Le Mexique: menaces sur la démocratie et sur les affaires étrangères

06.01.2023 - Regard d'expert

Malgré le parti hégémonique qui a gouverné le Mexique pendant les 70 dernières années du XXème siècle, démocratie et ouverture internationale ont pu émerger pendant la même période.

Où en est-on aujourd’hui?

Depuis les années 80 jusqu’en 2018, les divers gouvernements Mexicains qui se sont succédés ont réussi à construire les fondements d’une ouverture internationale sans précédent. Dans les années 80, le Mexique accepte d’adhérer aux principaux traités internationaux des droits de l’Homme (ONU et OEA). Lors des années 90, le Mexique devient membre de l’OCDE (1994) et de l’OMC (1995). Avec l’ambition de pouvoir devenir un acteur important de la globalisation naissante, le Président Salinas de Gortari signe en 1994 le premier grand traité de libre échange avec les Etats Unis et le Canada (North American Free Trade Agreement). En 2000, sous la présidence de Ernesto Zedillo, le Mexique signe un accord de libre échange avec l’Europe. En 2008, à l’initiative du Président Nicolas Sarkozy, le Mexique est invité à intégrer pleinement le sommet des chefs d’Etats du G20. En 2015 le Mexique signe l’accord de Paris sur le climat.

Cette ouverture internationale a constitué le moteur du développement économique et industriel du Mexique qui est devenu ainsi le premier partenaire commercial des Etats Unis, devant la Chine.

Les principes qui ont guidé les relations internationales du Mexique pendant toute cette période reposent sur la tradition mexicaine de non ingérence, le respect international des droits de l’homme, la consolidation des institutions internationales et l’attraction d’investissements étrangers dans les secteurs manufacturiers.

En trois décennies, le Mexique a transformé son système économique en passant d’un modèle fermé de substitution des importations à l’un des pays les plus ouverts en matière de commerce extérieur.

En parallèle de cette politique d’affaires étrangères et de libéralisation de son économie, le Mexique a également fait sa mutation en politique intérieure en consolidant ses institutions démocratiques.

En 1977, le gouvernement mexicain accepte la participation de partis d’opposition dans les activités institutionnelles et législatives.

Plusieurs réformes constitutionnelles et législatives se succèdent alors et aboutissent à la création en 1996 d’un organisme électoral autonome (IFE puis INE). Les conséquences en politique intérieure sont pratiquement immédiates.

En 2000, Vicente Fox (PAN, parti de droite) parvient à remporter l’élection présidentielle au détriment du PRI, parti hégémonique au pouvoir depuis 70 ans. Lui succèdent Felipe Calderon (PAN, 2006-2012), Enrique Peña  Nieto (PRI, 2012-2018) et Andres Manuel Lopez Obrador (MORENA, 2018-2024). L’alternance politique est devenue une réalité du pouvoir au Mexique.

Le président Lopez Obrador (dit AMLO) a été candidat malheureux en 2006 et en 2012 en finissant par être élu en 2018 avec une écrasante majorité législative. Au contraire de ses prédécesseurs qui, malgré leurs différentes affiliations politiques, ont toujours maintenu le cap de l’ouverture économique, AMLO, qui s’inscrit dans une tradition latino-américaine populiste de gauche, décide de s’engager dès son accession au pouvoir dans une politique de rupture.


La politique de rupture du président Lopez Obrador (AMLO)

  • Rupture avec le modèle économique qu’il considère néo-libéral.
  • Rupture en matière de politique énergétique. AMLO s’emploie à réduire à néant la réforme de son prédécesseur afin de reconstruire le monopole des sociétés étatiques comme Pemex (oil & gas) et CFE (électricité) en privilégiant les énergies fossiles au détriment des énergies renouvelables. Suite aux différentes mesures gouvernementales et législatives prises en la matière, le Mexique doit désormais faire face à de nombreux procès en arbitrage avec les Etats-Unis et le Canada dans le cadre de l’accord de libre échange TMEC.
  • Rupture dans les relations internationales. AMLO ne souhaite pas participer aux grands sommets (G20, COP 21, etc…). Il multiplie les provocations sur la scène internationale. Vis à vis de l’Espagne tout d’abord en décidant unilatéralement de “mettre en pause” la relation diplomatique entre les deux pays. Vis à vis du Parlement Européen en insultant des parlementaires qui s’interrogeaient sur la liberté de presse au Mexique. Et enfin vis-à-vis des Etats-Unis, entre autres, en adoptant une position ambigüe vis-à-vis de la Russie. En conséquence, il essuie des revers sur les candidatures que présente son gouvernement aux institutions internationales (Direction Générale de l’OMC ou de la Banque Interaméricaine de Développement par exemple).
  • Rupture en politique intérieure : fort de sa large majorité législative ainsi que de ses pouvoirs présidentiels, et au motif qu’il préfère la loyauté à la compétence, il installe ses fidèles dans les principaux organismes autonomes. La Banque centrale et la Cour Suprême deviennent ainsi inféodées à AMLO. L’armée est mise à contribution pour les grands chantiers de AMLO (Aéroport de la ville de Mexico, raffinerie de pétrole, train touristique dans le Yucatan).

Depuis octobre 2022, il cherche même à démanteler l’organisme électoral autonome afin de maximiser les chances de maintenir son parti au pouvoir en 2024. Certains législateurs américains commencent d’ailleurs à exiger des commissions d’enquête sur la démocratie mexicaine.

Faut-il pour autant renoncer à développer des affaires au Mexique?

La compétitivité de la main-d’œuvre mexicaine et l’accord de libre échange avec les Etats-Unis et le Canada restent pour l’instant des paramètres suffisamment attractifs pour que les entreprises étrangères continuent à investir localement malgré un contexte de sécurité tendu et une ambiance politique pour le moins mouvante. En outre, la pandémie du Covid ainsi que le conflit stratégique entre les Etats-Unis et la Chine ont fait prendre conscience des nombreuses possibilités de nearshoring au Mexique. Dans une actualité mondiale si chaotique et si incertaine, le Mexique présente malgré tout des opportunités de business à ne pas négliger. Des entreprises françaises telles que Alstom, L’Oréal ou encore Safran sont des exemples bien réels de réussite dans leur développement au Mexique.

Plus que jamais, une connaissance fine des réseaux de décideurs mexicains, une veille du contexte politique et économique local ainsi qu’une veille des évolutions de la politique extérieure mexicaine seront fondamentales pour maximiser les chances de succès des entreprises étrangères et en particulier européennes.

Frédéric Garcia
Diplômé des Arts et Métiers Paris Tech et de l’ESCP Business School, Frédéric Garcia a réalisé la majorité de sa carrière au Mexique. Il est notamment Directeur Général d’Airbus Mexico pendant 14 ans, jusqu’en 2018. Il fonde ensuite son cabinet de conseil, Le Cercle, pour accompagner des entreprises mexicaines et internationales dans leurs problématiques en résolution de conflits et affaires publiques. En parallèle, en 2019, il est nommé conseiller sur les politiques industrielles, et notamment du secteur aérospatial, par le directeur de cabinet du Président du Mexique.