Que peut devenir la relation saoudoaméricaine si Trump n’est pas réélu ?

10.07.2020 - Regard d'expert

Aujourd’hui la question de la relation entre les Etats-Unis et l’Arabie saoudite est devenue une question de politique intérieure, le soutien à l’alliance saoudienne étant assimilé à un soutien au président Trump.

En effet le président américain s’est révélé un partisan inconditionnel du partenariat stratégique avec le royaume et avec son homme fort, le prince héritier Mohamed Ben Salman (MBS). Son premier voyage à l’étranger a été à Riyad, sa politique de «pression maximale » sur l’Iran est applaudie par les Saoudiens et la majorité des vétos présidentiels à des actions du Congrès a concerné l’Arabie. L’image du royaume, affectée depuis le 11 septembre 2001, a en fait connu une embellie lors de l’arrivée de MBS au pouvoir (jeune prince moderniste, pro-américain et prometteur pour les entreprises américaines), mais s’est gravement détériorée avec la guerre au Yémen, l’autoritarisme du prince héritier et l’affaire Khashoggi. L’alliance avec l’Arabie est désormais mal vue par les Démocrates et – depuis la crise pétrolière initiée par MBS, qui a fortement impacté les producteurs de pétrole de schiste aux Etats-Unis – par une partie des Républicains liés au lobby pétrolier. Il est donc normal que la perspective d’une non-réélection du président Trump amène les observateurs – aux Etats-Unis mais aussi ailleurs étant donné ses implications géopolitiques internationales – à se poser la question de l’avenir de la relation saoudo-américaine sous une présidence démocrate à Washington.

Le débat aux Etats-Unis fait apparaître un clivage entre des critiques fermes de l’alliance saoudienne et des partisans d’un «review» préservant un partenariat stratégique qui conserve ses mérites. Ceux favorables à une rupture mettent en avant la fin de la dépendance américaine au pétrole saoudien, la «fatigue» de l’opinion américaine à l’égard des interventions au Moyen- Orient, les aspects critiquables de la politique de MBS (autoritarisme, droits de l’homme, politique pétrolière) ainsi que ses échecs (guerre au Yémen, embargo du Qatar). Ils préconisent donc une politique «moins confrontationnelle» et plus équilibrée au Moyen-Orient, c’est-à-dire plus exigeante et conditionnelle à l’égard de Riyad. Ceux qui au contraire soutiennent le partenariat stratégique avec l’Arabie soulignent que si Washington dispose de réels moyens de pression sur le royaume, un changement radical de cap serait coûteux pour les intérêts américains. En effet l’Arabie est aujourd’hui le pays arabe le plus influent (seul membre du G20), il est un acteur incontournable dans le domaine énergétique, il est un partenaire important dans la lutte contre le terrorisme islamique, il reste pro-occidental et allié face aux défis régionaux et il s’est engagé dans un rapprochement avec Israël.

En outre il est un marché important pour les entreprises américaines et sa déstabilisation aurait des conséquences sérieuses pour les Etats-Unis et pour le monde en général. Dans ces conditions, il convient de faire simplement évoluer la relation bilatérale, en étant moins complaisant sur certains aspects critiquables de la politique saoudienne (droits de l’homme, guerre au Yémen) mais en poursuivant la coopération économique, anti-terroriste etc… et en se rappelant que les Saoudiens détestent les pressions extérieures publiques et ont gardé un mauvais souvenir de l’administration Obama. Sur le fond, il est clair que le président Trump avait des attentes excessives à l’égard de l’Arabie de MBS : des contrats mirifiques (armement et investissements financiers saoudiens dans les infrastructures américaines) qui n’ont été que très partiellement honorés et un soutien inconditionnel au plan Kushner sur le conflit israélo-palestinien.

En sens inverse, MBS espérait une action plus déterminée de Trump face aux attaques iraniennes et n’était pas en mesure – politiquement et financièrement – de satisfaire pleinement les demandes américaines. Sous une cordialité officielle existent donc des déceptions et des doutes. Pour améliorer son image, MBS a tenté de faire quelques gestes – envers le Qatar, cessez-le-feu unilatéral au Yémen, contacts discrets avec les Iraniens – mais qui n’ont pas donné de résultats. C’est la raison pour laquelle l’incertitude sur la réélection de Trump et les critiques du camp démocrate américain conduisent les Saoudiens à prudemment envisager de renforcer la diversification de leurs relations internationales. Cela constitue naturellement une opportunité pour la France et l’Europe que nous aurions tout intérêt à saisir !

Bertrand Besancenot
Bertrand BESANCENOT est senior advisor chez ESL Network. Il a passé la majorité de sa carrière au Moyen Orient en tant que diplomate français. Il est notamment nommé Ambassadeur de France au Qatar en 1998, puis Ambassadeur de France en Arabie saoudite en 2007. En février 2017 il devient conseiller diplomatique de l’Etat puis, après l’élection d’Emmanuel MACRON en tant que Président de la République, Émissaire du gouvernement du fait de ses connaissances du Moyen Orient.