Le monde d’après, un monde malinformé ?

25.03.2021 - Regard d'expert

La crise sanitaire que nous vivons actuellement marque-t-elle un tournant en matière d’information ? Si les pratiques associées à l’information ne sont pas nouvelles, les sources d’informations fiables semblent se faire de plus en plus rares. Après le monde politique, les médias, les scientifiques, l’éducation, les entreprises, c’est maintenant au tour du corps médical de perdre en crédibilité. Comment vivrons-nous dans le «monde d’après» ? Informés, surinformés, désinformés, mésinformés ?

De la désinformation…

Depuis l’origine de la parole, l’opinion publique a fait l’objet de tentatives, plus ou moins habiles et plus ou moins réussies d’influence ou de tromperie par l’utilisation de techniques de communication. Si dans sa Petite histoire de la désinformation, Vladimir Volkoff recense les premières opérations à l’Antiquité, il reconnaît que cette pratique a trouvé son apogée à la fin du XX° siècle.

Peut-être par ce que nous sommes entrés dans la «société de l’information» avec des technologies de l’information et de la communication (TIC que certains continuent de qualifier de nouvelles !) et des outils beaucoup plus répandus et accessibles. Pourtant, dans les années 1980, les reproches commencent à poindre envers les médias, qui jusqu’alors bénéficiaient de la confiance de leur public. Il leur est notamment reproché d’utiliser le sensationnel en jouant avec les images souvent sensibles et de ne pas vérifier les informations diffusées. Ainsi, en 1989, l’affaire du charnier de Timisoara vient jeter le discrédit sur les médias qui relaient en boucle des images de propagande.

… A la surinformation…

Les années 1980 sont aussi celles de la fin des monopoles étatiques dans le domaine des médias de masse alors utilisés (radio et télévision). Le mouvement des radios libres, initié une décennie plus tôt, revendique en Europe la liberté d’expression et aboutit à la fin effective de ce monopole en France en 1981. A cette multiplication des sources d’information, s’ajoute donc le développement des TIC, et l’homme contemporain devient très informé, au risque de l’être trop. On évoque alors, la surcharge informationnelle, la surinformation ou encore « l’infobésité » pour désigner, derrière le sociologue Edgar Morin, l’abondance d’informations auquel l’individu a accès au point de devenir néfaste ou contre productive dans la compréhension de son environnement. Les médias, Internet et les réseaux sociaux ont multiplié les accès en temps réel à l’information, et ont largement contribué à cet excès d’information.

Un changement majeur est venu s’insérer dans la façon de s’informer avec l’avènement d’Internet : l’individu n’est plus seulement capteur d’informations (ou plutôt comme on dit en anglais de « morceaux d’information ») mais devient moteur de ses recherches et mène maintenant ses propres investigations. Il se revendique documentaliste et utilise, sans y avoir été formé, des moteurs de recherche et des bases de données. Les plus prolixes rêvent de devenir journaliste en diffusant leurs propres articles. Leurs opinions jusqu’alors limitées au cercle restreint de leurs amis, de leurs collègues et de leur famille sont maintenant accessibles à tous sur les réseaux sociaux. Apparaît alors le concept de « fake news » où des fausses informations sont relayées par l’opinion publique, sans être vérifiées, comme ce que la presse avait commencé à faire quelques années plus tôt. Ainsi, de nos jours, il est de bon ton de discréditer toute information ayant pour source «Internet et les réseaux sociaux». Internet n’est pourtant qu’un moyen d’accéder, ou de relayer, l’information.

A l’agnotologie…

A la fin des années 1990, le concept d’agnotologie vient désigner l’étude de la production d’ignorance ou comment certains produisent de l’information, souvent scientifique pour produire, préserver et propager de l’ignorance, par le doute ou des études contradictoires. La science est alors utilisée pour démentir des vérités scientifiques et transformer la connaissance en ignorance. Certaines entreprises, organisées en lobbys, sont alors montrées du doigt comme grandes manipulatrices de l’opinion publique, orientant la consommation et les politiques pour faire voter des lois en leur faveur.. Le monde économique dans sa globalité perd la confiance des individus dans la diffusion d’information jugée forcément orientée. Il est d’ailleurs intéressant de constater de nos jours le développement des émissions d’investigation souvent à charge contre des entreprises, des groupements ou des lobbys. Certaines ONG, parfois plus orientées que leurs cibles, ont d’ailleurs pris le relais des médias dans ces cabales en quête de «vérité».

De leur côté, les politiques n’ont jamais été synonyme de neutralité de l’information, trop habitués à jouer avec les chiffres et les données. Mais pour le CEVIPOF, qui édite le Baromètre de la confiance politique, la dernière décennie a été celle de la crise de la confiance politique. Le baromètre 2019 de ce laboratoire faisant référence en science politique est même sous-titré «baromètre de défiance politique». Avec la crise sanitaire que nous vivons, le corps médical, et avec lui le monde de la recherche, viennent eux aussi de perdre leurs gages de crédibilité informationnelle. Les processus, normalement stricts et cadrés de validation ont été bousculés par l’urgence imposée par l’opinion, la finance et le politique. Alors pour pallier l’absence de connaissances et ne pas reconnaître leur ignorance, de nombreuses sources d’information sont frappées de logorrhée, d’incontinence verbale. Les politiques, les médecins, les médias, les entreprises, l’opinion publique, toutes les sources d’information semblent souffrir d’un besoin incontrôlable d’informer, au risque de servir de la bouillie informationnelle sans aucune saveur.

… A la malformation

Ainsi, notre environnement informationnel est devenu complexe. Il n’y a plus d’opposition binaire entre l’opinion manipulée et le pouvoir, quel qu’il soit, comme au bon vieux temps de la désinformation. L’individu est aujourd’hui confronté à une multiplicité de sources d’information. Parmi ces sources, certaines diffusent ou créent des informations intentionnellement erronées ou orientées. On peut alors parler de désinformation ou de mésinformation. Mais il semble qu’il existe aussi de nombreuses sources, sans intention précise, sans finalité orientée, qui participent à ce grand marché de l’information mêlant connaissance et ignorance, comme si la machine à produire de l’information s’était enrayée ! Il en résulte que l’individu est mal informé. Bien qu’il en soit aussi responsable en ayant modifié ses habitudes de consommation informationnelle : l’individu, avant habitué à recevoir l’information d’une source, puis à aller la rechercher à la source, l’individu a progressivement changé ses habitudes pour des recherches « par mots clés » sur Internet. Ainsi de nouvelles méthodes sont venues modifier l’accès à l’information : ce n’est plus la source légitime, crédible ou pertinente qui fait foi mais celui qui crie le plus fort. Face à cet environnement informationnel complexe, il est donc aujourd’hui nécessaire d’avoir recours à une certaine rigueur et faire preuve de professionnalisme. C’est ce que propose l’intelligence économique : disposer d’une bonne connaissance de son environnement informationnel pour prendre les bonnes décisions

François Jeanne-Beylot
François Jeanne-Beylot est entrepreneur, Gérant fondateur de Troover-In- Médiatic, société spécialisée depuis 20 ans dans l’intelligence économique et l’influence en ligne. Spécialiste reconnu de la recherche d’information, la veille et l’OSINT, il intervient régulièrement sur ces problématiques dans différents centres de formations et conférences (IHEDN, l’EGE, etc). Il est par ailleurs à l’initiative et organisateur des Assises africaines de l’intelligence économique, administrateur du SYNFIE et membre du comité d’éthique du SYNFIE.