Qui succédera à Angela Merkel ?

05.02.2021 - Regard d'expert

Avoir été élu le 14 janvier 2021 chef de la Chrétienne-démocratie n’implique pas forcément que le nouveau président de la CDU soit pour autant, quelques mois plus tard, désigné comme candidat à la chancellerie de Berlin. Cette deuxième bataille – arbitrée par 10 000 membres du parti – aura donc lieu, très vraisemblablement en avril / mai, après les deux élections régionales du Bade-Wurtemberg et de la Rhénanie- Palatinat.

Deux postulants chrétiens-démocrates, Armin Laschet, patron respecté du plus puissant Länder allemand qu’est la Rhénanie-Westphalie, et Norbert Röttgen, ancien ministre de l’environnement de la chancelière Angela Merkel, s’étaient posés en rivaux dans plusieurs sondages préliminaires éclipsant Friedrich Merz, un pré-favori d’ascendance huguenote par sa mère. Ce dernier n’a pas disparu pour autant, très soutenu par les milieux d’affaires allemands au titre de ses mérites d’ancien numéro 1 européen du fond d’investissement américain Blackrock. Dans cette compétition, certains candidats putatifs se montrent bien plus résignés que combatifs. Tel est le cas de Jens Spahn, l’actuel ministre de la santé de Berlin, qui s’est rallié à Laschet. Röttgen, luimême, hier favori possible, fait mine aujourd’hui de se compter parmi des perdants résignés ainsi d’ailleurs que le ministre des Affaires étrangères Heiko Maas qui, bien peu charismatique, s’est prudemment tenu hors de cette course.

Aucun ne perd cependant totalement espoir car il se pourrait bien que, comme souvent dans l’après-guerre, une coalition noire/jaune, des Chrétiens-Démocrates et des libéraux apparaisse comme seule garante d’une économie de marché offensive pour laquelle milite le leader du parti libéral-démocrate Christian Lindner. Laschet / Söder / Merz : chacune de ces trois figures chrétienne-démocrates est aujourd’hui en situation de bénéficier des suffrages, à hauteur de 35 % des voix, score supposé de la démocratie-chrétienne. Une performance peu exceptionnelle pour une vitrine peu convaincante. Surtout dans une Allemagne nostalgique d’un juste milieu politique présentement introuvable. Sauf à imaginer que, par impossible, l’actuelle chancelière, qui a épisodiquement impressionné son monde par sa gestion de la crise sanitaire actuelle, se présente une cinquième fois. Cette réussite impressionnante d’Angela Merkel ne gomme pas cependant la gestion chaotique de sa relève désignée . On se souvient du choix comme dauphine de la Sarroise Annegret Kramp-Karrenbauer qui s’est soldé par une Bérezina politique, cette dernière accumulant les échecs comme cheffe de la CDU puis comme ministre de la Défense.

Une nouvelle ère ne s’en ouvre pas moins. Après quatre législatures conduites strictement par une Luthérienne venue de l’Allemagne de l’Est, l’originalité des quatre candidats crédibles, en lice à Berlin, réside dans le fait qu’ils sont tous allemands occidentaux nés à l’Ouest de l’Elbe, catholiques romains ou issus du puissant Land de Rhénanie- Westphalie. Aucune de ces figures masculines ne soulève cependant l’enthousiasme. Armin Laschet, en journaliste émérite, est tenu pour bon orateur.

Mais si sa gestion du Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, de facto le plus puissant d’ Allemagne, est jugée globalement exemplaire, il lui a pourtant été récemment reproché d’avoir, au plus fort de la pandémie virale qui ébranle l’Allemagne, souvent perdu son sang froid. Il s’est néanmoins amélioré au fil des jours se révélant comme l’homme de coeur et d’instinct qu’il est, dans un Land qu’il préside à l’affect, dans une réelle proximité humaine, n’oubliant pas ses racines puisées dans le pays minier de la Ruhr.

C’est sur ces qualités que Laschet emporta le vote des délégués du parti, le 14 janvier 2021 et sut gagner la salle à sa cause alors même que, face à lui, Merz ne fut que brillant. Au point, dira-t-on à la cantonade, de rayonner froid. Markus Söder, le ministre-président de la très catholique Bavière, mais de confession luthérienne, reste lui aussi dans la course à la candidature. Prudemment car il ne peut ignorer qu’en 1980, Frans-Josef Strauss, le seul Bavarois s’étant risqué dans une telle aventure, avait, au final, été battu par une coalition adverse sociale-libérale conduite par le social-démocrate Helmut Schmidt. Söder s’est déjà secrètement placé en soutien possible de Laschet pour, si l’opportunité lui en est offerte, aider le favori potentiel à faire mordre la poussière à Merz. Il espère cependant que les bons sondages dont il est crédité et un reflux de Laschet lui donnent l’opportunité de l’emporter dans cette compétition. C’est d’ailleurs une hypothèse d’ores et déjà envisagée par Angela Merkel.

