Les ouvertures saoudiennes envers la nouvelle administration américaine

05.02.2021 - Regard d'expert

Maintenant que la nouvelle administration américaine est installée, le Prince héritier saoudien Mohamed ben Salman tente de montrer au président Biden qu’il est un partenaire intéressant pour les Etats-Unis.

Il n’a d’ailleurs pas attendu le 20 janvier pour faire un certain nombre de gestes dans trois domaines :

1 / la politique étrangère

• au Yémen, il a proposé la création d’une zone-tampon à la frontière et a obtenu la réconciliation du gouvernement légitime yéménite avec les sécessionnistes du Sud, ce qui devrait faciliter la négociation avec les Houthis.

• il s’est réconcilié avec les Qataris, permettant de mettre un terme aux tensions au sein du Conseil de Coopération des Etats Arabes du Golfe.

• au sujet de l’Iran, son ministre des affaires étrangères a déclaré que l’Arabie pourrait être un partenaire de l’administration Biden dans la négociation d’un nouvel accord avec l’Iran, qui serait un «JCPOA ++», c’est-à-dire incluant – outre le nucléaire – les missiles balistiques et les «actions déstabilisatrices» de l’Iran au Moyen Orient. Son homologue qatari a proposé que l’émirat facilite ces discussions.

• concernant le processus de paix au Proche Orient, le royaume n’a pas objecté à la normalisation des relations diplomatiques des Emirats Arabes Unis et de Bahrein avec Israël et a autorisé le survol de son espace aérien à des avions israéliens.

2 / l’économie

• l’Arabie Saoudite a accepté une réduction volontaire de 1 million de barils/jour de sa production de brut afin de stabiliser le marché pétrolier.

• Mohamed ben Salman a présenté à la télévision son projet de ville «zéro carbone» (The Line) à NEOM et a fait un discours virtuel au Forum de Davos pour évoquer des opportunités d’investissements de 6.000 Mds$ en Arabie. Il veut ainsi créer un nouveau momentum à son plan de diversification de l’économie saoudienne en attirant les investisseurs internationaux (notamment américains).

3 / les droits de l’Homme

• les procès des activistes Loujain Al hathloul (droits de la femme) et Walid Fitaihi (médecin américano-saoudien) ont permis de réduire leurs peines et il est possible que des gestes supplémentaires soient faits prochainement.

• la presse saoudienne a mis en exergue le fait qu’en 2020 il n’y ait eu en Arabie «que» 27 éxécutions capitales, soit une réduction de 85 % du nombre par rapport à l’année précédente (184) , reflétant la mise en oeuvre de la décision de supprimer la peine de mort pour les dealers de drogue et les mineurs (ainsi que les flagellations publiques). Elle rappelle aussi la réforme des manuels scolaires qui supprime l’appel à combattre les chrétiens, les juifs, les chiites et les homosexuels.

Tous ces éléments visent à montrer au nouveau locataire de la Maison Blanche que le Prince héritier saoudien est – contrairement à son image – un homme d’Etat fiable et pragmatique, capable de faire des compromis et à la tête d’un pays au fort potentiel économique. Mohamed ben Salman sait qu’il doit «se rendre utile» au nouveau président américain , qui va avoir beaucoup à faire à l’intérieur (rassembler un pays divisé) et à l’extérieur (restaurer l’image des Etats-Unis). Il est conscient que l’Amérique est affaiblie, mais veut retrouver son leadership international, «par l’exemple» et sans s’engager dans des conflits extérieurs, notamment au Moyen Orient. Le Prince héritier a en fait une carte importante dans sa main : la reconnaissance éventuelle d’Israël par l’Arabie Saoudite, gardienne des Lieux Saints de l’Islam et à l’origine de «l’initiative arabe de paix».

Il connait les réticences de son père le Roi, de l’opinion publique saoudienne et arabe en général ; mais il peut – conjointement avec les Emirats Arabes Unis, bien vus à Washington – accompagner la reprise du dialogue américano-palestinien et contribuer à une relance du processus de paix israëlo-arabe sur des bases plus équitables que le plan Kushner .

Naturellement, la France et l’Europe pourraient et devraient jouer un rôle majeur sur ce dossier, notamment en présentant de nouvelles idées prenant en compte l’évolution de la situation diplomatique et sur le terrain.

Bertrand Besancenot
Bertrand BESANCENOT est senior advisor chez ESL Network. Il a passé la majorité de sa carrière au Moyen Orient en tant que diplomate français. Il est notamment nommé Ambassadeur de France au Qatar en 1998, puis Ambassadeur de France en Arabie saoudite en 2007. En février 2017 il devient conseiller diplomatique de l’Etat puis, après l’élection d’Emmanuel MACRON en tant que Président de la République, Émissaire du gouvernement du fait de ses connaissances du Moyen Orient.