Chronique « fin de règne » pour Angela Merkel

23.10.2020 - Regard d'expert

Le 4 décembre prochain, tout indique que le 33ème congrès de la Chrétienne-démocratie allemande se posera comme un rendez-vous fatidique. Jadis au zénith dans l’esprit de la chancelière, Annegret Kramp-Karrenbauer, l’actuelle présidente du parti gouvernemental, démissionnaire, devra assister, en présence de Madame Merkel et parmi les mâles en lice, au triomphe de l’homme qui lui succédera. Aucune femme ne sera en effet présente parmi les compétiteurs de ce scrutin.

Un camouflet pour la chancelière. Alors même que sa gestion de la pandémie du coronavirus l’avait, ces derniers douze mois, projeté à des niveaux de sondages plus que favorables (80 % d’adhésions à son endroit, pour seulement 30 % en faveur de son parti), après trois années de désillusions et d’improvisations sur une scène intérieure mitée par les succès d’une extrême droite conquérante. Son imprégnation de scientifique et son sang-froid l’avait vu magistralement s’imposer pour juguler les premiers assauts du coronavirus. D’instinct, elle sut aussi faire tandem avec Christian Drosten, ce jeune docteur qui, devenu la star des médias, avait, dès la mi-janvier 2020, déclenché massivement les testings, tout en dénichant, au sein des 100 000 PME que compte l’Allemagne, ces gisements de réactifs et autres respirateurs et masques chirurgicaux qui manquaient cruellement ailleurs en Europe. Une action basique qui eut pour effets de réduire, au sein des jeunes générations infectées, mais asymptomatiques, un niveau de létalité spectaculairement faible. Un joli succès qui ne fut que transitoire dans la mesure où l’Allemagne connaît aujourd’hui les mêmes difficultés que ses voisins pour faire face à une pandémie tenace. Face à laquelle la chancelière enrage. Car selon elle, « les présidents des Länder sont bien trop hésitants. Et insuffisamment durs pour faire reculer le virus. » Sur d’autres fronts aussi, tout particulièrement celui du jeu de chaises musicales qu’elle se doit d’orchestrer sous la pression du temps, la chancelière est maintenant à la peine. Certes, elle profita providentiellement de l’ardeur que mit le président Emmanuel Macron à catapulter Ursula von der Leyen, anciennement ministre allemande de la Défense et gravement « démonétisée » en Allemagne, à la présidence de la Commission Européenne. Un sauvetage bien plus qu’une promotion méritée mais qui, lui offrit l’opportunité de recaser sa protégée, Annegret Kramp-Karrenbauer, déjà promue présidente de la CDU, à la tête de la Bundeswehr. Autant de choix désastreux s’avérant, à l’un ou l’autre postes, de dramatiques erreurs de casting. A Stuttgart, le 4 décembre prochain, Angela Merkel, se trouvera donc à 9 mois d’un départ prévu pour fin septembre 2021, en laissant son parti en situation de désordre. Des troubles qui se manifestent en ordres dispersés avec, au coeur même du parlement, cette leçon de démocratie appliquée émise cette semaine à l’intention du gouvernement par Wolfgang Schaüble, le très influent président du Bundestag et critique rituel permanent de la chancelière.

Schaüble y rappelle, sur le mode maître d’école, que concernant la lutte contre la pandémie les « remises en cause d’ampleur de principes juridiques ne peuvent se fonder sur des généralités. » Et que le législateur parlementaire, « concernant ces principes essentiels, se doit de prendre ces décisions luimême et non point les laisser à la discrétion de son administration. » Une déclaration qui a stupéfait dans les rangs chrétien-démocrates de la majorité dont jouit Angela Merkel, mais qui va réjouir les verts, les libéraux et la gauche. Angela Merkel se réjouit-elle déjà de tourner la page après quatre mandats ? Ou se soucie-t-elle déjà de ce que sera sa place au tribunal de l’histoire ? Insaisissable, volontiers mutique, mais incurablement méthodique, elle sait néanmoins déjà où demain la conduira. Car pour elle, tout sera nouveau et enchanteur. « Des années durant, a-t-elle un jour confié, en marge d’un sommet économique mondial, à Barack Obama pour qui elle a eu très vite les yeux de Chimène, j’ai rêvé de liberté et de longs voyages aux États- Unis. » Pour vite ajouter : Ils m’étaient interdit. Mais je me réservais pour ceux que j’avais prévu de faire en Amérique le jour où j’atteindrais ma retraite, après 60 ans… » Ce « rêve américain » consistera-t-il, en pré-septuagénaire encore alerte, à vivre en marge d’un campus californien avec une charge d’enseignement ? Ce sera bien plus. Et même une sinécure.