Reçue chaleureusement, au mois de juillet 2020, par Markus Söder dans les fastes du château rococo bavarois de Herrenchiemsee, elle n’a cessé de vanter le tandem Nord / Sud harmonieux que pourrait former son hôte avec Laschet qui bien que né à Aix-la-Chapelle, a surtout étudié le journalisme à Munich. Le Bavarois croit-il à ses chances? Très sûrement. Pour la simple et bonne raison qu’il se sait plébiscité par l’ensemble des Allemands autant que par la chancelière. Au final, il n’est cependant pas moins exclu que Merz, résigné à ne pas planer au-dessus du lot, force néanmoins le passage in extremis.

Il lui faut pour cela éviter que sa brillance rhétorique et dialectique ne nourrisse trop fortement le soupçon d’arrogance qui entache son personnage. Il lui faut aussi user de son talent de tacticien pour « polariser », ou, pour tout dire, « droitiser » les débats au sein de son propre parti. Avec le dessein, arguent ses détracteurs les plus vivaces, d’espérer ainsi ravir à son profit, toute honte bue, afin d’être choisi comme candidat à la candidature par les 10 000 délégués désignés à cet effet, les quatre ou cinq points qui lui manquent, au sein de l’électorat droitier extrémiste de l’Afd (Alternative pour l’Allemagne). A ce jour, et sans que la date soit encore connue, la question cruciale reste de savoir quel sera le mode de sélection du futur candidat démocrate- chrétien qui mènera la bataille lors des élections générales de septembre 2021. Celui-ci sera-t-il automatiquement Armin Laschet, fraîchement élu Président du Parti , ainsi que le propose son prédécesseur Annegret Kramp-Karrenbauer, dans le droit fil des pratiques antérieures ? Ou le choix se portera-t-il plutôt sur une dissociation des fonctions de chef de parti et de chancelier ? Avec pour conséquence la remise en selle, au même titre que Laschet, de ces indubitables candidats potentiels crédibles que sont Merz et Söder. Cette dissociation est effectivement plausible. Elle déclenche, dans l’immédiat, éclats de voix et rapports de force.

Ça a été notamment le cas lors d’une rencontre Lachet / Merz / Söder, à l’invitation du nouveau Président élu, qui se termina, suite à un déchaînement d’égos, en pugilat bruyant. Nous sommes ainsi, en cette fin de janvier 2021, dans une confusion inédite avec des belligérants centraux, Laschet et Merz, départagés de justesse, dans le parti par un score serré de 53% contre 47%. Il faut prendre en considération l’âpre détestation de Merz par la chancelière sortante que ce dernier lui rend bien. Merz hautain, mais pétri de talents, ne cesse de répéter que par contraste avec ses rivaux passéistes, il « joue pour le monde d’après. » Sans tabou, il ne s’interdit rien, y compris de rejoindre le parti libéral, partenaire d’appoint naturel de la démocratie-chrétienne, qu’il transformerait aisément en parti trouble fête.

Il n’est pas sûr que l’actuelle pandémie lui en laisse le loisir. Dans l’immédiat, Angela Merkel peut s’offrir le luxe de faire montre d’un sens de la provocation plus que surprenant. Dans une Allemagne si attachée à ses dogmes de prudence et de rigueur financières, son fidèle porte-parole Helge Braun, très visiblement inspiré par elle, a pu se permettre d’évoquer la mise en place, pour les prochaines années, d’un « corridor dégressif » approprié pour traiter des endettements cumulés en souffrance. Un tel dispositif nécessiterait une modification de la constitution de Berlin, historiquement très restrictive sur ce plan. « Stupéfaction », « sacrilège » : telles ont été les réactions au sein des instances décisionnelles de la démocratie-chrétienne où l’endettement, également assimilé à un « poison » est considéré comme l’apanage des « pays du club med » méridionaux de l’Europe.

Cette confusion générale, l’illisibilité de la situation politique, ce déchaînement de passions et ces tâtonnements partisans ne sont pas nouveaux. On se souvient que ce fut déjà le cas il y a quatre ans au début de l’actuel mandat et que cela avait duré plusieurs semaines. A l’époque seule la mise en place d’une grande coalition droite / gauche entre la CDU et le SPD, avait permis à l’Allemagne déjà sévèrement déboussolée de ne pas perdre son Nord. Au moment où nous parlons, il est bien difficile de savoir quelle direction indiquera la boussole.

Michel Meyer
Écrivain et journaliste, Michel Meyer a été correspondant en Allemagne pendant une quinzaine d’années au service de la télévision publique française, au point de devenir un des meilleurs connaisseurs de sa culture. Il devient ensuite directeur de l’information de Radio France, avant de participer à la création de France Info en 1987. Il a également publié plusieurs ouvrages, notamment son « Dictionnaire amoureux de l’Allemagne » aux éditions Plon, en 2019.