Les primaires de Noël

16.12.2021 - Éditorial

Les observateurs avisés de l’élection présidentielle de 2017 étaient sortis de la période avec la ferme conviction que l’organisation de primaires propre à chaque camp était la pire des décisions. Le Parti socialiste avait une nouvelle fois affiché ses divisions internes, Benoît Hamon, champion de l’aile gauche, l’emportant largement au deuxième tour avec plus de 58% des voix face à Manuel Valls, représentant de l’aile sociale-démocrate. Les Républicains avaient offert une image de dispersion et de combats entre fortes personnalités, François Fillon positionné à la droite de l’échiquier, l’emportant lui aussi facilement au deuxième tour avec plus de 66% des voix face au champion des sondages Alain Juppé, sèchement battu.

Dans les deux cas, ces primaires avaient été un vrai succès populaire : plus de 2 millions de votants pour la primaire socialiste, près de 4,5 millions de votants pour la primaire des Républicains.

A l’issue de ces dernières, tout le monde, à gauche comme à droite, s’était pourtant dit : plus jamais ça, les primaires apparaissant comme une formidable machine à perdre, laissant des traces indélébiles entre les candidats du premier tour, et débouchant immanquablement sur la désignation des candidats les plus extrémistes, les moins capables de rassembler dans une élection présidentielle face à un Emmanuel Macron, candidat de rupture, jeune et innovant.

Ainsi, les socialistes ont-ils, en 2021, soigneusement tourné le dos à l’organisation de primaires, éliminant le plus possible les débats internes, préférant choisir en amont la candidate qui leur paraissait la plus légitime, Anne Hidalgo, à la suite de son succès aux élections municipales à Paris. Ainsi, Xavier Bertrand et Valérie Pécresse avaient-ils pris le soin de quitter l’appareil des Républicains pour ne pas risquer de se voir imposer un mécanisme de désignation sous forme de primaires. Champion des sondages dans son camp, Xavier Bertrand avait même clairement pris position contre l’organisation de toute forme de primaires, préférant instaurer un dialogue direct avec les Français. Ce n’est que sous la pression des autres candidats potentiels et parce qu’il ne parvenait pas à créer un écart suffisant dans les sondages que Xavier Bertrand s’est finalement vu contraint de participer à une primaire dont il ne voulait pas, à laquelle s’était ralliée entre-temps Valérie Pécresse.

Le cercle vicieux de 2017, s’est transformé en schéma vertueux en 2021, prenant à revers les adversaires des primaires.

La première étape a été la désignation du candidat d’EELV. Plus de 122 000 inscrits, soit un beau succès pour les Verts. Là où tout le monde attendait, avant le premier tour, la domination des candidats les plus farfelus, les plus idéologues, les moins aptes à gouverner, Yannick Jadot sortait en tête du premier tour et plus encore alors que tout le monde pronostiquait l’addition des voix de ses adversaires pour assurer le succès de Sandrine Rousseau au deuxième tour, il s’imposait, certes d’une courte tête, mais s’imposait néanmoins. Comme si les électeurs écologistes s’étaient dit à eux-mêmes : « Nous ne sommes pas complètement idiots. Nous avons bien compris que les primaires devaient servir à désigner le plus apte et celui susceptible de faire le meilleur score à l’élection présidentielle ».

Les Républicains, après s’être convertis tardivement à la primaire, ont suivi le même chemin. Les hommes d’appareil disaient, c’est Barnier qui va gagner. Il est resté fidèle, il est soutenu par les Fédérations. D’autres disaient, Ciotti sera dangereux, il est sur l’aile droite. C’est son électorat qui sera le plus mobilisé dans cette Primaire. À cela, les 115 000 votants ont répondu autre chose : « Nous voulons nous aussi le candidat susceptible de battre Emmanuel Macron. Ce n’est pas Michel Barnier, très mauvais dans ses prestations de campagne, ce n’est pas Ciotti trop extrême dans ses points de vue. Ce n’est pas non plus Xavier Bertrand qui s’était auto-investi un peu trop rapidement, avec un peu trop d’autosatisfaction et un registre finalement assez limité, plombé par ses communicants trop présents. Non finalement, nous militants choisissons Valérie Pécresse, femme, solide, manquant peut être un peu de charisme, mais on y croit ! ».

Ainsi, ceux qui ne croyaient pas aux primaires après l’expérience de 2016-2017 n’ont aujourd’hui que leurs yeux pour pleurer. A commencer par les Socialistes. Donnée à 3% dans les sondages, Anne Hidalgo et son fidèle soutien Olivier Faure se réveillent un peu groggy, et aimeraient que dans leurs souliers de Noël, le Père Noël leur amène une belle primaire citoyenne, populaire, avec plein de participants enthousiastes, alors qu’ils ont tout fait il y a quelques mois pour l’empêcher. Comment s’étonner dès lors que les portes se ferment, ne laissant comme échappatoire à Anne Hidalgo qu’un retrait en rase campagne en début d’année prochaine, qui ne sera pas très glorieux.

Est-ce à dire que les primaires ont désormais conquis leur place et qu’elles s’imposent désormais comme un mode de désignation des champions des partis face à un Président sortant qui entend se représenter ? Est-ce à dire que les électeurs sont aujourd’hui plus mûrs dans ce type de procédure pour faire les meilleurs choix et éviter les suicides collectifs du passé ? Rien n’est moins sûr. Tout est sans doute question de circonstances. On rappellera par ailleurs que dans le cas d’EELV et de LR, les participants sont restés en petit comité. Rien à voir avec les millions de participants de 2016.

Il reste que le Président Macron connaît maintenant une large partie de ses adversaires. Certains ont la légitimité de leur désignation par des primaires, d’autres se disputent la légitimité des idées d’extrême droite, les derniers à gauche continuent à se regarder le nombril et à quêter une légitimité hypothétique qu’ils aimeraient que le Père Noël leur amène… s’il existe…

Alexandre Medvedowsky
Alexandre Medvedowsky est un ancien élève de l’Ecole Nationale d’Administration (promotion Denis Diderot, 1984-1986). Magistrat au Conseil d’Etat à partir de 1986, il siège au cabinet de Laurent Fabius alors président de l’Assemblée Nationale de 1990 à 1992. De 1998 à 2001, il est professeur associé à l’Université d’Aix-Marseille III et enseigne à l’IEP de Paris jusqu’en 2006. Il a été conseiller des Bouches-du-Rhône de 1998 à mars 2015. Nommé conseiller d’Etat en juillet 2001, il rejoint ESL & Network Holding la même année et intègre le Directoire d’ESL & Network Holding, dont il est nommé président le 1er janvier 2013. Il a été élu président du SYNFIE, le syndicat français de l’intelligence économique en mai 2014.