de la société civile issue des migrations.

Pierre Jacquemot
Pierre Jacquemot est senior economic advisor chez ESL.GOUV. A la fois universitaire et diplomate, il est ancien ambassadeur de France, au Kenya (2000-2003), au Ghana (2005-2008), puis en République Démocratique du Congo (2008-2011). Il a également été conseiller du Président du Sénégal, Abdou DIOUF. Depuis 2011, il est président du GRET - Professionnels du développement solidaire, chercheur associé à l’IRIS, collaborateur de l’Institut Nord-Sud d’Ottawa, et membre du Comité de direction du CIAN (Conseil des investisseurs français en Afrique). Il enseigne à Sciences Po-Paris, au CEFEB de Marseille et à 2iE de Ouagadougou.