Élections législatives : des résultats dignes d’une proportionnelle

24.06.2022 - Éditorial

La semaine dernière, j’indiquais avant le deuxième tour des élections législatives que les faits marquants du premier tour étaient une forte poussée électorale de l’extrême droite, des indicateurs laissant présager un échec probable du Président de la République à obtenir une majorité absolue, une situation très complexe à gérer pour l’exécutif en cas de majorité relative. Nous y sommes.

Le scrutin majoritaire, pour la première fois dans l’histoire de la Vème République, n’a pas permis de dégager une majorité pour le Président réélu il y a quelques semaines. Il ne permet pas non plus d’envisager de majorité alternative. Le Président Emmanuel Macron subit un clair échec qui sanctionne une absence de campagne électorale active, un refus des français de lui donner un blanc-seing sur un programme flou, une constitution d’un gouvernement peu enthousiasmant. La NUPES subit elle aussi un échec important en dépit d’une dynamique médiatique forte, montrant les limites de la personnalisation excessive de Jean-Luc Mélenchon dont les français ont clairement montré qu’ils n’en voulaient pas comme Premier Ministre. La NUPES a par ailleurs montré ses limites à attirer les Français au-delà d’un score historiquement très faible de toute la gauche officielle rassemblée dès le premier tour.

Le fait le plus marquant reste l’entrée à l’Assemblée Nationale de 89 députés du Rassemblement National. Ce score est historique dans l’histoire de la Vème République et fait du Rassemblement National le premier groupe d’opposition. Il s’explique par le fait que le front républicain contre l’extrême droite n’a pas joué. Le RN a gagné 33 duels contre la NUPES et en a perdu 30. Il a gagné 53 duels contre Ensemble et en a perdu 59. Seul LR a pu bénéficier de reports de voix positifs pour infliger 23 défaites au RN pour seulement 2 victoires.

Rien ne sert à Ensemble ou à la NUPES de se renvoyer la responsabilité respective de ces échecs. Ils n’ont pas mieux maîtrisé leur électorat les uns ou les autres. On y retrouve la trace claire de ce double refus des électeurs de donner les clés du Royaume au Président de la République pour son deuxième mandat et d’envisager que le leader de l’extrême gauche puisse exercer des responsabilités gouvernementales.

Plus encore les français, avec je trouve une certaine maturité politique, ont indiqué aux autres formations politiques par leur vote qu’un parti, le Rassemblement National, qui dépassait régulièrement les 20% aux élections nationales depuis plusieurs années, avaient droit à une représentation importante au Parlement et qu’ils en avaient marre qu’au nom d’un prétendu front républicain on le leur interdise. Les violences verbales entre Ensemble, la NUPES et LR s’accusant mutuellement de fascistes, dictateurs, d’autoritarisme et d’autres noms d’oiseaux ont achevé de décrédibiliser la notion même de Front Républicain.

La France est-elle désormais gouvernable ? 

A cette question, la réponse est évidemment oui, même si les moyens de gouvernance dans cette nouvelle période qui s’ouvre vont devoir être définis.

Dans une intervention un peu lunaire mercredi 22 juin à 20h, Emmanuel Macron a donné 48h aux formations politiques pour débattre d’éventuelles collaborations ou accords de gouvernement.  En renvoyant de cette manière la balle dans le camp des partis politiques, ce qui n’est ni le sens, ni la pratique des institutions de la Vème République, il s’agissait sans doute pour lui de montrer aux français qu’il n’y a pas de solution  alternative à un gouvernement disposant du soutien d’une majorité relative à l’Assemblée Nationale.

Le gouvernement sera donc amené au cas par cas à chercher des majorités de circonstance sur les textes qu’il voudra faire adopter. 32 voix à aller chercher pour atteindre une majorité de 289.

Ce n’est pas impossible bien sûr mais cela aura plusieurs conséquences.

La première sera la nécessité de rechercher des compromis. Ce n’est pas dans notre culture politique. Mais la majeure partie des démocraties occidentales fonctionnent de cette manière. Il appartient aux formations politiques de notre pays et en particulier à la majorité gouvernementale de montrer qu’elles seront à la hauteur de leurs responsabilités vis-à-vis des Français, sous peine de se faire sanctionner très durement lors des prochaines élections.

