Diplomatie d’affaires… nouvelles formes d’influence pour les entreprises

31.07.2020 - Éditorial

Il est de tradition d’utiliser le terme de diplomatie pour parler des interactions entre les Etats. Battre la monnaie, posséder des territoires, disposer d’une organisation administrative et militaire ont été pendant longtemps l’apanage des cités, des royaumes ou plus récemment des États dont l’acception moderne apparaît dans les langues européennes au tournant des XV et XVIème siècles.

La gestion des relations entre ces formes d’organisation a permis de voir apparaître petit à petit l’action diplomatique dont les codes ont été élaborés progressivement au début du XVIIème, notamment à travers quelques ouvrages définissant le métier d’ambassadeur comme le « parfait ambassadeur » de Jean-Antoine Vera ou « l’ambassadeur et ses fonctions » d’Abraham de Wicquefort. Aujourd’hui les Etats ne sont plus seuls à devoir mener des actions diplomatiques. Sous l’effet d’une mondialisation accélérée, de la naissance d’entreprises géantes et multinationales souvent plus puissantes que les Etats eux-mêmes, d’un multilatéralisme producteur de normes (OMC, OMS…), de puissances étatiques ou régionales soucieuses de porter leurs règles au delà de leur territoire (extra territorialité, règles de compliance exportées), les entreprises sont aujourd’hui obligées d’organiser et de concevoir des actions diplomatiques. C’est ainsi qu’est apparu le terme de diplomatie d’affaires. Les entreprises, de plus en plus tournées vers l’international, se préoccupent bien sûr de l’accès aux marchés étrangers. Même si elles peuvent bénéficier du soutien de la diplomatie de leur Pays (la France a fait de considérables progrès dans ce domaine) ou de structures professionnelles collectives (Medefi, CCI, Agences de promotion…) elles doivent en permanence apprécier les risques encourus sur ces nouveaux territoires, développer leurs relations avec les autorités publiques, mettre en place des réseaux locaux pour choisir leurs partenaires, gérer leur relationnel avec les autorités locales, se conformer ou tenter de faire évoluer le droit local.

Elles doivent ainsi développer de véritables actions diplomatiques. Plus encore, les actions commerciales ou agents commerciaux d’hier ont explosé en vol sous le coup de la lutte anti-corruption, des nouvelles règles de compliance, de la volonté de transparence et d’éthique que cherchent à imposer un monde nouveau ployant sous le joug de l’impérialisme judiciaire américain, des ONG, et de certaines formes de revendication citoyenne. Au triptyque classique des années 90/2000 «Action d’influence – Agent commercial – Commissionnement» doit ainsi succéder un triptyque «Intelligence Stratégique – Actions de diplomatie d’affaires – Soft Power», sous peine de lourdes défaites sur les marchés internationaux. La compétition internationale est en effet de plus en plus vive, de plus en plus politique et fondée sur une analyse multicritère. Au-delà de la bataille sur les produits ou les prix, les entreprises sont désormais confrontées à des guerres de normes, des batailles fiscales, des réglementations qui n’ont souvent d’autre objectif que de vouloir leur créer des handicaps supplémentaires. La guerre économique est devenue une bataille où les actions d’influence, les actions diplomatiques sont devenues des armes essentielles. L’ère du digital n’a fait que renforcer cette tendance. Le soft power des Etats qu’illustre de façon intelligente des États aussi différent que les USA, la Chine ou le Qatar trouve sa correspondance immédiate dans celui des entreprises.

Là où les Etats investissent le champ de leur image internationale par l’action culturelle, éducative, humanitaire, sportive ou religieuse, les entreprises doivent développer, elles aussi, des actions de promotion et d’influence destinées à mettre en valeur leur “raison d’être“, leur engagement sociétal. Le soft power des entreprises est devenu une arme essentielle de la compétition économique d’aujourd’hui. Ne nous y trompons pas. Cette tendance forte, nouvelle et lourde de conséquences n’est pas une évidence pour les entreprises de notre pays, ni pour celles des pays voisins. C’est une révolution culturelle que doivent effectuer les entreprises publiques et privées quelles que soient leur taille ou leur secteur d’activité. À nous de les y préparer.

Alexandre Medvedowsky
Alexandre Medvedowsky est un ancien élève de l’Ecole Nationale d’Administration (promotion Denis Diderot, 1984-1986). Magistrat au Conseil d’Etat à partir de 1986, il siège au cabinet de Laurent Fabius alors président de l’Assemblée Nationale de 1990 à 1992. De 1998 à 2001, il est professeur associé à l’Université d’Aix-Marseille III et enseigne à l’IEP de Paris jusqu’en 2006. Il a été conseiller des Bouches-du-Rhône de 1998 à mars 2015. Nommé conseiller d’Etat en juillet 2001, il rejoint ESL & Network Holding la même année et intègre le Directoire d’ESL & Network Holding, dont il est nommé président le 1er janvier 2013. Il a été élu président du SYNFIE, le syndicat français de l’intelligence économique en mai 2014.