États-Unis : qu’attendre des quatre prochaines années avec Trump ou Biden comme président ?

17.09.2020 - Éditorial

Si Trump devait rester quatre ans de plus à la Maison Blanche, la société américaine et la face du monde en seraient durablement changées, pour le pire. Pour la première fois de l’histoire, le candidat soutenu par la convention du parti Républicain n’a pas présenté de programme. On est simplement passé de « Make America Great Again! » il y a quatre ans à « Keep America Great! » cette année.

La continuité l’emporterait donc. Quelles en seraient les conséquences ? En politique intérieure, Trump enracinerait dans le Parti Républicain, totalement sous son contrôle, le populisme qui est sa marque de fabrique. Rappelons-nous que les Etats-Unis ont connu dans les années 1950 une terrible vague de chasse aux sorcières : le Maccarthysme face au « péril rouge ». Cette fois-ci c’est le « péril jaune » qui mobilise le pays. En outre Trump n’hésiterait pas à exacerber les tensions raciales comme il le fait aujourd’hui pour mobiliser l’électorat blanc. Beaucoup dépendrait cependant du résultat des autres élections du 3 novembre : si, comme il est probable, Trump ne parvenait pas à obtenir une majorité républicaine à la Chambre des Représentants, et si, pire pour lui, il perdait la courte majorité dont il dispose au Sénat, les États-Unis entreraient dans une période de cohabitation tendue, paralysante, qui aurait au moins le mérite de limiter les dégâts. Ajoutons que le pouvoir des États fédérés est considérable : les États démocrates de la côte Ouest et de la côte Est mobiliseraient leurs moyens pour mettre en oeuvre leur propre politique, avec des effets positifs, mais aussi des risques comme on le voit dans la gestion fracturée et erratique du Covid. Sur le plan économique, Trump poursuivrait sa politique ultra-libérale avec pour principal critère de succès les cours de Wall Street.

Et pour conséquence des inégalités croissantes qui font des États-Unis le pays de l’OCDE de loin le plus inégalitaire : les 10% les plus riches détiennent 80% du patrimoine net, tandis que les 60% les moins aisés n’en détiennent que 2%. L’influence de Trump durerait même au-delà de son second mandat à travers son pouvoir de nomination des juges. Sur les neuf juges de la Cour Suprême, les deux plus âgés, que je connais bien et qui sont remarquables, sont libéraux : Justice Ginsburg (87 ans) et Justice Breyer (82 ans). Trump, qui a déjà nommé deux juges jeunes et très conservateurs, rêve de remplacer les deux doyens par des juges issus de l’extrême droite américaine, donnant à la Cour Suprême, pour des décennies, une orientation ultra-conservatrice sur des sujets qui mobilisent son électorat comme la remise en cause du droit à l’avortement. En politique étrangère, cela voudrait dire la poursuite par Trump de la déconstruction de l’ordre mondial bâti par tous ses prédécesseurs depuis 1945, la poursuite du désengagement des Nations Unies, de l’OMS et d’autres institutions internationales, y ouvrant un boulevard à l’influence croissante de la Chine. Cela voudrait dire aussi le rejet confirmé de toute implication américaine dans les conflits régionaux (à l’exception de l’Extrême-Orient, face à la Chine), comme dans les grandes causes dont dépend l’avenir de la planète, de la lutte contre le changement climatique au combat contre les pandémies. Cela voudrait dire que les alliés, notamment l’Union européenne, ne seraient pas mieux traités que les adversaires de l’Amérique. Cela voudrait dire enfin la poursuite du découplage de l’économie mondiale en deux blocs antagonistes, l’américain et le chinois, posant un défi majeur à l’Union européenne : si elle ne parvenait pas à s’affirmer comme un acteur rassemblé et autonome dans tous les domaines clés, elle deviendrait le terrain de jeu privilégié de la rivalité entre ces deux géants. En un mot, huit années de Trump changeraient la face du monde pour le pire et de façon sans doute irrémédiable. Si Biden l’emportait, entouré d’une équipe expérimentée, l’ancien vice-président d’Obama aurait à coeur de revenir à ce qu’il a vécu à ses côtés.

À l’intérieur, il mettrait en oeuvre son programme de réformes, solide et socialement « centriste », pour faire face aux conséquences sanitaires, sociales et économiques dramatiques du Covid. Il supprimerait les baisses d’impôts décidées par Trump et taxerait davantage les plus riches. Les États-Unis investiraient massivement dans les infrastructures, notamment pour préparer l’ère des véhicules électriques, dans la lutte contre le changement climatique comme dans les nouvelles technologies, en particulier la 5G. Comme l’UE, ils chercheraient à rapatrier (ou au moins à rapprocher) un certain nombre de chaînes de production d’importance stratégique. À l’extérieur, ce programme, adopté lors de la convention démocrate, indique que les États-Unis réaffirmeraient d’emblée leur engagement dans les institutions multilatérales, de l’ONU à l’OMC. Ils souligneraient l’importance de leurs alliances. Ils redeviendraient membres de l’accord de Paris sur le climat et examineraient notamment avec l’UE comment mettre en place des taxes carbone aux frontières. Ils rejoindraient l’accord nucléaire sur l’Iran en essayant de le compléter. Le seul domaine où la continuité avec les années Trump devrait l’emporter est la relation avec la Chine : le refus de voir l’empire chinois devenir la première puissance du monde au moment même où il se durcit à l’intérieur comme à l’extérieur, rassemble Républicains et Démocrates et, au-delà, mobilise l’« Etat profond ». Mais la méthode serait différente : contrairement à Trump, Biden s’efforcerait de rassembler le « camp occidental » pour imposer à la Chine le respect des règles du jeu qui fondent l’ordre international, notamment dans le cadre d’une OMC rénovée. Une de ses premières initiatives internationales serait d’ailleurs la tenue d’un « sommet des démocraties ».

Enfin, et peut-être surtout, Biden aurait à coeur de restaurer ce qui unissait naguère les 330 millions d’Américains : une vision partagée, ce rêve américain qui faisait rayonner l’Amérique dans le monde entier. Beaucoup dépendrait alors de l’attitude du parti Républicain : saurait-il échapper rapidement à l’emprise de Trump et se reconstruire sur la base de ses valeurs traditionnelles ? Mes onze années de vie professionnelle aux États-Unis ont enraciné en moi une conviction : « Never underestimate America! ».

Jean-David Levitte
Jean-David Levitte est senior policy advisor pour le groupe ESL Network. Il a eu une carrière diplomatique remarquable, marquée dans un premier temps par un passage à l’Elysée aux côtés du Président Giscard d’Estaing de 1975 à 1981. De 1995 à 2000, il a été le Conseiller diplomatique et Sherpa du Président Jacques Chirac. Entre temps, il a notamment occupé les fonctions d’Ambassadeur de la France aux Nations Unies à Genève. De 2007 à 2012 il a été le conseiller diplomatique et Sherpa du Président Nicolas Sarkozy. De 2003 à 2007 il a été Ambassadeur à Washington pendant la difficile période de la guerre en Irak. De 2000 à 2002 il a été Ambassadeur à l’ONU à New York, présidant le Conseil de Sécurité lors des attaques du 11 septembre 2001.