INDIVIS

20.05.2021 - Regard d'expert

Écrire à nouveau sur ce sujet, c’est peut-être prolonger inutilement une polémique disproportionnée et caricaturée. Alors le plus simple n’aurait-il pas été de traiter ‘’l’affaire’’ comme dit-on le général de Gaulle l’aurait fait il y a 60 ans en lâchant : « ce qui est grave dans cette affaire, c’est qu’elle est sans importance ». J’ai eu pour supérieurs hiérarchiques un grand nombre des généraux signataires de la tribune qui a enflammé le débat médiatico-politique dans notre pays.

Je respecte chacun d’entre eux pour leur carrière, pour les années qu’ils ont consacrées à notre pays. Et je me refuse à juger l’engagement d’une vie sur une ‘’tribune’’. Mais même si le constat qu’ils dressent semble largement partagé, je ne partage pas la forme et le fond de leur démarche. Je ne rentrerai pas dans l’impossible débat sur le devoir de réserve que j’entends depuis plus de 20 ans avec son lot d’incohérences : le rapport annexé de la dernière LPM mentionne l’objectif de faire des militaires des citoyens comme les autres ; ce qui en soit est déjà un non-sens philosophique et déontologique mais à l’inverse on les prive des droits des citoyens ‘’normaux’’ que l’on voudrait qu’ils deviennent. On rabâche à l’envi que les militaires sont soumis au devoir de réserve mais on n’en a jamais lu et ni entendu autant (dont moi d’ailleurs). Tout cela me parait bien inconfortable et je ne m’abriterai pas derrière des lois ou des règlements inconsistants dans leur application pour exprimer ce qui m’oppose à cette façon de faire.

Le premier point est que je n’estime pas que des militaires d’active ou de réserve aient une légitimité particulière pour évaluer la situation intérieure de notre pays. Je ne crois pas non plus que les indicateurs dont ils disposent soient plus pertinents que ceux des enseignants, de la police, de la gendarmerie, des magistrats, ou encore des élus locaux. Et je ne vois pas en quoi cet avis précédé du titre de ‘’général’’ porterait un message plus loin et plus fort que les autres. Lorsque nous rentrons dans les armées, je crois que, consciemment ou pas, nous prononçons des voeux ; des voeux de chasteté….. Qu’est-ce à dire ? A nouveau l’alliance du sabre et du goupillon ? Non bien sûr. Ce sont des voeux de chasteté qui nous font volontairement renoncer à un mode de vie normal et adhérer à quelques principes simples : le voeu d’accepter une mobilité géographique incessante – jusqu’à 15 à 20 changements de résidence au cours de sa carrière ; le voeu d’accepter sans sourciller de servir en tout temps et en tout lieu, au chaud comme au froid, sous la tour Eiffel, dans l’aéroport de Roissy ou dans l’Adrar des Ifoghas ; le voeu de loyalisme aux autorités de notre pays et enfin le voeu de neutralité politique.

Tout ceci ne ressortit pas du seul respect du devoir de réserve mais en réalité de l’efficacité opérationnelle de nos armées. Car une telle forme d’expression ne pose pas la question de savoir si les signataires ont tort ou raison, s’ils prennent le contrepied ou pas du langage officiel mais bien celle des ferments de la division qu’ils créent ou pas au sein des armées. Car après une tribune dont les médias nous indiquent qu’elle s’inscrit à l’extrême droite, à quand la tribune des généraux d’extrême gauche, celle des généraux du Centre, etc… ? Ces questions de sensibilité politique qui bien sûr existent dans notre corps social comme dans tous les autres corps sociaux ne doivent pas interférer dans l’exercice du commandement en le rendant perméable à ces tendances. Selon le règlement de discipline générale des armées, la force principale des armées réside bien sûr dans sa discipline mais aussi dans sa cohésion et son unité.

Le loyalisme, la neutralité politique, l’unité, la défense des intérêts et la protection des Français, de tous les Français, voilà les voeux que nous avons prononcés à notre entrée dans les armées et ce sont des voeux inviolables tant que nous nous prévalons d’un statut ou d’un grade militaire. Le risque n’est pas cette espèce de fantasme abracadabrantesque d’un putsch ; lequel fantasme est entretenu par ceux qui y trouvent un confort philosophique et idéologique, mais au contraire, un affaiblissement moral des armées, leur division et par là-même, une érosion de leur capacité opérationnelle. La République une et indivisible a besoin d’une armée une et indivisible. Alors, n’abandonnons pas le droit de penser mais restons fidèles à nos voeux de chasteté.

Didier Castres
Le général d’armée (2S) Didier CASTRES est un ancien élève de l’École Spéciale Militaire de Saint-Cyr (promotion Montcalm 1980 – 1982). Après un début de carrière classique pendant lequel il alterne affectations en France, à l’Étranger et en opérations extérieures, il rejoint l’Élysée en 2005. Dès lors et pendant plus d’une dizaine d’années, il est impliqué dans la gestion des crises internationales dans leur dimension militaire : à l’Élysée avec les présidents Chirac et Sarkozy puis comme chef du centre de planification et de commandement des opérations (CPCO) à l’état-major des armées et enfin comme sous-chef d’état-major chargé des opérations au ministère de la défense. Après avoir quitté l’institution militaire, il crée en 2020 un cabinet de conseil (DC TARHA CONSEIL) dans le domaine de la défense et de sécurité nationale dont les services sont essentiellement destinés aux États africains. En 2020, il rejoint le cabinet ESL & Network en tant qu’associé senior.