Israël et le continent Afrique – entre stratégie et fraternité

04.03.2021 - Regard d'expert

La valeur d’un homme tient dans sa capacité à donner et non dans sa capacité à recevoir disait Albert Einstein. Puissions-nous transposer cette citation à un État, et dès lors, toute vision de la doctrine politique serait remise en cause. En effet, il n’existe aujourd’hui que très peu d’États – voire aucun – qui donneraient sans assurance de recevoir en retour. Il se peut, par ailleurs, que ce soit un idéal auquel certaines puissances aspirent.

Ce fut le cas de l’État d’Israël lors de son indépendance, mais bien que dans une certaine mesure, il ait pu atteindre cet objectif, la réalité reprit vite le dessus, alliant stratégies géopolitiques et intérêts économiques, avec l’objectif d’assurer à l’État hébreu sa place sur le continent africain. Dans la tradition juive, il existe la notion de « Tikun Olam », concept humaniste visant à aider sans compter dans l’optique de rendre le monde meilleur.

C’est à partir de cette notion que se sont développées les premières relations entre Israël et les pays d’Afrique. Tout d’abord, il est important de noter que les relations entre Israël et le continent africain n’ont pas toujours été cordiales, bien qu’aujourd’hui plus de 40 pays en Afrique aient noué des relations diplomatiques, politiques et économiques avec Israël. En effet, dès l’Indépendance d’Israël, en 1948, et sous l’influence de la vague de décolonisation et d’indépendance des États africains, de bonnes relations se sont créées entre certains États africains et l’État hébreu. Jusqu’en 1967, l’année où la Guerre des Six Jours éclate entre Israël et ses voisins arabes, dans le contexte de la crise pétrolière mondiale, ces derniers firent pression sur les États d’Afrique, leur demandant de couper toute relation avec l’État juif. Ce n’est qu’à la suite de la Guerre de Kippour, dans les années 1980, que les relations entre l’État hébreu et l’Afrique sub-saharienne revirent le jour et qu’Israël commença à établir des liens solides avec une majorité des pays du continent.

Ce fut premièrement à travers MASHAV, agence israélienne de coopération internationale pour le développement, fondée en 1950 par l’ancienne chef de la diplomatie et Première ministre Golda Meir, qu’Israël initia ses activités de développement en Afrique, et ce, dans divers domaines – agriculture, santé, éducation et formation professionnelle, aide humanitaire, etc… Sur le plan médical, par exemple, Israël s’associa rapidement aux efforts visant à contenir l’épidémie Ébola en Afrique de l’Ouest. L’État juif a envoyé du matériel médical de base et des médicaments en Sierra Leone, des équipements de protection au siège de l’Union africaine ainsi que des médecins au Cameroun et en Côte d’Ivoire, afin d’aider à renforcer les capacités locales en matière de préparation aux situations d’urgence. À un niveau local, MASHAV fut également très active dans les programmes liés à l’agriculture et l’environnement, secteurs dans lesquels Israël jouit d’une réelle avance technologique, en particulier dans les pays où l’accès à l’eau est précaire. Israël, grâce à ses compétences pointues dans ces domaines, s’est positionné en Afrique et a contribué au développement de nombreuses structures à travers le continent.

Pour autant, les domaines de l’agriculture et de la santé ne sont pas les seuls en Afrique à avoir été impactés par le savoir-faire israélien. Également à la pointe de la technologie en matière de sécurité et d’armement, Israël a remporté de nombreux marchés africains, et certaines compagnies de sécurité israéliennes se sont même essentiellement focalisées sur l’Afrique. Israël a par exemple fourni des services de protection rapprochée permettant d’assurer la sécurité de chefs d’États africains à l’instar du Cameroun, du Kenya, du Rwanda ou encore de l’Ouganda. À cet effet, des services de sécurité israéliens ont été déployés dans les palais de ces derniers afin de les protéger en tant que personne mais également afin de protéger leur pouvoir en place. Sachant que les entreprises de sécurité sont la plupart du temps dirigées par des anciens militaires de Tsahal ou du Mossad, les dirigeants africains achètent une certaine stabilité en prévention d’éventuels coups d’État. Par ailleurs, Israël est également présent dans les conflits armés sur le continent.

