L’Union européenne ne doit pas rater la possibilité de développer une filière hydrogène décarboné

17.02.2023 - Regard d'expert

Alors que l’UE a fait du développement de l’hydrogène une de ses priorités énergétiques, les pays membres sont aujourd’hui divisés en deux camps, s’inquiète l’économiste dans une tribune au “Monde”.

L’Union Européenne (UE) a fait du développement de l’hydrogène une priorité. Le plan REPowerEU a fixé des objectifs ambitieux d’ici à 2030. Le droit de la concurrence a fait une entorse à son rejet des aides d’État en reconnaissant que l’hydrogène pouvait constituer un projet important d’intérêt européen commun (PIIEC) dont les deux premières vagues (portant sur la fabrication des technologies clés et le développement des usages) représentent 10,6 milliards d’euros d’autorisations d’aides d’État par la Commission. La création d’une banque de l’hydrogène a été décidée, dotée de 3 milliards d’euros.

Sur le plan normatif, l’UE est aussi en train d’agir au travers du projet actuellement en discussion de révision de la directive sur l’énergie renouvelable (dit “RED 3”) et de la directive hydrogène et gaz. Le projet RED 3 donne une impulsion majeure à l’hydrogène en fixant – du moins est-ce la proposition de la Commission – des objectifs ambitieux d’hydrogène renouvelable électrolytique, c’est-à-dire d’hydrogène produit par fragmentation de la molécule d’eau, d’ici à 2030 et 2035 dans l’industrie.

Est-ce à dire que tout soit pour le mieux ? Sans doute pas. Car l’un des points essentiels de cette réforme est la prise en compte du type d’énergie primaire utilisé pour atteindre cette cible. L’UE est divisée. Huit États membres, réunissant la France et sept États d’Europe centrale et orientale – dont la Hongrie et la Pologne – ont envoyé, le 25 octobre 2022, une lettre à la Commissaire à l’énergie, demandant que l’hydrogène décarboné d’origine nucléaire soit pris en compte dans les objectifs retenus.

 

Une question environnementale

La disposition a été reprise par la présidence tchèque de l’UE, et soutenue par une coalition industrielle dans un courrier du 28 novembre, réunissant autour de France Hydrogène les représentants des filières européennes des futurs principaux utilisateurs d’hydrogène décarboné.

Plusieurs États membres s’y opposent. L’Allemagne, après avoir rejoint la position française à travers l’accord de solidarité énergétique du 25 novembre, a changé sa position, combattant en décembre la position française.

La déclaration franco-allemande du 22 janvier semble sceller une nouvelle entente entre les deux Etats, qui s’engagent à veiller à ce que l’hydrogène “puisse être pris en compte dans les objectifs de décarbonation fixés sur le plan européen”. Cet accord pourrait permettre de faire aboutir les négociations sur la directive énergies renouvelables dans les prochaines semaines, s’il est suivi cette fois d’effets réels dans les pourparlers européens.

Qu’il soit permis ici de dire les choses clairement : il est impératif, pour une série de raisons, que l’hydrogène décarboné, c’est-à-dire produit à partir d’énergie nucléaire, soit pris en compte dans les objectifs de l’UE.

D’abord, il s’agit d’une question environnementale. Si l’UE souhaite décarboner son économie, il y aurait quelque paradoxe, alors qu’elle s’est si lourdement trompée au cours des deux dernières décennies, à ne pas faire flèche de tout bois. C’est d’ailleurs ce qu’exigent les objectifs très ambitieux – dont il faut être fiers – dont elle s’est dotée.

 

Souveraineté européenne

C’est aussi une question essentielle pour la France, compte tenu de l’importance de la production d’électricité d’origine nucléaire. Les autorités l’ont bien compris. Cette question n’est d’ailleurs pas sans poser des difficultés. Le président de TotalEnergies le soulignait récemment : si la France veut développer une filière hydrogène, les besoins en électricité seront largement supérieurs aux moyens dégagés par le plan de relance du nucléaire.

Plus largement, prendre en compte dans les objectifs européens l’hydrogène décarboné est essentiel pour l’industrie européenne, qu’il s’agisse de la chimie, des engrais, de la sidérurgie, ou de la céramique. L’UE, depuis trente ans, n’a pas su mener une politique industrielle digne de ce nom. Les résultats en sont connus.

Elle ne doit pas rater la possibilité de développer une filière hydrogène décarboné, ce qui implique une structuration complète avec à sa tête des chefs de file capables de porter le secteur. C’est la condition pour que les producteurs, distributeurs et fabricants de technologies de l’hydrogène, français et européens, deviennent des leaders.

C’est enfin une question de souveraineté européenne. Car faute de prendre en compte l’hydrogène bas carbone, le risque est évident de faire reposer les besoins sur les importations extra-européennes, et d’entraîner dans ce mouvement un risque majeur de délocalisation. Est-ce ce que l’Europe veut vraiment ?

 

Publié par Le Monde le 26 janvier 2023

Bruno Alomar
Bruno ALOMAR est diplômé de l’IEP de Paris, d’HEC et de l’Ecole de Guerre. Ancien élève de l’ENA, il est également titulaire d’un LLM de l’Université Libre de Bruxelles. Cet économiste français a travaillé au ministère des Finances et à la Commission européenne (en tant que haut fonctionnaire à la DG COMP, Direction générale de la concurrence) et a enseigné les questions européennes à Sciences Po Paris et à l'IHEDN. Auteur de La réforme ou l’insignifiance : dix ans pour sauver l’Union européenne (Ed. Ecole de Guerre – 2018), Bruno ALOMAR commente régulièrement l’actualité, et notamment les questions européennes, à travers des chroniques publiées dans divers médias français. Depuis 2020, il est également PDG de New Horizon Partners, une société spécialisée dans le conseil en relations publiques et communication.