Point de situation en Arabie Saoudite

12.06.2020 - Regard d'expert

Sur le plan sanitaire, la fin du Ramadan a coïncidé avec la réouverture des mosquées (sauf à La Mecque) et la reprise des vols intérieurs. Pourtant le nombre de cas atteints par le Covid-19 approche début juin les 100.000 et celui des décès 600.

Le chiffre ne cesse de croître, débordant les services d’urgence à Riyad et entraînant un retour partiel du confinement à Djeddah. Si les autorités ont pris tôt des mesures de prévention, la recrudescence du nombre de contaminations – surtout parmi la main d’oeuvre expatriée – ces dernières semaines, montre que la lutte contre le virus n’est pas achevée. Le déconfinement partiel a cependant été décidé pour revitaliser l’économie locale. En effet les dépenses de consommation en avril étaient inférieures de 35% à celles à la même époque l’an dernier. Il va donc être intéressant de voir l’impact, d’une part, de la levée de certaines restrictions pour relancer l’économie et, d’autre part, des mesures d’austérité pour alléger le déficit budgétaire (9 milliards de dollars au premier trimestre) : accroissement du taux de la TVA de 5 à 15% et réduction des indemnités sociales versées aux citoyens moins favorisés.

Il est question également d’un accroissement des droits de douane entre 2 et 15% sur un nombre important d’importations, y compris la viande, les laiteries et les matériaux de construction. Jusqu’à présent les réactions du public sont mesurées, probablement parce que les mesures annoncées ne sont pas encore mises en oeuvre (elles le seront en juillet). Mais la presse évoque déjà les inquiétudes de citoyens qui craignent pour leur niveau de vie. Et cela au moment où le fonds souverain saoudien (PIF) effectue des investissements importants à l’extérieur – surtout aux Etats-Unis – et négocie le rachat du club de football britannique Newcastle United (pour 300 millions de livres). Certains s’interrogent sur la pertinence des placements du PIF, qui vient de recevoir 40 milliards de dollars de la banque centrale pour financer ces investissements extérieurs. Le ministre des finances les a justifiés en disant que «les retours sur investissements du PIF seraient disponibles pour soutenir les finances publiques, si nécessaire ».

La première préoccupation des jeunes (qui forment, rappelons-le, les 2/3 de la population) est en tout cas d’éviter le retour à la situation où la baisse des cours du brut avait laissé sans emploi de nombreux diplômés pendant des années. A ce jour les prévisions du FMI annoncent pour l’année 2020 une contraction de l’économie saoudienne de 2,3% et une baisse de 4% du PIB non-pétrolier. Les conséquences du choc pétrolier actuel augurent d’une phase d’ajustement qui pourrait impacter significativement le royaume : rappelons que le secteur pétrolier saoudien représente 87% du budget de l’Etat, 42% du PIB et 90% des exportations nationales. Les conséquences économiques de la pandémie s’y ajoutent, avec l’interruption provisoire du tourisme religieux, qui constitue la deuxième source de revenus du pays. Dans ce contexte la réalisation de la Vision 2030 est de facto mise en jeu.

Le gouvernement a mis sous perfusion le secteur privé en prenant en charge 60% des salaires et en allouant 50 milliards de riyals saoudiens (12,5 milliards d’euros) aux banques pour permettre aux entreprises de différer le remboursement de leurs prêts. En réalité les autorités saoudiennes espèrent que le marché du pétrole se rétablisse à la fin de l’année, permettant au royaume de retrouver le chemin de la croissance et de gérer sans trop de mal ses difficultés de trésorerie. La fin du conflit au Yémen serait aussi bienvenue pour les finances du royaume, quand on sait que – selon les estimations les plus sérieuses – cette guerre coûterait au pays 200 millions de dollars par jour, c’est-à-dire que Riyad aurait dépensé quelque 265 milliards de dollars en cinq ans pour un résultat peu convaincant.

Il faut donc espérer que le cessez-le-feu unilatéral décrété par les Saoudiens le 8 avril débouche sur un règlement politique honorable. Cela contribuerait à conforter les perspectives de sortie de crise du royaume

Bertrand Besancenot
Bertrand BESANCENOT est senior advisor chez ESL Network. Il a passé la majorité de sa carrière au Moyen Orient en tant que diplomate français. Il est notamment nommé Ambassadeur de France au Qatar en 1998, puis Ambassadeur de France en Arabie saoudite en 2007. En février 2017 il devient conseiller diplomatique de l’Etat puis, après l’élection d’Emmanuel MACRON en tant que Président de la République, Émissaire du gouvernement du fait de ses connaissances du Moyen Orient.