Puisque l’ancien président américain lui a aimablement proposé de rejoindre cette Obama Foundation qu’il vient de fonder. Dans l’immédiat, pour regarnir la tête de son parti, la chancelière devra cette fois choisir entre trois postulants masculins. Une certitude. Elle ne se votera sûrement pas pour Friedrich Merz. Ancien numéro un du conseil de surveillance de Black Rock, le plus gros fonds d’investissement au monde avec lequel il vient sagement de prendre ses distances. Détail qui a son importance. Jadis assassiné politiquement par Merkel, Merz, natif du Sauerland, une région montagneuse du centre de l’Allemagne, entretient avec elle des relations exécrables. Rhéteur redoutable, Merz ne lui a pas pardonné la « social-démocratisation » interstitielle de la chrétienne-démocratie allemande. Et il ne laisse aucune ambiguïté sur le virage à droite qu’il entendrait, une fois au pouvoir, imprimer à ligne de sa famille politique. Son objectif, « diviser par deux le poids électoral de l’AfD », le parti-vedette de l’extrême droite. Ce qui impliquerait aussi, argue-t-il, de durcir les politiques migratoires. Plus naturel sera le soutien de la chancelière au duo que forment opportunément deux enfants terribles chrétiens-démocrates : – D’un côté le frondeur Jens Spahn, vivement opposé à l’accueil de migrants ; – Armin Laschet de l’autre, en tant que chef parlant vrai et dru du Land de Rhénanie du Nord / Westphalie. Rien moins que le plus peuplé et le plus économiquement doté d’Allemagne. – S’y ajoute Markus Söder, l’actuel ministre-président de Bavière et président du parti chrétien-social bavarois allié à la Chrétienne-démocratie. Plus figurant que candidat déterminé, ce Luthérien perdu en terre catholique, s’est récemment découvert une passion pour l’écologie. Sans vraiment croire à la moindre chance de se poser en chancelier fédéral potentiel.

Comme de juste, malgré la visite dont la chancelière l’a honoré à Munich, il n’attend donc aucune aide de Berlin. Au total, quel bilan Angela Merkel tire-t-elle de ses longues années de pouvoir ? S’est-elle bien souvent ressentie, tel qu’il le semble, plus proches des Verts qu’elle ne l’avouera jamais ? Ou s’être sincèrement réjouie de promouvoir l’abandon emblématique de la production d’électricité́ nucléaire après le drame de Fukushima ? En réalité, si elle accepta d’emprunter cette voie, ce ne fut que sur la base d’un rapport de force interne favorable à cette option. Et pour en tirer politiquement profit. Ancienne ministre de l’Écologie et de l’Énergie, cette scientifique d’élite, lauréate de joute internationales entre grands matheux, estime connaître ces problématiques sur le bout des doigts. Pour elle, le tsunami qui avait frappé la côte nord-est du Japon n’était donc jamais que la concrétisation de ce qu’elle ne considérait jusqu’alors, selon ses propres termes, qu’un « risque résiduel théorique » parfaitement acceptable dans des pays de haute technologie tels que le Japon ou l’Allemagne. Or, jugea-t-elle, après Fukushima, ce risque était désormais impossible à assumer. Au prix du maintien de ces centrales thermiques qui empestent l’Europe avec leurs fumées.

C’est pour elle un sujet tabou. Au même titre que son incapacité finale à peser dans le choix d’un successeur crédible et vaillant. Alors même qu’elle avait rêvé pouvoir céder son trône à une femme de tête, spécimen en l’espèce introuvable en ce temps T de l’histoire politique allemande. Cette conjoncture qui la réduit visiblement, comme nulle autre à Berlin, à apprécier les vertus de ce que les Anglo-saxons appellent le non-committment, cette « non-implication », ou ce « non-engagement » auquel elle sut si souvent recourir. Elle reste ainsi, selon certains de ses proches, un mystère entouré d’une énigme. A jamais indéchiffrable pour le commun. Pardelà ses sourires d’adolescente timide ou – tout dépend ses humeurs – de Mutti compatissante.

Michel Meyer
Écrivain et journaliste, Michel Meyer a été correspondant en Allemagne pendant une quinzaine d’années au service de la télévision publique française, au point de devenir un des meilleurs connaisseurs de sa culture. Il devient ensuite directeur de l’information de Radio France, avant de participer à la création de France Info en 1987. Il a également publié plusieurs ouvrages, notamment son « Dictionnaire amoureux de l’Allemagne » aux éditions Plon, en 2019.