Et maintenant ?

13.05.2022 - Éditorial

La réélection d’Emmanuel Macron passée, notre pays entre dans une séquence intéressante où il est bon de trier les vrais sujets de l’écume des choses.

Première écume…la campagne, orchestrée habilement par Jean Luc Mélenchon et la France Insoumise, d’un hypothétique troisième tour où le perdant du premier tour de la Présidentielle pourrait prendre une revanche lors des élections législatives et se faire ainsi désigner par un vote populaire comme premier ministre. Cette hypothèse aura permis à la France Insoumise d’occuper dans ce début de campagne législative le terrain médiatique, de contraindre EELV, ce qu’il reste du Parti socialiste et le Parti communiste, de venir à Canossa, passant d’une campagne présidentielle de premier tour très agressive contre Jean Luc Mélenchon à un alignement sur un programme qui ne correspond que très marginalement à leurs propositions politiques.

Il n’en demeure pas moins que cet épisode en restera au stade de l’habileté politique et de la communication.

D’abord parce que les institutions de la Vème République ne le permettent pas facilement, encore moins depuis la réduction à 5 ans du mandat présidentiel et l’inversion du calendrier électoral. L’élection législative intervient dans la foulée de l’élection présidentielle et le mode de scrutin majoritaire favorise le camp du Président nouvellement élu. La dynamique est de son côté et il faudrait des bouleversements invraisemblables pour qu’il n’en soit pas ainsi. On pouvait avoir une petite crainte que cette dynamique naturelle soit moins forte en raison du délai de deux mois séparant présidentielle et législative, mais en définitive les institutions sont plus fortes que l’écume des choses. Emmanuel Macron et les formations politiques qui le soutiennent auront vraisemblablement une majorité claire à l’Assemblée nationale.

Il existe par ailleurs une autre raison : c’est que trop d’habileté et d’autosuffisance peuvent se retourner contre leur auteur. À trop personnifier son combat, la France Insoumise organise une sorte de référendum pour ou contre Jean Luc Mélenchon Premier Ministre. Et il n’est pas sûr que cette question serve en définitive les intérêts de la Nupes (quel nom bizarre !). Le fait de se sentir trop sûr de soi et dominateur dans des négociations aboutit en plus à créer de la frustration et des dissidences, alors qu’un peu de rondeur et de respect des autres n’auraient pas fait de mal.

Il y a dans l’actualité du moment une deuxième écume à souligner, c’est le temps passé par Emmanuel Macron à choisir un Premier Ministre et à former un nouveau gouvernement. La presse et les commentateurs s’en donnent à cœur joie, lui reprochant lenteurs et tergiversations, oubliant que le Président est maître de l’horloge et « qu’il faut laisser du temps au temps » pour reprendre ce titre d’un recueil de citations de François Mitterrand.

La difficulté à trouver la bonne personne au bon moment est sans doute réelle. Mais le temps qui passe permet surtout d’occuper cette longue période de deux mois. La désignation du nouveau Premier ministre, qui devrait intervenir ces jours prochains, soit un mois avant l’élection législative, devrait donner un nouveau souffle à la dynamique présidentielle.

Au moment où j’écris ces lignes, le nom du Premier ministre n’est pas encore connu. Peut-être le sera-t-il dans les jours qui viennent. Après avoir détruit en 2017 et dans son quinquennat successivement la gauche de gouvernement puis la droite républicaine, il ne reste plus grand chose à détruire …. Le choix du nouveau ou plutôt de la nouvelle Premier ministre ne sera donc pas un choix qui relève cette fois de l’habileté politique. Nous ne sommes plus dans l’écume des choses mais bien dans les décisions fortes qui incombent au nouveau Président pour impulser son deuxième mandat.

À cet égard, quatre sujets principaux paraissent au cœur des enjeux de ce nouveau quinquennat.

Le premier, c’est de répondre aux aspirations des Français. Plus de justice sociale, de meilleurs salaires, une équité territoriale plus forte qui implique un accès égal aux services publics, le refus d’un État central et uniforme décidant de tout, une sécurité dans la vie quotidienne, une République présente partout, des politiques publiques respectueuses de notre environnement et inscrites dans la lutte contre le réchauffement climatique. Chacun de ces sujets a contribué aux votes des extrêmes au premier et au second tour de la présidentielle. Le choix d’un ou d’une Premier ministre et la composition du futur gouvernement seront révélateurs de la volonté et de la capacité d’y répondre : moins de parisiens et plus d’élus des territoires, moins technocratique et plus politique. Une tête probablement plus à gauche que son prédécesseur.

