L’Afrique du Sud cruellement impactée sort du confinement

06.06.2020 - Regard d'expert

L’Afrique du Sud est le pays africain le plus impacté par la pandémie du coronavirus. La barre des 25 000 cas enregistrés a été dépassée fin mai, alors que le pays a été paralysé par les mesures de confinement depuis le 27 mars. Selon un panel de scientifiques , le pic de la pandémie dans le pays sera atteint pendant l’hiver austral, entre juillet et novembre, pouvant provoquer la mort de plusieurs dizaines de milliers personnes.

Dans le contexte difficile que traverse le pays arc-en-ciel depuis plusieurs années, la mauvaise gestion d’une crise supplémentaire pourrait s’avérer cruelle. Le taux de chômage était déjà de 28 % avant la crise, les délestages dans la fourniture de l’électricité sont quotidiens, South African Airways est en faillite et les violences urbaines ne cessent pas. L’Afrique du Sud a quelques atouts ; elle est mieux encadrée en personnel de santé et mieux équipée que la plupart des pays du continent (un millier de lits de réanimation contre 50 en RD Congo). Des mesures drastiques ont été prises afin de minimiser les risques de propagation du virus et son impact. Mais la « transmission communautaire », celle qui s’effectue sans que l’on puisse identifier sa trace, est une réalité. Dans le cadre du « verrouillage national », les groupes les plus vulnérables du pays ont du mal à nourrir leurs familles, ne peuvent pas se laver les mains régulièrement faute d’avoir accès à l’eau potable et ne peuvent pas s’isoler s’ils vivent dans les banlieues déshéritées, qui peinent à obéir aux consignes de confinement malgré le déploiement musclé de la police et de l’armée. Le président sud-africain, Cyril Ramaphosa, investi depuis l’éviction de Jacob Zuma en 2018, a reconnu les énormes sacrifices consentis par les citoyens tenus à l’écart du travail et de l’activité sociale. Les mesures ont probablement évité huit fois plus de décès.

Le gouvernement considère à présent que la suspension de la plupart de l’inactivité économique ne peut plus être maintenue. Le FMI prévoit que l’économie se contractera de 5,8 % cette année, mais le pire des scénarios du Trésor prévoit une contraction de 16 %. Les secteurs les plus touchés seront le transport, l’hôtellerie et les mines. Le Trésor estime aussi que jusqu’à 7 millions d’emplois pourraient être perdus, le chômage pouvant potentiellement passer de 28 % à 50 %. Fitch et SP prédisent que le déficit budgétaire atteindra un record de 8,5 % du PIB en 2020, tandis que le ratio dette PIB augmenterait de 22 points de pourcentage au cours des quatre prochains exercices. Le pays amorce à présent un prudent déconfinement. Un million et demi de personnes ont été autorisées à reprendre le travail dans des secteurs comme le textile, le bâtiment ou la maintenance. Plusieurs mesures d’assouplissement sont effectives depuis le 1er juin : levée du couvre-feu, réouverture de la plupart des commerces, des écoles et universités, ainsi que la vente d’alcool. Mais les frontières, les lieux de rassemblements et certaines « activités à haut risque » comme la restauration et les bars resteront fermées.

La zone métropolitaine de Johannesbourg, avec ses 8 millions d’habitants, pourrait être contrainte à un reconfinement si la situation empirait. Cyril Ramaphosa a annoncé la mise en place d’un programme de sauvetage de 500 milliards de rands (27 milliards de dollars) destiné à amortir les suites de la pandémie de coronavirus sur l’économie du pays le plus industrialisé d’Afrique. Ce plan représente 10 % du PIB de l’Afrique du sud. Un soutien en direction des personnes les plus vulnérables a été engagé avec un fonds de solidarité auquel les entreprises ainsi que la communauté internationale peuvent contribuer. En appui à̀ cette initiative, un capital d’amorçage de 150 millions de rands a été déployé par le gouvernement en appelant l’ensemble des entreprises du secteur privé et public à y contribuer. Dans un élan de solidarité, trois des plus riches hommes d’affaires Sud-africains – John Peter Ruper, Nicholas Oppenheimer et Patrice Motsepe – ont répondu à l’appel du Président à raison d’un milliard de rands chacun. De son côté, le département du développement des petites entreprises a débloqué plus de 500 millions de rands, et la Société de développement industriel a contribué avec 3 milliards de rands à remédier à la situation des entreprises vulnérables.

Le ministère du Tourisme a débloqué 200 millions de rands supplémentaires pour aider les PME du secteur du tourisme et de l’hôtellerie qui sont particulièrement touchées par les restrictions de voyage. Pour les personnes occupant un emploi dans les secteurs informels, directement touchés par le confinement national, le gouvernement envisage une solution sur le long terme, principalement une aide financière.

Mais la politique sociale du gouvernement reste à inventer. Une crise pandémique révèle toutes les vulnérabilités d’un système social et politique. Dans le cas de la deuxième économie du continent, les modalités particulières du changement sont largement à inventer. Mais rien n’interdit de penser que la crise offrira des opportunités de transformation qui déboucheront sur l’émergence d’un modèle assis sur des fondements plus solides

Pierre Jacquemot
Pierre Jacquemot est senior economic advisor chez ESL.GOUV. A la fois universitaire et diplomate, il est ancien ambassadeur de France, au Kenya (2000-2003), au Ghana (2005-2008), puis en République Démocratique du Congo (2008-2011). Il a également été conseiller du Président du Sénégal, Abdou DIOUF. Depuis 2011, il est président du GRET - Professionnels du développement solidaire, chercheur associé à l’IRIS, collaborateur de l’Institut Nord-Sud d’Ottawa, et membre du Comité de direction du CIAN (Conseil des investisseurs français en Afrique). Il enseigne à Sciences Po-Paris, au CEFEB de Marseille et à 2iE de Ouagadougou.