Quelle perspective pour les discussions engagées entre l’Arabie Saoudite et l’Iran ?

15.10.2021 - Regard d'expert

En avril dernier, le prince héritier saoudien adoptait dans une interview un ton plus conciliant envers l’Iran. Cela faisait partie d’une attitude plus pragmatique de la diplomatie de Riyad – réconciliation avec le Qatar, propositions de paix au Yémen, rapprochement avec la Turquie, etc. – qui visait notamment à complaire à la nouvelle administration américaine.

Ce mouvement avait conduit, avec l’aide de l’Irak, à la reprise de contrats officieux avec Téhéran, sur lesquels Riyad était néanmoins demeuré discret alors que les Iraniens les avaient évoqués publiquement.

Mais le ministre saoudien des Affaires étrangères a fini par reconnaître, lors d’une conférence de presse le 3 octobre der­nier, qu’il y avait eu quatre rencontres avec les Iraniens. Il a cependant précisé que la dernière réunion, tenue le 21 sep­tembre, « demeurait dans une phase exploratoire », et s’est contenté d’espérer que ces discussions « constitueraient une base pour résoudre les problèmes en suspens ». Il avait d’ail­leurs réitéré la semaine précédente que l’Iran ne devait pas être autorisé à développer des armes nucléaires.

Pour sa part, le roi Salman avait, fin septembre, déclaré qu’il espérait que le dialogue permettrait de bâtir la confiance entre les deux pays, tout en insistant sur le fait que « tout progrès devait être fondé sur le respect de la souveraineté de chacun, la non-ingérence dans les affaires des autres et la cessation de toutes les formes d’ap­pui aux groupes terroristes et aux milices sectaires ». Ce rappel des préoccupations de Riyad montre que si la volonté de rétablir un dialogue avec Téhéran existe, la partie saoudienne reste prudente sur les résultats à en attendre. Le porte-parole du ministère saoudien des Affaires étrangères a d’ailleurs souligné que le royaume voulait « voir des actes véritables avant de porter un jugement sur les discussions avec l’Iran ».

En réalité, il semble que ces pourparlers entre services de renseignements n’ont pas permis de beaucoup progresser, en raison de l’étendue des désaccords entre les deux pays.

Les Saoudiens ont pour principal intérêt dans cette affaire de sortir la tête haute du bourbier yéménite. Mais il est clair que les Iraniens n’entendent pas, eux, se départir sans contre­partie d’un instrument important de pression sur Riyad. En effet, leur soutien aux Houthis ne leur coûte pas très cher, alors que le conflit yéménite pèse lourdement sur le budget saoudien et sur l’image du royaume dans le monde.

En échange du renoncement à cette capacité de nuisance, Téhéran souhaite probablement que Riyad incite les Améri­cains à assouplir leur position dans la négociation de Vienne entre les 5+1 et l’Iran.

Or Riyad n’est pas prêt à le faire, car le royaume craint que l’Iran devienne un Etat du seuil nucléaire, soit à nouveau un concurrent sur le marché pétrolier, ait les moyens financiers – par le dégel de ses avoirs à l’extérieur – de continuer à finan­cer ses « proxies » dans la région, poursuivre sans contrôle international son programme de missiles et conforte son influence accrue dans la région.

Bref, il n’est pas aisé de voir sur quoi les deux pays pourraient s’entendre, sauf peut-être sur des mesures de confiance – afin d’éviter toute escalade, qui serait préjudiciable aux deux – et sur la réouverture de leurs ambassades, qui officialiserait le dialogue engagé.

En fait, Riyad (qui n’est pas partie aux négociations de Vienne) attend de voir – avant de s’engager dans un éventuel « deal » avec son rival régional – s’il y a une chance de par­venir à un règlement sur le nucléaire ou si Téhéran choisit in fine une fuite en avant en s’appuyant sur l’axe sino-russe. Et les Iraniens ont en réalité un peu la même approche… de sorte que le dialogue saoudo-iranien est de facto tributaire de l’issue de la négociation de Vienne entre les 5+1 et l’Iran

Bertrand Besancenot
Bertrand Besancenot est Senior Advisor au sein d’ESL Rivington. Il a passé la majorité de sa carrière au Moyen-Orient en tant que diplomate français. Il est notamment nommé Ambassadeur de France au Qatar en 1998, puis Ambassadeur de France en Arabie Saoudite en 2007. En février 2017, il devient conseiller diplomatique de l’Etat puis, après l’élection d’Emmanuel Macron en tant que Président de la République, Émissaire du gouvernement du fait de ses connaissances du Moyen-Orient.