Le vaccin, un bien public international ?

22.04.2021 - Regard d'expert

Un principe de réalité : personne, nulle part, n’est en sécurité tant que tous ne le sont pas. Quand un coronavirus menace toute l’humanité, les vaccins, les traitements et les tests doivent, par conséquent, être produits puis fournis aux pays et aux organisations au plus faible coût possible et administrés gratuitement à toute personne en ayant besoin. La crise du Covid-19 oblige à repenser fondamentalement la notion de solidarité internationale.

Face à une pandémie mondiale, les dirigeants mondiaux doivent s’engager à ce qu’aucune barrière ne soit faite à la recherche et au développement, à la production ainsi qu’à la distribution juste et équitable de traitements sous prétexte de la propriété intellectuelle. Au lieu de cela, les vaccins sont devenus un actif de spéculation commerciale entre laboratoires et l’enjeu de batailles d’approvisionnement entre États. Sans même parler des populations des pays en développement reléguées en queue de vaccination.

La question de la propriété intellectuelle sur les vaccins est au coeur des débats

Pour certains responsables politiques et de nombreuses associations, ils devraient être considérés comme des biens publics mondiaux, et des politiques adéquates devraient être élaborées, afin de maximiser la fabrication de produits efficaces. Pour ce faire, ils appellent à lever les brevets sur les vaccins, en particulier ceux contre le Covid-19. Cet appel fait écho à la Déclaration de Doha sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (Adpic) et la santé publique en 2001, au plus fort de l’épidémie de VIH/Sida, qui a affirmé le droit des États de prendre toutes les mesures nécessaires pour abolir les brevets, permettant ainsi aux gouvernements de faire prévaloir la santé publique sur les intérêts des entreprises. Les arguments économiques en faveur de la mutualisation des savoirs et des brevets sont sans appel. Selon OXFAM, vacciner la moitié la plus pauvre de l’humanité contre le coronavirus pourrait coûter moins que quatre mois de bénéfices des grandes compagnies pharmaceutiques.

Or, lors de la pandémie du Covid-19, la réalité fut autre. La pratique des droits de propriété intellectuelle, utilisée par les grands groupes pharmaceutiques (Big Pharma) est présentée comme justifiée par la nécessité de retour sur investissement de la recherche. Mais en réalité une grande partie de la R&D provient de fonds publics. La mesure en faveur de la renonciation au brevet est une option à laquelle les laboratoires pharmaceutiques s’opposent farouchement, et les États du Nord aussi, mais plus modérément. L’argument est le suivant : lorsqu’un médicament est découvert et développé, l’entreprise fait breveter sa découverte afin que personne d’autre ne puisse le fabriquer. Cela lui permet de contrôler les prix et la production et de recouvrer ses dépenses de R&D. Dans l’ensemble, les États s’opposent à la suspension des brevets au prétexte que cela entraverait l’innovation scientifique en décourageant les investisseurs privés de s’engager dans l’industrie. L’octroi obligatoire de licences supprimerait toute incitation à investir sur fonds propres. La situation est complexe, car les vaccins contre les coronavirus ne s’appuient pas sur un, mais sur plusieurs brevets. Si les vaccins à ARN messager de Pfizer-BioNTech et de Moderna ont été mis sur le marché en moins d’un an, ils reposent en partie sur des brevets bien antérieurs. Notamment une technologie conçue par l’université de Pennsylvanie pour fabriquer un ARN messager inoffensif pour l’organisme, dont le brevet a été déposé en 2005. Le code génétique du SARS-Cov2 et de l’ARN messager est dans le domaine public, c’est la technologie d’encapsulation et le savoirfaire qui appartiennent à des entreprises.

Qu’est-ce qui peut être envisagé face à la difficulté du brevet ?

D’abord, il existe un levier juridique dans de nombreux pays, dont la France, pour libérer des brevets. Il s’agit de la « licence d’office ». Les États peuvent contraindre un laboratoire à accorder une telle licence, à des conditions « équitables, raisonnables et non discriminatoires », à d’autres entreprises, qui peuvent dès lors produire et commercialiser les vaccins. Dès mars 2020, le parlement chilien a adopté une résolution déclarant que l’épidémie mondiale du Covid-19 justifiait le recours à la licence obligatoire pour faciliter l’accès aux vaccins, aux médicaments, aux diagnostics, aux dispositifs, aux fournitures et aux autres technologies utiles pour la surveillance, le diagnostic et le traitement des personnes infectées par le coronavirus. L’Équateur, Israël et le Canada ont adopté une résolution similaire. Le Parlement allemand a voté une loi spéciale amendant l’Infektionsschutzgesetz (loi pour éviter les infections) qui prévoit dans le cadre de la pandémie de Covid-19 que le gouvernement peut décider que les brevets n’auront aucun effet si le gouvernement fédéral ordonne que l’invention soit utilisée dans l’intérêt du public. Il est aussi possible de favoriser la négociation de transferts de licences entre laboratoires. Dans le cas du Covid-19, plusieurs laboratoires concurrents ont signé des accords de transfert de technologie. AstraZeneca a fait oeuvre de pionnier en concluant un accord avec le Serum Institute of India : un milliard de doses du vaccin d’AstraZeneca fabriquées en Inde sous le nom Covishield pour fournir les pays à faible revenu.

Reste un autre moyen pour démultiplier l’offre vaccinale. Les Etats ont versé environ 10 milliards de dollars pour financer la recherche, les essais cliniques et la production. Face à une pandémie mondiale, ce financement public devrait avoir pour contrepartie que compte tenu des énormes volumes de ventes attendus, les prix soient faibles, à prix coûtant dans les pays pauvres. Quoi qu’il en soit, le rachat de licence ou la suspension des brevets ne règlent pas tous les problèmes à court terme. Derrière les questions de propriété intellectuelle se cachent des problèmes de logistique très contraignants. Chaque site de production a besoin de techniciens hautement qualifiés et des équipements de pointe (bioréacteurs, centrifugeuses, chambres froides…) qui répondent à des normes élevées de sécurité et de performance

Pierre Jacquemot
Pierre Jacquemot est senior economic advisor chez ESL.GOUV. A la fois universitaire et diplomate, il est ancien ambassadeur de France, au Kenya (2000-2003), au Ghana (2005-2008), puis en République Démocratique du Congo (2008-2011). Il a également été conseiller du Président du Sénégal, Abdou DIOUF. Depuis 2011, il est président du GRET - Professionnels du développement solidaire, chercheur associé à l’IRIS, collaborateur de l’Institut Nord-Sud d’Ottawa, et membre du Comité de direction du CIAN (Conseil des investisseurs français en Afrique). Il enseigne à Sciences Po-Paris, au CEFEB de Marseille et à 2iE de Ouagadougou.