Une réforme pour sauver le régime des retraites… et le mandat d’Emmanuel Macron

20.01.2023 - Éditorial

Après un début de quinquennat totalement raté où se conjuguent l’absence d’une ligne directrice de l’action présidentielle, un casting gouvernemental poussif et peu charismatique, dans un contexte international complexe et dangereux où, là encore, les positions diplomatiques de la France ne brillent ni par leur clarté, ni par leur efficacité, Emmanuel Macron a décidé qu’il allait jouer son mandat, son image et sa réputation sur la réforme des retraites.

C’est un vrai beau sujet qui répond à de vraies problématiques et pour lequel il est moins démuni qu’il n’y paraît, de prime abord .

À l’exception de la Suède et de la Slovaquie, tous les pays de l’Union Européenne ont, ces dernières années, procédé à l’allongement de la durée de l’âge légal de départ à la retraite. 67 ans pour l’Allemagne, le Danemark, l’Italie et la Grèce ; 66 ans pour l’Irlande, les Pays-Bas et le Portugal (idem pour le Royaume-Uni hors Union Européenne) ; 65 ans pour la Belgique, Chypre, l’Espagne, la Hongrie, le Luxembourg et la Slovénie ; 64 ans pour l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie et Malte ; 63 ans pour la République Tchèque. L’Autriche, la Bulgarie, la Croatie, la Finlande, la Pologne et la Roumanie ont des âges de départ différents pour les hommes (en général autour de 65 ans) et pour les femmes (en général autour de 62 ans).

Les Français ont toujours le chic de ne jamais regarder ce qui se passe chez les autres se considérant plus malins, plus intelligents, ayant toujours raison. Si tous les pays de l’Union Européenne ont été ces dernières années en mouvement et ont procédé  à l’allongement de la durée de l’âge légal de départ à la retraite, c’est au nom des mêmes raisons qui motivent le projet d’Emmanuel Macron : vieillissement de la population liée à la baisse générale de la natalité et allongement de la durée de vie qui entraînent partout des déséquilibres structurels des régimes de retraite à financement constant.

Entendre une partie des oppositions à la réforme des retraites contester cet état de fait illustre la démagogie de leur propos et la grande faiblesse de l’information objective dans notre pays, les médias ne jouant pas leur rôle auprès du grand public. En 2020, 20,6% de la population de l’Union Européenne a plus de 65 ans, en hausse de 3 points par rapport à 2010. Cette tendance devrait s’accroître dans les années à venir, Eurostat prévoyant que la part des personnes âgées de 80 ans et plus, dans la population de l’Union Européenne, devrait être multipliée par deux et demi entre 2020 et 2100, passant de 5,9% à 14,6%.

Cette moyenne dissimule certes des disparités de rythme entre les États, mais le mouvement est général et incontestable. Notre pays n’y échappe évidemment pas. Le pourcentage de personnes de plus de 65 ans s’établit, en France et en 2020, à 20,4% ; une progression de 4 points ces vingt dernières années.

De la même manière, l’idée que l’espérance de vie ne progresserait plus est fausse. La tendance, ces vingt dernières années, est à une augmentation sensible. Nous sommes passés, pour les femmes, d’une espérance de vie à la naissance de 82,8 ans en 2000, à 85,2 ans en 2020. Pour les hommes, sur la même période, de 75 ans à 79,1 ans. Il y a certes une érosion de cette progression chez les femmes ces 4 ou 5 dernières années, moins marquée chez les hommes, mais cela ne remet en rien en cause le phénomène général de vieillissement de la population.

Notons enfin que l’espérance de vie à 60 ans a, elle aussi,  beaucoup progressé. Une femme qui atteint l’âge de 60 ans vivra en moyenne encore 27,5 ans. À 60 ans, un homme en France vivra en moyenne encore 23,1 ans.

Vieillissement de la population, allongement de la durée de vie, déséquilibre accru entre actifs et inactifs, nos voisins ont donc compris qu’il fallait réagir et prendre des mesures structurelles. Comment et pourquoi, nous Français, pourrions-nous y échapper ? Les opposants à la réforme des retraites avancent que la baisse du chômage permettrait de compenser la dégradation du ratio actifs/inactifs et que, par ailleurs, le conseil d’orientation des retraites montrerait dans ses dernières publications que le système des retraites a aujourd’hui un financement équilibré, que nous n’aurions nul besoin de la réforme Macron.

