L’Afrique, cinq mois après

24.07.2020 - Regard d'expert

En moins de cinq mois, l’Afrique a enregistré plus de 500 000 cas de coronavirus, mettant en danger les systèmes de santé déjà très fragiles. Le virus a coûté 12 000 vies sur le continent, dépassant les 11 300 perdues lors de l’épidémie d’Ebola entre 2014 et 2016. Les pays du Maghreb, singulièrement l’Algérie et l’Afrique du Sud sont les plus touchés, tandis que le nombre de cas signalés ailleurs a été plus faible.

Toutefois, les différences pourraient s’expliquer par les retards dans la réalisation des tests. Bien que la Covid-19 se diffuse moins rapidement en Afrique que dans les autres régions du monde, en raison notamment de la jeunesse de la population (seulement 3,5% de la population a plus de 65 ans), et d’autres particularités (habitat moins dense, moindre mobilité, habitudes des pandémies), le coût économique est déjà considérable : le produit intérieur du continent devrait reculer de 3,2% cette année selon le FMI. Une partie des pertes du PIB pourraient se poursuivre en 2021, dans la mesure où la reprise attendue ne serait que partielle. Les envois de fonds de la diaspora, établis à 86 milliards de dollars en 2019, étaient devenus une source majeure de financement pour de nombreuses économies africaines. Ils représentaient plus de 10% du PIB du Cap-Vert, des Comores, de la Gambie, du Lesotho, du Liberia et du Sénégal. Avec l’apparition de la Covid-19, ces pays sont extrêmement affectés par la baisse de ces ressources, en particulier de celles provenant d’économies à revenu élevé où les emplois des migrants sont menacés. Les investissements directs étrangers dont la croissance s’était accélérée pour atteindre 49 milliards de dollars en 2019, baisseront inéluctablement en 2020. Les flux d’investissement de portefeuille (27 milliards de dollars en 2019) devraient connaître également une chute, de plus de 50% probablement, en raison d’une aversion au risque grandissante des investisseurs. Quant à l’aide publique au développement, elle sera en toute vraisemblance affectée par l’impact budgétaire de la crise dans les économies avancées.

Selon la Banque mondiale, 39 millions de personnes supplémentaires sont menacées de sombrer sous le seuil de pauvreté, fixé à 1,90 dollar/habitant/jour. Le Nigeria et la République démocratique du Congo, deux des pays les plus peuplés d’Afrique, enregistreront les plus fortes augmentations du nombre de pauvres. Dans ce contexte, la priorité absolue est d’augmenter les dépenses de santé pour sauver des vies, et de mettre en place des financements en direction des personnes dont les moyens d’existence sont menacés. Les filets sociaux mis en oeuvre par la majorité des États pourraient limiter le désastre. Ils couvraient quelque 175 millions d’Africains, soit 13 % de la population, d’après le décompte publié le 26 juin par le cabinet de conseil Development Reimagined. Ils consistent essentiellement dans des transferts monétaires directs, dans la prise en charge ou le report des factures d’eau et d’électricité, et dans la distribution d’eau et de nourriture en faveur des ménages vulnérables. Leur coût serait actuellement de l’ordre de 53 milliards de dollars. D’autres mesures de riposte sont envisagées dans la majorité des pays. – Apporter un soutien budgétaire (allègements fiscaux temporaires ciblés, des transferts en espèces et des indemnités dites de difficulté), en vue d’amortir les impacts économiques de la pandémie sur les moyens de subsistance, et de soutenir les entreprises, tout en assurant la transparence et la responsabilisation dans la gestion des dépenses liées à la pandémie de Covid-19. – Assouplir la politique monétaire pour atténuer les contraintes de liquidité et les risques de solvabilité en réduisant les coûts d’emprunt et en fournissant des liquidités vitales aux entreprises. – Préserver la stabilité financière tout en assurant une offre de crédit suffisante.

La menace la plus grave pour les banques de la région réside dans leurs portefeuilles de prêts, car de nombreux emprunteurs tous secteurs confondus font face à une chute brutale de leur revenu et auront de ce fait des difficultés à s’acquitter de leurs obligations. Avec le temps on peut raisonnablement penser que des stratégies plus élaborées vont être adoptées pour créer les bases d’un avenir plus solide. Ainsi, à moyen terme, les pays africains devront mettre en place des stratégies pour améliorer la situation en termes d’accès à l’eau et d’assainissement, d’investissements dans le capital humain, de renforcement de l’efficacité de l’administration publique et le développement des chaînes de valeur intra-africaines dans le cadre de l’Accord de libre-échange continental africain pour la substitution des importations.

Pierre Jacquemot
Pierre Jacquemot est senior economic advisor chez ESL.GOUV. A la fois universitaire et diplomate, il est ancien ambassadeur de France, au Kenya (2000-2003), au Ghana (2005-2008), puis en République Démocratique du Congo (2008-2011). Il a également été conseiller du Président du Sénégal, Abdou DIOUF. Depuis 2011, il est président du GRET - Professionnels du développement solidaire, chercheur associé à l’IRIS, collaborateur de l’Institut Nord-Sud d’Ottawa, et membre du Comité de direction du CIAN (Conseil des investisseurs français en Afrique). Il enseigne à Sciences Po-Paris, au CEFEB de Marseille et à 2iE de Ouagadougou.