États-Unis : Les élections de mid-term dans un contexte global dangereux

03.06.2022 - Éditorial

Les perspectives des élections de mid-term aux Etats-Unis :

Traditionnellement, les élections de mid-term sont marquées par un recul du parti du Président : les seules exceptions ces dernières décennies ont été en 1998 (après l’échec de l’impeachment contre Clinton) et en 2002 (après les attaques du 11 septembre 2001 à New York). Cette année, les Démocrates les abordent dans un contexte défavorable : réformes bloquées ; inflation au plus haut niveau depuis 40 ans (8,5%) ; popularité de Biden au plus bas (42% d’opinions positives ; au même moment de sa présidence, Trump avait 45% d’opinions positives).

Tous les sondages indiquent que, le 8 novembre, les Républicains (encore sous forte influence de Trump) devraient obtenir une majorité des 435 sièges de la Chambres des Représentants : les Démocrates n’y ont plus actuellement que 5 sièges de majorité et la moyenne des pertes du parti au pouvoir dans les élections passées se situe à 20/25 sièges. Handicap supplémentaire : cette année un nombre important d’élus démocrates ont annoncé prendre leur retraite.

Les perspectives sont un peu moins défavorables pour les Démocrates au Sénat. Aujourd’hui, les 100 sièges sont détenus à 50/50 par les deux partis, le vote de la Vice-Présidente Kamala Harris donnant une courte majorité aux Démocrates s’ils sont unis (ce qui n’est pas toujours le cas : le sénateur Démocrate Manchin s’est régulièrement opposé aux textes proposés par la Maison Blanche). Sur les 34 sièges à pourvoir le 8 novembre, 14 sont actuellement détenus par les Démocrates et 20 par les Républicains. Beaucoup de choses vont dépendre des candidats issus des primaires des deux partis et des débats nationaux, avec notamment la décision attendue de la Cour Suprême sur le droit à l’avortement. Deux tiers des Américains souhaitent son maintien mais ce droit est menacé par une décision de la Cour qui se trouve être aujourd’hui dominée par 6 membres conservateurs contre 3 progressistes.

Les ambitions de l’administration Biden d’ici au 8 novembre :

La perte quasi-certaine du contrôle de la Chambre des Représentants incite la Maison Blanche à tout faire pour obtenir avant novembre l’adoption par le Congrès de quelques textes majeurs, emblématiques de la présidence Biden et susceptibles d’accroître ses chances le 8 novembre.

Le plus important : le « Build Back Better ». Les Démocrates vont essayer d’obtenir l’adoption d’une version réduite de ce texte majeur, concentrée sur :

– des incitations fiscales pour encourager le développement et le déploiement des technologies d’énergies renouvelables ;

– une augmentation de la fiscalité sur les sociétés (en ligne avec le texte de l’OCDE fixant à 15% le taux minimum) et les citoyens les plus riches ;

– une réduction du prix des médicaments pour les bénéficiaires de Medicare.

S’il était adopté, ce texte devrait réduire le déficit budgétaire et, ainsi, contribuer à une baisse de l’inflation, me disent mes interlocuteurs démocrates.

Personnellement, je suis peu optimiste sur la possibilité de voir ce texte adopté : il devrait être voté avant le 30 septembre, date à laquelle expire le mécanisme qui permet au Sénat d’adopter une loi par une majorité simple.

L’autre texte majeur qui, lui, devrait être adopté vise indirectement la Chine : il devrait notamment encourager financièrement la recherche dans les technologies d’importance stratégique et la production aux États-Unis de microprocesseurs ultra-performants.

 

Les États-Unis dans le monde après le 8 novembre.

Le contrôle de la Chambre des Représentants (et peut-être du Sénat) par le parti Républicain va contribuer à un durcissement supplémentaire de la politique étrangère américaine vis-à-vis de la Russie et de la Chine.

  1. La Russie.

Soutenue massivement par le Congrès, l’administration Biden a remarquablement joué ses cartes en Ukraine : en annonçant à l’avance et très exactement ce que Poutine allait faire, elle a restauré la crédibilité des États-Unis dans le domaine du renseignement après les désastres des guerres en Irak et en Afghanistan ; en fournissant à l’armée ukrainienne les armements dont elle manquait cruellement, elle lui a permis des victoires spectaculaires.

Résultat : Poutine voulait restaurer l’empire russe de Catherine la Grande ; il est aujourd’hui le père de l’unité ukrainienne face à la Russie. Poutine voulait contrer les ambitions de l’OTAN ; il l’a ressuscitée et l’étend à ses frontières, en Finlande et en Suède.

La question qui se pose aujourd’hui aux Ukrainiens, aux Européens et aux Américains : voulons-nous la victoire ou la paix ? De nombreux Ukrainiens (mais pas Zelenski), encouragés par les Américains, les Polonais et les Baltes, veulent la victoire, en chassant les troupes russes de tous les territoires ukrainiens, y compris la Crimée.

La France et l’Allemagne veulent la paix, c’est-à-dire une solution négociée, si Poutine (qui semble de plus en plus autiste), y est prêt.

La victoire des Républicains au Congrès le 8 novembre placera Biden sous une pression accrue pour infliger à la Russie une défaite qui serait en même temps un message adressé à la Chine à propos de Taïwan.

  1. La Chine.

S’il y a un sujet qui unit tous les Américains, Républicains et Démocrates, c’est le refus de voir la Chine, surtout celle de Xi Jinping, devenir le numéro Un mondial. Trump a fait adopter toute une série de textes pour freiner l’ascension de l’Empire du Milieu. Biden continue dans cette voie. Les élections de mid-term risquent d’accentuer ce mouvement dans une surenchère entre la Chambre des Représentants et la Maison Blanche.

Mes interlocuteurs à Washington ont, pour la première fois, le sentiment aujourd’hui que l’évolution globale leur est peut-être favorable : la gestion par Xi Jinping de l’économie chinoise et du Covid aboutit à des échecs graves qui pourraient le fragiliser dans son ambition d’obtenir à l’automne, lors du congrès du Parti, un troisième mandat et l’approbation de sa politique. Quoi qu’il en soit, les élections de mid-term, avec la victoire annoncée des Républicains à la Chambre des Représentants, accentueront non pas la fin de la globalisation mais son évolution du « just in time » au « just in case », comme c’est aussi le cas en Europe depuis la crise du Covid.

Le match du siècle, Chine et États-Unis, va sûrement se durcir. Pour nous, Européens, la question sera plus que jamais : sommes-nous capables de bâtir un troisième pôle, partenaire privilégié mais autonome des Etats-Unis ?

Jean-David Levitte
Jean-David Levitte est senior policy advisor pour le groupe ESL Network. Il a eu une carrière diplomatique remarquable, marquée dans un premier temps par un passage à l’Elysée aux côtés du Président Giscard d’Estaing de 1975 à 1981. De 1995 à 2000, il a été le Conseiller diplomatique et Sherpa du Président Jacques Chirac. Entre temps, il a notamment occupé les fonctions d’Ambassadeur de la France aux Nations Unies à Genève. De 2007 à 2012 il a été le conseiller diplomatique et Sherpa du Président Nicolas Sarkozy. De 2003 à 2007 il a été Ambassadeur à Washington pendant la difficile période de la guerre en Irak. De 2000 à 2002 il a été Ambassadeur à l’ONU à New York, présidant le Conseil de Sécurité lors des attaques du 11 septembre 2001.