Que faut-il penser de ces arguments ? Le nombre d’actifs ne progresse plus dans notre pays. La France en compte 30,1 millions aujourd’hui, pour 67 millions d’habitants. En 2040, ils seront 30,5 millions, avant de redescendre à 29,2 millions en 2070. La proportion des personnes âgées ne cessant de progresser, le rapport entre le nombre d’actifs et le nombre d’inactifs de plus de 60 ans va donc continuer à se dégrader. Il est à 2 aujourd’hui, il passera à 1,5 en 2070 . En 1990, il était de 2,6.

S’il est vrai qu’après des années de déficit, le système de retraite enregistre un excédent en 2021 de 900 millions d’euros et qu’en 2022, l’excédent devrait s’élever à 3,2 milliards d’euros, ces bons résultats s’expliquent essentiellement par le rebond d’activité survenu après la crise sanitaire et ne sont pas durables. Le conseil d’orientation des retraites prévoit qu’entre 2022 et 2032, la situation financière de notre système de retraite devrait se dégrader. Le conseil d’orientation des retraites prévoit un déficit de 0,5 à 0,8 point de PIB. Au-delà de 2032 , le conseil d’orientation des retraites prévoit un déficit quel que soit le scénario retenu.

Emmanuel Macron a donc raison de vouloir réformer le régime des retraites et de proposer l’allongement de l’âge légal de départ à la retraite. Les précédents Présidents ou gouvernements ont amendé les régimes de retraite sans jamais prendre la mesure de la dimension structurelle et anticipatrice nécessaire. 1993, 2003, 2010, 2013… Une longue succession de réformettes. La tentative de réforme portée en 2020 par Emmanuel Macron et le gouvernement d’Edouard Philippe visait à refondre en profondeur notre système de retraite. Elle était sans doute plus complexe et plus intelligente que celle proposée par Elisabeth Borne aujourd’hui, mais Emmanuel Macron y a renoncé en mars 2020, sous la pression des oppositions et alors que la crise de COVID-19 paralysait les institutions.

Emmanuel Macron a porté dans son programme présidentiel, pour sa réélection en 2022, l’ambition de régler de façon structurelle le financement des retraites pour les 20 prochaines années. Personne ne peut lui reprocher cette ambition. La guerre en Ukraine, la hausse de l’inflation et notamment l’augmentation massive du coût de l’énergie ont brutalement durci le contexte politique et rendent incertain le résultat de cette séquence. La cohésion de la majorité présidentielle, la cohérence des positions de LR, qui appelle de ses vœux, depuis des années, un allongement de la durée des cotisations par un report de l’âge légal de départ à la retraite, sont les variables dont le réglage d’ajustement permettra de savoir où va pencher la balance.

Si Emmanuel Macron parvient à contenir le mouvement de protestation sociale et à faire voter la réforme des retraites au Parlement , il sortira de cette séquence comme un Président courageux, soucieux de l’avenir de notre pays, réformateur. Cela peut suffire à sauver son deuxième mandat pourtant bien mal engagé.

Alexandre Medvedowsky
Alexandre Medvedowsky est un ancien élève de l’Ecole Nationale d’Administration (promotion Denis Diderot, 1984-1986). Magistrat au Conseil d’Etat à partir de 1986, il siège au cabinet de Laurent Fabius alors président de l’Assemblée Nationale de 1990 à 1992. De 1998 à 2001, il est professeur associé à l’Université d’Aix-Marseille III et enseigne à l’IEP de Paris jusqu’en 2006. Il a été conseiller des Bouches-du-Rhône de 1998 à mars 2015. Nommé conseiller d’Etat en juillet 2001, il rejoint ESL & Network Holding la même année et intègre le Directoire d’ESL & Network Holding, dont il est nommé président le 1er janvier 2013. Il a été élu président du SYNFIE, le syndicat français de l’intelligence économique en mai 2014.