Un bilan contrasté de la visite d’État en Chine

14.04.2023 - Éditorial

La visite d’État du Président de la République en Chine offrait de nombreuses opportunités, certaines risquées si la communication du président était mal maîtrisée. Sur la situation dans le détroit de Taïwan, les propos tenus non pas à Pékin mais au retour de Pékin ont suscité des inquiétudes auprès des partenaires de la France, à juste titre. Depuis les Pays-Bas hier, Emmanuel Macron a cependant précisé la position de la France, permettant d’atténuer les impacts négatifs et de rappeler la position française.

Le déplacement à Pékin a marqué la reprise des échanges avec la réouverture de la Chine et la relance du partenariat stratégique. Qualifier cette visite d’État d’échec est exagéré tant il faut prendre en compte les objectifs initiaux, qui étaient limités. La Chine allait-elle condamner la Russie ou soutenir massivement la population ukrainienne ? Évidemment pas. Sur ces points aucune surprise et donc, aucune avancée concrète. Des messages ont été passés, notamment sur les inquiétudes européennes d’un soutien militaire chinois à la Russie, sur la détermination et l’unité européenne face à cette guerre d’agression russe, ou encore sur l’intention russe de déployer des armes nucléaires en Biélorussie.

Sur le plan économique, les critiques concernant la délégation de chefs d’entreprise sont peu fondées. Personne ne considère le découplage avec la Chine comme possible ou même souhaitable, d’où la notion même de dérisquage utilisée désormais par la Commission européenne. L’enjeu n’est pas de réduire nos échanges avec la Chine, que nous n’arrivons par ailleurs pas à rééquilibrer vers le haut contrairement à l’objectif franco-chinois énoncé en 2019, mais de diversifier nos partenaires commerciaux. Il ne convient pas de faire moins avec la Chine, mais de faire plus avec les autres afin de réduire nos dépendances à la Chine et, in fine, nos vulnérabilités. Et sur ce point, notons que la diplomatie économique du Chancelier Scholz apparaît ces derniers mois comme particulièrement active.

En amont de la visite, je m’inquiétais comme d’autres de la communication présidentielle qui régulièrement donne l’impression d’une ambiguïté sur la position de la France et suscite des doutes inutiles chez nos partenaires. Je précisais également : “ce qui se joue dans cette visite d’État en Chine, c’est peut-être plus l’image et la place de la France dans l’Indo-Pacifique et dans le monde que la relation bilatérale ou l’avenir de l’Ukraine”. Force est de constater que ce sont bien les propos tenus par le président dans l’avion du retour qui ont déclenché de fortes réactions internationales, allant jusqu’à questionner, parfois de façon abusive, la réalité de la politique française.

Sur Taïwan, Emmanuel Macron a évoqué tour à tour l’unité européenne – la coopération et la coordination entre des États souverains, et l’unité chinoise – l’ambition d’un État souverain de prendre le contrôle d’un autre, sans mentionner leur différence de nature. Par ailleurs, en parlant du “rythme américain et d’une surréaction chinoise”, il a donné l’impression de renvoyer dos à dos Washington et Pékin, voire même de faire de Washington le principal responsable des tensions. Or, si une puissance est révisionniste dans le détroit, c’est bien la Chine qui assume de vouloir changer le statu quo, de prendre le contrôle de l’île par le biais d’une “réunification”, et développe les moyens pour y parvenir. Enfin, aucun mot pour les Taïwanais, comme si leurs attentes ne comptaient pas, et qu’ils n’étaient qu’un pion sur l’échiquier géopolitique mondial.

Le timing de la déclaration sur Taïwan, dans une interview évoquant plus largement la question légitime de l’autonomie stratégique européenne, était évidemment malvenu. Au retour d’une visite d’État en Chine, le président critiquant avant tout Washington sans faire de même avec Pékin, a alimenté les doutes des uns et facilité le travail des autres qui présentent la France comme équidistante, alors même que sa politique étrangère démontre l’inverse. Surtout, tenir de tels propos alors que Pékin débutait des exercices militaires dans le détroit pour intimider les Taïwanais et met en œuvre une stratégie de pression continue sur le plan militaire, économique, diplomatique et même informationnelle, était maladroit.

Le président a malgré lui fait le jeu de la Chine, alimentant le récit chinois d’une responsabilité américaine, et surtout en laissant penser que la France resterait à l’écart dans le scénario d’une crise majeure dans le détroit de Taïwan. Cela ne participe pas à la nécessaire dissuasion qu’il convient de garantir afin d’éviter tout changement unilatéral et par la force du statu quo. Car si une leçon peut à coup sûr déjà être tirée de la guerre en Ukraine, c’est que cette même dissuasion face aux ambitions russes n’a pas fonctionné. Et si la France n’a évidemment pas les mêmes intérêts que les Etats-Unis, pourquoi ne pas avoir rappelé alors l’intérêt de la France et de l’Union Européenne au maintien de la stabilité et du statu quo dans le détroit, la position officielle.

Heureusement, lors de sa visite d’État cette fois aux Pays-Bas, le président a pu clarifier ses propos au cours de la conférence de presse avec son homologue néerlandais. Ainsi, en soulignant que la France et l’Union européenne sont pour le statu quo dans le détroit de Taïwan et pour une résolution pacifique de la question, tout en évoquant la coordination entre la France et les Etats-Unis et en saluant la pondération de l’administration Biden, Emmanuel Macron a cherché à rassurer ses partenaires et a facilité le travail des diplomates français. Et si ses propos laisseront des traces et si une forme d’ambiguïté est récurrente dans les déclarations présidentielles, les précisions apportées permettent à tous d’avancer et de revenir aux fondamentaux.

Car l’enjeu qui se pose pour le président est de maîtriser un “en même temps” en combinant trois impératifs qui ne sont pas contradictoires : la spécificité française, l’unité européenne et la coopération avec ceux qui partagent nos idées et intérêts. Cette coopération avec nos partenaires affinitaires va bien au-delà de la seule coopération transatlantique ou de la seule coopération avec les démocraties. Et si le terme de “troisième voie” n’est heureusement pas utilisé officiellement, celui de « puissance d’équilibres » pose question. Au-delà d’un manque de réalisme sur le poids réel de la France, ce concept n’est pas compris par nos partenaires, surtout dans sa traduction anglaise de “balancing power”.

Si une voie française mérite d’être encore davantage mise en avant, c’est notamment auprès des pays de l’Indo-Pacifique. Il y a une réelle attente que la France ait une voie et une offre alternatives, y compris avec ses partenaires européens. Paris qui a clairement cette ambition, en témoigne la stratégie Indo-Pacifique publiée en 2021, gagnerait à renforcer son agenda positif dans la région en s’affirmant comme la puissance d’initiatives qu’elle est, une puissance responsable et fiable qui est l’un des moteurs de la coopération internationale pour contribuer à la résolution des problèmes globaux, y compris dans le détroit de Taiwan[1].

 

[1] BONDAZ Antoine, « La France, une puissance d’initiatives en Indo-Pacifique », Note No.37, FRS, 15 novembre 2022

 

Antoine Bondaz
Antoine Bondaz dirige l’Observatoire pour le multilatéralisme en Indo-Pacifique au profit du ministère des Armées ainsi que le Programme Taïwan à la Fondation pour la recherche stratégique. Il conseille des administrations et des entreprises publiques et privées en France et en Europe, et participe à de nombreux dialogues de haut niveau avec des responsables gouvernementaux de la région Indo-Pacifique. Il enseigne également à Sciences Po dont il est diplômé.