La deuxième conséquence sera l’utilisation plus fréquente des outils du parlementarisme rationalisé souhaité par les auteurs de la Constitution de la Vème République : contrôle de l’ordre du jour du travail parlementaire même si c’est moins vrai depuis la réforme de 2008, usage du vote bloqué, usage de l’article 49-3 de notre constitution, droit de dissolution. Ces outils donnent les moyens à un gouvernement de travailler et d’avancer face à une Assemblée turbulente  et des majorités fragiles. Encore faut-il avoir de l’habileté et une grande pratique politique. Cette période ne pourra pas être celle d’une technocratie sûre  d’elle et dominatrice et d’un pouvoir autiste, enfermé sur ses certitudes. Emmanuel Macron en est-il conscient ? Est-il prêt à modifier ses équipes et à mettre en place un gouvernement adapté à ce nouveau temps ?

La troisième conséquence sera probablement un rythme de travail plus lent et plus complexe : moins de textes, plus de débats,  lenteur des processus de décisions… Le principal risque c’est l’immobilisme et une pause dans les réformes. Une version optimiste est de penser que le gouvernement se recentrera du coup sur l’essentiel et notamment sur les problématiques intéressant le plus nos concitoyens : pouvoir d’achat, emploi, dépendance, transition écologique. Pour le monde de l’Entreprise, cette période qui s’ouvre est inquiétante car dans la recherche du compromis politique et du compromis social, il n’est pas sûr que les logiques économiques soient les plus faciles à traduire. Un seul exemple : qu’adviendra t-il dans cette période de la réforme permettant à EDF de se sortir des graves difficultés auxquelles l’entreprise est confrontée ? En tout état de cause, l’entreprise, les marchés financiers, les investisseurs auront à affronter plus d’incertitudes, plus de difficultés à comprendre les mécanismes de décision et devront recourir à plus d’intelligence économique pour renforcer leur capacité à y voir clair et à préparer leurs décisions.

L’image de la France et sa présence sur la scène internationale sera t-elle affectée ?

L’attractivité de la France a beaucoup progressé ces dernières années sous l’impulsion d’Emmanuel Macron. Les investisseurs étrangers ont multiplié les décisions d’investir dans notre pays, devenu un des plus attractifs en Europe. Les investisseurs n’aiment pas beaucoup l’incertitude et le désordre. Il y a donc un petit risque que le rythme des investissements étrangers en France se ralentisse face à cette nouvelle conjoncture politique. Il faudra que les pouvoirs publics y veillent en multipliant les déclarations pour rassurer.

Je n’ai pas trop de doute en ce qui concerne la politique étrangère de la France et la capacité de notre pays à peser sur la scène internationale. D’abord parce que Emmanuel Macron, même s’il n’a pas gagné ces élections législatives comme il aurait pu le souhaiter, ne les as pas non plus totalement perdues. Nombre de ses collègues, dirigeants de grandes puissances démocratiques ne sont pas en meilleure situation que lui soit parce qu’ils sont à la tête de coalitions complexes (Allemagne, Italie), soit parce qu’ils sont affaiblis politiquement (Angleterre, USA). Cela ne les empêche pas d’agir diplomatiquement.

De plus, il ne faut pas oublier que, constitutionnellement, la politique étrangère – comme d’ailleurs la politique de défense – font partie du domaine réservé au Président de la République. Peu de décisions dans ces domaines relèvent du Parlement. Europe, Guerre en Ukraine, OTAN, conflit Chine/USA, politique africaine de la France sont autant de débats sur lesquels les formations politiques peuvent s’exprimer et ne manqueront pas de le faire. Mais la voix de la France est une. Et ceux qui prendraient la responsabilité d’affaiblir notre pays sur la scène internationale pour des raisons de politique intérieure en affaiblissant la parole présidentielle, risqueraient là aussi d’en payer le prix.

« Ce deuxième quinquennat débute avec de grandes incertitudes. Il peut constituer un nouveau tour de magie du Président Macron donnant une impulsion nouvelle à notre pays ou se transformer en un douloureux chemin de croix. » Telle était la conclusion de mon éditorial la semaine dernière. Il faut espérer qu’existe une voie moyenne, entre les deux, et que la classe politique dans son ensemble saura être à la hauteur pour la trouver.

Alexandre Medvedowsky
Alexandre Medvedowsky est un ancien élève de l’Ecole Nationale d’Administration (promotion Denis Diderot, 1984-1986). Magistrat au Conseil d’Etat à partir de 1986, il siège au cabinet de Laurent Fabius alors président de l’Assemblée Nationale de 1990 à 1992. De 1998 à 2001, il est professeur associé à l’Université d’Aix-Marseille III et enseigne à l’IEP de Paris jusqu’en 2006. Il a été conseiller des Bouches-du-Rhône de 1998 à mars 2015. Nommé conseiller d’Etat en juillet 2001, il rejoint ESL & Network Holding la même année et intègre le Directoire d’ESL & Network Holding, dont il est nommé président le 1er janvier 2013. Il a été élu président du SYNFIE, le syndicat français de l’intelligence économique en mai 2014.