États Unis : certitudes et incertitudes post-électorales

12.11.2020 - Regard d'expert

De l’avalanche des commentaires qui ont suivi les élections américaines, que faut-il retenir ? Sur le plan intérieur, quelles que soient les procédures judiciaires engagées par Trump, une certitude : Biden sera le Président des États-Unis le 20 janvier. En revanche, deux incertitudes subsistent, qui détermineront assez largement les marges de manoeuvre du Président et l’atmosphère politique du pays.

La première incertitude porte sur la majorité au Sénat. C’est important car c’est lui qui a le dernier mot sur les nominations au gouvernement et sur les budgets. Tout va se jouer le 5 janvier en Géorgie, dans un second tour pour l’élection des deux sénateurs de cet État. Ils sont aujourd’hui Républicains. S’ils sont réélus (ce qui est aujourd’hui le plus probable), les Républicains garderont leur courte majorité au Sénat et leur leader, Mitch McConnell, imposera une cohabitation à Joe Biden. Les deux hommes, qui ont le même âge et s’apprécient, y parviendront sans difficulté. Il en résulterait des nominations aux principaux postes économiques et des programmes financiers et sociaux « centristes », au grand dam de l’aile gauche du parti Démocrate. Si les deux sénateurs élus le 5 janvier sont démocrates, le Sénat sera à 50/50 et la vice-présidente Kamala Harris fera pencher la balance en faveur des démocrates. Les nominations et les programmes économiques et sociaux pourraient alors pencher plus à gauche. L’autre grande incertitude, à plus long terme, porte sur l’avenir du parti Républicain. Avec ses tweets suivis par 80 millions de followers, et des électeurs qui ont été, le 3 novembre, 4 millions de plus à voter pour lui qu’il y a quatre ans, Trump tient le parti et lui impose une ligne populiste, voire extrémiste avec l’émergence de milices armées. Biden va tout faire pour réconcilier les deux Amériques, la Bleue et la Rouge. Mais l’avenir de la démocratie américaine dépendra d’abord de la capacité des dirigeants républicains à tourner la page Trump et à reconstruire le parti sur la base de ses valeurs traditionnelles modérées.

Rien ne le garantit à ce jour. Sur le plan international, les Européens doivent tenir pleinement compte de deux éléments majeurs de continuité de la politique étrangère de Washington : le premier est la confrontation États-Unis/Chine : elle va se poursuivre car les Américains sont massivement déterminés à tout faire pour empêcher la Chine de devenir la première puissance mondiale. Le second élément de continuité découle du premier : cette fixation antichinoise va conduire le Président Biden à poursuivre le désengagement américain de tous les conflits régionaux non asiatiques. Ce retrait a commencé pendant les deux mandats du Président Obama dont il a été, pendant huit ans, le Vice-Président, et s’est poursuivi sous Trump. Cela signifie que les Européens devront davantage assumer leurs responsabilités dans leur « étranger proche », en Europe orientale, en Méditerranée, au Sahel. Seule exception : l’Iran puisque Biden a annoncé son intention de revenir dans l’accord nucléaire si Téhéran revient à une stricte application de toutes ses clauses et accepte son élargissement. En revanche, et c’est important, avec Biden, Américains et Européens se retrouveront pour défendre et moderniser un ordre multilatéral fondé sur des valeurs inventées en Europe et servi par des organisations internationales créées sous l’impulsion des Présidents américains depuis la deuxième guerre mondiale.

Ce sera le domaine majeur de coopération transatlantique, du climat au commerce, dans une atmosphère de retrouvailles entre membres de la famille des démocraties. Pour autant, les Européens doivent être lucides : le monde a changé et nous devons en tirer les conséquences. Soit nous sommes capables de devenir le troisième grand acteur du nouvel ordre mondial, aux côtés des États Unis et de la Chine, en affirmant notre indépendance dans tous les domaines clefs pour l’avenir comme ceux de l’intelligence artificielle, des data, de la 5G, en faisant de l’euro l’autre grande monnaie internationale, et en renforçant nos capacités militaires, bref en bâtissant cette Europe souveraine voulue par Emmanuel Macron et Angela Merkel, soit nous sortirons de l’Histoire.

Jean-David Levitte
Jean-David Levitte est senior policy advisor pour le groupe ESL Network. Il a eu une carrière diplomatique remarquable, marquée dans un premier temps par un passage à l’Elysée aux côtés du Président Giscard d’Estaing de 1975 à 1981. De 1995 à 2000, il a été le Conseiller diplomatique et Sherpa du Président Jacques Chirac. Entre temps, il a notamment occupé les fonctions d’Ambassadeur de la France aux Nations Unies à Genève. De 2007 à 2012 il a été le conseiller diplomatique et Sherpa du Président Nicolas Sarkozy. De 2003 à 2007 il a été Ambassadeur à Washington pendant la difficile période de la guerre en Irak. De 2000 à 2002 il a été Ambassadeur à l’ONU à New York, présidant le Conseil de Sécurité lors des attaques du 11 septembre 2001.