L’ESG : Arme fatale des fonds activistes ?

21.01.2022 - Regard d'expert

Les temps sont durs et les vents souvent contraires pour les fonds activistes et autres vendeurs à découvert, crise sanitaire oblige mais aussi euphorie des marchés et hausse continue des cours. Ces deux dernières années, depuis l’apparition du virus, le nombre de campagnes activistes et le montant des capitaux engagés pour les mener, ont baissé d’un tiers. En 2021, les vendeurs à découvert qui accompagnent le plus souvent les fonds activistes sont réputés avoir perdu près de 10 milliards de dollars.

Autre mauvaise nouvelle, depuis l’affaire GameStop survenue en janvier 2021, ils savent désormais qu’ils ne sont plus à l’abri de représailles de la part de porteurs d’actions récalcitrants, initiateurs d’un « short squeeze », des achats massifs obligeant le vendeur à découvert à se racheter beaucoup plus cher sur le marché.

Bienvenue donc à la nouvelle année 2022, avec l’espoir d’un climat plus propice, d’une météo plus favorable, d’autant mieux venue qu’elle s’accompagne d’une promesse d’éclaircie, l’ESG avec de nouvelles obligations en matière de transparence, de nouvelles possibilités de prendre les entreprises en défaut sur leurs engagements.

Dans son rapport sur l’activisme au troisième trimestre 2021, la banque Lazard fait de l’ESG « l’un des principaux thèmes du trimestre » et surtout un thème à succès qui a permis au fonds activistes Engine NO.1, avec une prise de participation de seulement 0,02%, à imposer à Exxon Mobil la nomination de trois nouveaux administrateurs. Aux thématiques traditionnelles des campagnes activistes, contestations d’opérations M&A, mise en cause de la gouvernance, remise en cause de la stratégie financière, vient s’ajouter un nouveau sujet, le respect des engagements ESG, sujet d’autant plus prometteur qu’il sera porté par plusieurs facteurs favorables.

Premier facteur favorable, l’entrée en vigueur du règlement européen Taxinomie qui fait obligation, à partir du 1er janvier 2022, à toutes les entreprises de l’Union européenne de plus de 500 salariés, de 20 M€ de total de bilans ou de 40 M€ de chiffre d’affaires, d’identifier leurs activités considérées comme durables et de publier des indicateurs de performance permettant d’évaluer leur durabilité. Le reporting extra-financier qui était une figure libre devient une figure imposée. Les annexes du règlement européen précisent en grand détail les conditions dans lesquelles devront être présentés ces indicateurs de performance, leur mode d’intégration dans la Déclaration de Performance Extra-Financière (DPEF), leur nécessaire cohérence avec les autres éléments de la communication financière, le tout sous le contrôle exigeant de l’Autorité des Marchés Financiers. Nul doute que certains fonds trouveront dans ces reportings matière à alimenter quelques controverses.

Deuxième facteur favorable au développement de campagnes activistes ESG, le nombre croissant d’entreprises qui à l’exemple d’Amazon ont pris des engagements de neutralité carbone à horizon 2040 et seront scrutées au regard de cet engagement. La COP 26 a été l’occasion d’enregistrer 88 nouvelles signatures de grandes entreprises cotées, de nouvelles entreprises s’y rallient chaque jour. Il est probable qu’à l’exemple de l’Etat français, certaines d’entre elles soient un jour stigmatisées, voire condamnées pour non-respect de leurs engagements et préjudice climatique.

Troisième facteur favorable au développement de controverses, une standardisation encore insuffisante des données et des règles de reporting non encore finalisées. Pour les DPEF de l’exercice 2021, les entreprises concernées devront produire des indicateurs de taxonomie exprimés en ratios chiffre d’affaires vert, CapEx et OpEx vert, détaillés par objectif et activité. Mais qu’est-ce qui est vert et qu’est-ce qui ne l’est pas ?  L’exemple de la finance verte montre que le tracé de la frontière est parfois flou et prête à des discussions et à des contestations. Mille nuances de vert sont possibles et certaines entreprises risquent de se révéler daltoniennes.

Plus généralement, le verdissement de leur exploitation et de leurs investissements est appelé à devenir pour les entreprises un facteur discriminant de leur financement, avec pour conséquence une décollecte et un coût de financement plus élevé pour les moins bien notées. Une masse croissante de capitaux est orientée en fonction de la qualité des sustainability rating et à l’inverse est détournée en cas de rating insuffisant.

Thème à succès, l’ESG est aussi un thème fédérateur qui draine des montants de capitaux en croissance exponentielle, les capitaux de la finance verte mobilisés par les plus grandes sociétés de gestion, Blackrock, Vanguard, State Street et autres Fidelity, vis-à-vis desquels les fonds activistes agissent comme des catalyseurs, générateurs de réactions en chaîne susceptibles de déstabiliser les plus grandes entreprises, comme des marqueurs fléchant les flux d’investissement. Pendant longtemps, les investisseurs institutionnels et les sociétés de gestion ont hésité à soutenir les activistes. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas et l’ESG pourrait bien être le terrain de leur réconciliation, parfois de leur alliance.

Dominique Leblanc
Dominique LEBLANC est associé senior chez ESL & Network France. Après avoir été au Ministère de l’Industrie (1979-1984) et au Ministère de l’Economie et des Finances (1984-1988), il intègre la Société des Bourses Françaises, aujourd’hui NYSEEuronext. Il y occupe successivement plusieurs fonctions de direction, jusqu’à en devenir le directeur général délégué. En 2001, il devient directeur général délégué de Viel et Cie, et en 2003, directeur général délégué de FinInfo SA. En mai 2008, il crée la société Information & Finance Agency S.A.S, société de conseil, spécialisée dans les questions de finance de marché et d’évaluation d’entreprises dont il est le président-directeur général. Dominique LEBLANC est président de Wansquare et de La Lettre de l’Expansion.