La difficile interprétation des résultats du référendum constitutionnel en Russie

17.07.2020 - Regard d'expert

Le référendum constitutionnel qui s’est tenu en Russie entre le 25 juin et le 1er juillet 2020 a entériné 206 amendements à la Constitution du pays, le plus symbolique étant la remise à zéro des compteurs pour permettre au Président Vladimir Poutine de briguer un nouveau, et éventuellement même deux mandats présidentiels supplémentaires.

Aussi, malgré le nombre impressionnant des amendements, la conviction de la population russe est que ce scrutin ne poursuivait finalement comme véritable objectif que le maintien au pouvoir de Vladimir Poutine. Ce référendum concernant le texte fondateur, datant de 1993 et adopté à l’époque à 58%, est particulièrement inhabituel. Tout d’abord, c’est la plus importante révision de la Constitution russe depuis son adoption. Deux autres changements ont eu lieu en 2008, celui allongeant les durées du mandat présidentiel de 4 à 6 ans et du mandat des élus de la Douma de 4 à 5 ans, et en 2009, celui apportant les modifications au fonctionnement de la Cour Constitutionnelle.

Tout ce qui entourait ce scrutin de 2020 était particulier : l’introduction et la présentation du projet même, le format et l’organisation du vote, les résultats… Les russes ont adopté à 77,9% l’ensemble des amendements de la Constitution en démontrant un taux de participation impressionnant de 67,9%. Ce résultat a été jugé « triomphal » et « inattendu » par le Kremlin qui s’orientait plutôt vers un taux de participation de 55% environ au mieux, compte tenu du contexte très difficile de l’après crise sanitaire. Les indicateurs clés néanmoins varient d’une région à l’autre, tant pour la participation que pour les résultats du scrutin. Ainsi, par exemple, la Tchétchénie, la Touva et la Crimée ont affiché des chiffres record d’adoption de plus de 90% et de participation de plus de 80%.

La région de Nenets est la seule région russe qui a voté contre les modifications proposées. Les grandes villes, comme Moscou et Saint-Pétersbourg, ont affiché officiellement des résultats dans la moyenne nationale. Néanmoins, les sondages à la sortie des urnes menés par les activistes de la campagne « Non ! » et d’autres observateurs indépendants, auraient démontré un vote beaucoup plus nuancé : 54% aurait voté « non » à Moscou et 63% à Saint-Pétersbourg. Les résultats du vote des Russes à l’étranger méritent d’être mentionnés également même si leur participation était symbolique. Les bureaux de vote à Paris, Berlin, Londres, Prague, New-York et dans quelques autres villes occidentales ont enregistré plus de 55% de voix « contre », malgré la présence d’un amendement concernant « le soutien que l’Etat doit apporter à ses compatriotes à l’étranger ».

Plusieurs éléments expliqueraient les résultats « spectaculaires » à quelques exceptions près de ce référendum constitutionnel. Tout d’abord, le format du vote, « panrusse », jamais appliqué auparavant et non défini par la loi, a permis une grande souplesse d’organisation. Ainsi, les modalités adoptées ont permis d’étaler le scrutin sur plusieurs jours (du 25 juin au 1er juillet), d’organiser un vote en ligne dans certaines régions, d’organiser un vote à domicile dans certains cas et d’échapper aux contraintes de la propagande du vote pour le projet de la nouvelle Constitution. Un autre facteur important du succès de ce scrutin se trouve dans le fait que les Russes devaient se prononcer par « oui » ou par « non » sur l’ensemble des amendements dont certains relevaient plus du domaine social, d’autres du politique, d’autres totalement idéologiques etc.

Presque chacun a finalement pu distinguer dans le paquet un ou plusieurs amendements qui lui tenaient à coeur. La population aurait pu être plus clairement divisée sur la question des mandats présidentiels supplémentaires, mais la présence d’amendements concernant les enfants, les retraites, la langue russe, l’impossibilité de révision de l’histoire etc ont contribué à la dilution du vote d’opposition. Tout cela a permis aux autorités de mobiliser les soutiens aux amendements au maximum et de consolider les votes. Quant à l’opposition, les efforts de mobilisation du « non » étaient beaucoup plus éparpillés et n’ont pas porté d’effet visible. Il est aussi à noter que l’opposition n’a pas pu amener les gens dans la rue après l’annonce des résultats : les protestations se sont limitées aux manifestations de quelques centaines des personnes. Le vote massif pour le projet de la modification de la Constitution proposé et porté par le Président lui-même avait pour but de rendre légitime la possibilité de briguer d’autres mandats présidentiels par Vladimir Poutine. Néanmoins, ni les résultats du vote largement favorable, ni l’échec de la mobilisation de l’opposition, ni l’absence des protestations visibles ne signifient pour autant l’adhésion sans faille de la population à la réforme des mandats. L’avenir montrera la solidité de ce nouveau dispositif installé. Comme l’avoue Vladimir Poutine lui-même : « La Russie moderne est encore en voie de formation, beaucoup de choses sont cousues à vif ».

Olga Belot-Schetinina
Olga Belot-Schetinina est associée senior chez ESL & Network. Diplômée de MGIMO (Russie), elle a commencé sa carrière chez Lucent Technologies CIS, puis a rejoint Motorola, jusqu’en 2002, exerçant différentes fonctions commerciales et financières dans la région EMEA (Europe, Moyen- Orient, Afrique). Olga BELOT a rejoint le groupe ESL & Network en 2004 après un MBA à HEC (Paris) pour développer les activités du groupe en lien avec la Russie et les autres pays de CIS.