Allemagne : lorsque des élections régionales donnent le la des élections générales de fin septembre prochain…

19.03.2021 - Regard d'expert

A six mois de l’échéance électorale législative globale allemande, la consultation régionale du 14 mars n’a concerné, avec le riche Bade-Würtemberg (3ème PIB d’Allemagne) couplé à l’humble Rhénanie-Palatinat (7ème PIB d’Allemagne), que deux des seize grandes régions que compte l’Allemagne.

Rien d’anodin à cela. Même si, au-delà des cercles experts, peu savent que, depuis la création de la République fédérale de Bonn, cette consultation portant sur le choix des députés du Bundestag, a été systématiquement révélatrice d’un climat politique anticipant significativement les grandes tendances de ce rendez-vous crucial, fixé au 26 septembre 2021. En effet, tout indique que ce sera une nouvelle fois le cas. Avec, pour ce qui est du Bade-Würtemberg, l’accentuation d’une performance déjà significative en 2017 : celle d’un parti vert (Die Grünen) qui, en remportant 32,6 % des suffrages, a su, une fois encore, faire la course en tête mettant les chrétiens-démocrates, autant que les sociaux-démocrates en situation de perte ou de stagnation, une véritable débâcle des partis installés. A cette débâcle, échappe seulement le parti libéral revigoré qui augmente son score à 10 % tout en restant toujours à la traîne de cette Allianz für Deutschlanddroitière qui, créditée de 15 % des voix en 2016, ne recueille cette fois que 9,7 % des suffrages. Stabilité également pour le Land de Rhénanie-Palatinat où les résultats des sociaux-démocrates et chrétiens-démocrates sont respectivement dotés de 36 % et 27 %.

Alors que, là encore, les verts passent de 5,3 % à 9,3 % des suffrages, l’AfD, quant à elle,régresse de 12,6 à 8,3 %. C’est ainsi que, sur l’ensemble de l’Allemagne, et bien que toujours en tête dans les relevés hebdomadaires des instituts de sondages, les chrétiens-démocrates historiques de Konrad Adenauer, Helmut Kohl ou Angela Merkel stagnent à 31,8 % après avoir traditionnellement flirté avec des niveaux de 40/50 %. C’est l’occasion pour les verts, en marquant dans cet espace sondeur une explosion de 10 % de se hisser à la deuxième place du tableau en totalisant 18,5 %. Les sociaux-démocrates y dégringolent quant à eux de 4,2 % pour se figer à 16,3 %. Alors même que l’AfD d’extrême-droite, en voie d’effritement sensible, accuse un recul significatif à 10,9 %. Quant au parti libéral, historiquement distingué comme un « faiseur de majorité » dans nombre de scrutins, il renoue avec une nouvelle crédibilité en atteignant la cote des 8,3 %. Depuis plusieurs législatures, qu’elles soient globales, régionales ou locales, la progression des verts ne faiblit en rien, tout au contraire. Une tendance qui, de toute évidence, tient plausiblement à la rémanence de ce fond panthéiste germanique qui, réveillé dans les années 1970 par un écolo-pacifisme militant d’inspiration peace and love alors à son summum, reste notablement sous-jacent dans l’inconscient collectif de nos voisins.

Initialement comparé à une pastèque à pelure verte, mais à coeur rouge vif, les verts allemands ne peuvent désormais plus être taxés de la sorte, ce qui les distingue singulièrement de leurs homologues latins et explique sensiblement leur percée dans l’opinion. Dans la cosmogonie des Grünen, il nous faut en effet savoir que les realos (« réalistes ») ont en effet, « gentrification » aidant, pris l’ascendant sur les fundis (« fondamentalistes ») d’antan. Un facteur qui, de facto, n’est pas sans effet sur l’évolution de la scène politique allemande dans son ensemble. Ce qui permet aux Grünen, contestataires radicaux anciennement incorrigibles, de s’offrir aujourd’hui des niveaux de suffrage qui, outre-Rhin, mordent sur l’électorat des anciens partis traditionnels sans sectarisme. Et ce, au titre d’un pragmatisme marquant une proximité décomplexée envers des sociaux-démocrates ou autres chrétiens- démocrates déçus d’eux-mêmes ou lassés d’être fustigés pour leur conservatisme résiduel par leurs jeunes filles et fils. Autre facteur d’étonnement : Armin Laschet, aujourd’hui président en titre du parti chrétien-démocrate, mais surtout candidat chancelier en campagne, n’échappe pas à ce type d’imprégnations, sinon attirances, issues de la galaxie verte. Ce catholique pratiquant n’a en effet pas manqué de lire attentivement Laudato Sii, l’encyclique du pape François publiée, en 2015, sur la protection de la nature. Non sans se revendiquer, dans un même temps, de cette ordolibéralisme, ou « économie sociale de marché », selon laquelle la mission économique de l’État est de créer et maintenir un cadre normatif permettant la concurrence libre et non faussée entre les entreprises. Son aura de ministre Président accessible et efficace de la Rhénanie du Nord/Wesphalie est un passeport commode, même si, d’ici l’échéance fatidique du 26 septembre prochain, il devra essuyer les assauts feutrés du redoutable tacticien qu’est, plus que jamais, son rival et homologue bavarois Markus Söder.

Pour envenimer le tout, s’ajoute, une joute fratricide de même nature déclenchée entre les numéros un, Christian Lindner, et deux, Volker Wissing, du parti libéral, rien de plus nuisible. Dès lors qu’il sera question de former une coalition avec une formation libérale qui, avec les 8 points qu’elle thésaurise, est toute désignée pour faire alliance et partager le pouvoir d’État. Qui plus est dans le cadre d’une alliance, dite jamaïcaine, conjuguant depuis le centre-droit, le noir des chrétiens-démocrates, le jaune des libéraux et le vert des écologistes. Dire que ce regain d’agitation politicienne favorise la gestion de l’actuelle pandémie serait mentir. Tout au contraire, en Allemagne comme en France et ailleurs, les responsables de la gestion de crise semblent débordés par les pannes en série, dont les retards de livraisons et autres doutes relatifs à la fiabilité intrinsèque des vaccins.

Ceci a pour effet de démonétiser les alertes, les actions et les prescriptions de Madame Merkel. Puisque, encore tranchées il y a peu de temps, celles-ci, sur un champ électoral de plus en plus confus, sont désormais de moins en moins audibles. Dans un contexte où, les « unes » de la presse allemande se sont focalisées sur les turpitudes de deux députés chrétiens-démocrates (parti de la chancelière) qui, lors de la pénurie de masques du premier confinement, avaient transformé leurs officines privées en filières de marché noir lucratif, ces mauvaises manières ne passent pas et vaudront aux coupables, afin d’éviter une campagne « tous pourris » d’une l’extrême droite aux aguets, un limogeage express tonitruant

Michel Meyer
Écrivain et journaliste, Michel Meyer a été correspondant en Allemagne pendant une quinzaine d’années au service de la télévision publique française, au point de devenir un des meilleurs connaisseurs de sa culture. Il devient ensuite directeur de l’information de Radio France, avant de participer à la création de France Info en 1987. Il a également publié plusieurs ouvrages, notamment son « Dictionnaire amoureux de l’Allemagne » aux éditions Plon, en 2019.