Le second enjeu est à coup sûr d’engager une véritable réforme des procédures démocratiques. La Vème République est au bout de son histoire. Elle montre tous les jours combien ses auteurs ont réussi parfaitement ce qu’ils souhaitaient, c’est à dire amener de la stabilité dans nos institutions. Mais elle génère aujourd’hui trop d’exclusions, trop de frustrations. La démocratie représentative fonctionne mal. Emmanuel Macron avait construit une partie de son discours en 2017 autour de ce constat. Mais rien n’a fondamentalement changé en 5 ans. Le Président doit cette fois prendre le taureau par les cornes et redonner confiance et souffle dans les institutions et les corps intermédiaires : représentation des minorités, démocratie sociale, développement de l’usage du référendum ou référendums d’initiatives populaires, vote électronique, ….les pistes sont nombreuses. Elles doivent maintenant se traduire par une vraie réforme. C’est aussi grâce à cela qu’Emmanuel Macron fera reculer les extrêmes au cours de son deuxième mandat, engagement qu’il n’a pas pu tenir pendant le premier.

Le troisième enjeu de ce début de mandat, c’est l’Europe. La présidence française de l’Union Européenne s’achève fin juin…déjà,…Emmanuel Macron n’aura pu en tirer profit comme il l’aurait souhaité, occupé par la gestion de la guerre en Ukraine. Mais il va falloir enchaîner vite : sécurité collective sur notre continent, politique de défense européenne, politique européenne de l’Energie et lutte contre le réchauffement climatique, souveraineté stratégique, industrielle, technologique, agricole et agroalimentaire de l’Europe. Les enjeux ne manquent pas et bien des actions ont été lancées. La prise de conscience des peuples de l’Union Européenne de notre fragilité face à la guerre et de la force que peut représenter notre Union créent des opportunités nouvelles pour avancer. Nous avons besoin évidemment, contrairement aux délires de Marine Le Pen, du couple franco-allemand comme moteur. Mais il faut aussi mieux entendre les désirs des peuples des pays de l’Europe de l’Est, ceux qui font partie intégrante de l’Union Européenne mais aussi ceux qui sont à nos frontières, sous la menace de la grande Russie, et qui aspirent à des accords d’association avec l’Union Européenne, à défaut d’obtenir de meilleurs gages. Il faut enfin entendre les vœux des pays du pourtour sud de la Méditerranée qui veulent être partenaires de l’Europe plus que de la Chine, de la Russie ou des USA, à la condition que l’on bâtisse ensemble ces partenariats et qu’on leur permette à travers cela de bâtir, chez eux de vraies filières créatrices d’emplois et de valeurs.

Le quatrième sujet majeur de ce début de quinquennat est le sujet, peu ou mal abordé, de l’influence de la France dans le Monde. Elle décline indéniablement depuis de nombreuses années, présidence après présidence. Emmanuel Macron doit, quoi qu’il en coûte, impulser et coordonner des politiques publiques visant à stopper ce déclin. Politique éducative à travers les lycées français et l’accès à nos universités pour les étudiants étrangers, utilisation intelligente des outils d’informations publics et privés tournés vers l’international (TV5, France 24, RFI, Canal+, agence de presse …), politiques coordonnées à travers l’aide au développement et la mise en place de fondations caritatives, actions concertées de l’ État avec nos entreprises les plus tournées vers l’international pour défendre partout nos intérêts stratégiques, réinvestissement dans la francophonie et ses organismes, présence plus active dans les organisations internationales qui édifient des normes, développement des stratégies de conseils aux États et aux gouvernements par la mise à disposition d’experts. Les axes sont souvent connus, jamais déclinés de façon méthodique, et sans aucune coordination. C’est un enjeu majeur de ce quinquennat et notre rôle sera de le rappeler.

Alexandre Medvedowsky
Alexandre Medvedowsky est un ancien élève de l’Ecole Nationale d’Administration (promotion Denis Diderot, 1984-1986). Magistrat au Conseil d’Etat à partir de 1986, il siège au cabinet de Laurent Fabius alors président de l’Assemblée Nationale de 1990 à 1992. De 1998 à 2001, il est professeur associé à l’Université d’Aix-Marseille III et enseigne à l’IEP de Paris jusqu’en 2006. Il a été conseiller des Bouches-du-Rhône de 1998 à mars 2015. Nommé conseiller d’Etat en juillet 2001, il rejoint ESL & Network Holding la même année et intègre le Directoire d’ESL & Network Holding, dont il est nommé président le 1er janvier 2013. Il a été élu président du SYNFIE, le syndicat français de l’intelligence économique en mai 2014.