Le gouvernement israélien a notamment fourni des armes dans des conflits africains tels qu’au Soudan du Sud et au Burundi ces dernières années. Parce que les ressources africaines furent depuis toujours l’attrait principal du continent, certains pays africains ont décidé d’utiliser l’aide, le matériel et l’expertise des services israéliens, tant militaires, sécuritaires que médicaux, comme un moyen de s’affranchir des puissances coloniales qui les ont un jour contrôlées. Les pays africains voulaient se débarrasser de toute ingérence extérieure dans leur processus politiques, militaires et économiques, et Israël, pays nouvellement indépendant à l’instar de la majorité des pays d’Afrique, qui s’est construit presque par lui-même en l’espace de 70 ans, est donc un exemple pour ces États subsahariens, qui, après de nombreuses années sous le joug des puissances coloniales, ont enfin réussi à s’affranchir.

Pourtant, à l’instar des puissances coloniales du siècle précédent, certains israéliens n’ont pas brillé par leur aide dans le développement du continent, bien au contraire. Le secteur minier africain fut secoué récemment par un scandale où corruption et pots-de-vin furent de mise, trahissant une lutte acharnée entre hommes d’affaires pour le contrôle des ressources africaines. Ce fut le cas de l’affaire Steinmetz ou le principal suspect, l’homme d’affaires franco-israélien Beny Steinmetz, fut accusé de corruption concernant un important contrat minier en Guinée. Il fut condamné fin janvier à cinq de prison par un tribunal de Genève dans un procès qui fut décrit comme la plus grande affaire de corruption jamais enregistrée dans le secteur minier. Steinmetz fut reconnu coupable de corruption d’agents publics en Guinée afin de prendre le contrôle des gisements de minerai de fer du pays.

Finalement, qu’est-ce que l’État d’Israël gagne à renforcer sa relation avec l’Afrique ? Les intérêts d’Israël dans sa relation avec le continent africain sont essentiellement politiques et diplomatiques. Que ce soit par l’ouverture de nouvelles ambassades africaines en Israël, par le déplacement d’ambassades déjà établies de Tel Aviv à Jérusalem, reconnaissant alors cette dernière comme capitale de l’État hébreu, ou enfin par des votes favorables à Israël dans les institutions internationales telles que l’ONU, Israël a de nombreux avantages à établir des relations stables et durables avec les pays sub-sahariens.

Cependant, économiquement, l’État hébreu a plus de mal à suivre la hauteur de ses ambitions africaines. Le discours israélien prônant la détention d’un savoir-faire technologique, les outils de sécurité et sa capacité d’apporter une prospérité au peuple africain est surestimé en raison des ressources limitées de l’État hébreu. Le nombre de diplomates de haut niveau travaillant en Afrique, par exemple, ne dépasse pas quatorze, et les relations avec les pays africains sont gérées soit par des ambassadeurs non-résidents, soit depuis Jérusalem. De plus, si le nombre d’États africains disposés à nouer des relations diplomatiques ou économiques avec Israël ne cesse de croître au fil des années, ces États ne semblent pas prêts à soutenir l’État hébreu sur la question palestinienne.

Certaines des grandes puissances économiques africaines actuelles – Nigéria, Algérie, Afrique du Sud – en font même une condition non négociable et sont opposées à toute relation avec l’État hébreu tant que le conflit israélo-palestinien ne sera pas résolu. Ainsi, même si Israël et l’Afrique ont réussi en grande partie à établir des relations bilatérales stables et prospères sur les plans économique et politique, l’État juif ne fera pas l’unanimité sur le continent africain tant que l’instabilité politique du Moyen-Orient persistera. Ou du moins, tant qu’Israël ne mettra pas les moyens nécessaires afin de s’assurer une représentabilité digne du travail que le pays souhaite accomplir sur le continent africain.

Sarah Chemla
Sarah Chemla est une ancienne élève des classes préparatoires MPSI/MP à Janson de Sailly et de l’Université Paris Dauphine, diplômée en mathématiques appliquées, informatique et sciences des données. Elle change ensuite de voie et part s’installer à New York, où elle entre en politique et diplomatie internationale en intégrant la Mission d’Israël à l’ONU en tant que Conseillère pour l’Ambassadeur d’Israël, Danny Danon. Actuellement basée en Israël, elle travaille à la fois comme contributrice pour le Jerusalem Post ainsi que comme conseillère indépendante en politique, diplomatie et stratégie digitale.