Quand ils se verront, Trump et Ben Salman parleront d’abord du pétrole… puis de la Palestine »

Comment expliquez-vous la dernière sortie de Donald Trump qui propose de « nettoyer » la bande de Gaza, c’est-à- dire d’expulser les Gazaouis vers la Cisjordanie et le Sinaï ?

Au vu de la nature du personnage, ce genre de déclarations n’est pas une surprise. A vrai dire, cela montre que Trump méconnait assez largement la situation dans la région. Au fond, il ne fait que se mettre dans les pas de son gendre, Jared Kuchner, qui en février 2024 lors d’une intervention à l’université de Harvard avait expliqué que la bande de Gaza était potentiellement « très précieuse » pour y construire des villas sur la côte… Pour ce faire, il suffisait qu’Israël expulse les personnes qui y résident. Comme son beau-père vient de le faire savoir, pour y parvenir, il suffirait d’envoyer les Gazaouis aussi bien en Jordanie qu’en Égypte. Dans un cas comme dans l’autre, il s’agirait en fait de mettre en place des sortes de Bantoustans (territoires délimités à une communauté au temps de l’apartheid en Afrique du Sud, NDLR) qui bénéficieraient d’une assistance économique des pays du Golfe, en pensant que cela sera suffisant. Mais une fois encore, outre le côté deal, le simplisme naturel de Trump démontre tout de même une certaine méconnaissance de la région.

Mais de telles déclarations ne risquent-elles pas de mettre un coup d’arrêt à des accords potentiels de reconnaissance entre l’Arabie Saoudite et Israël, dans le format proche des accord d’Abraham qui avaient permis, à l’initiative du même Donald Trump en 2020, le rapprochement du Maroc, des Emirats arabes unis, et de Bahreïn avec l’Etat hébreu ?

Si Trump n’a pas trop évolué en matière de diplomatie depuis son premier mandat, MBS lui a beaucoup appris au cours des 8 dernières années. Et il sait y faire aujourd’hui avec Donald Trump. Ce n’est pas pour rien qu’il a récemment annoncé que l’Arabie Saoudite était prête à investir 600 milliards de dollars aux Etats-Unis. Une méthode bien saoudienne basée sur des grandes promesses mais qui ne se concrétisent pas toujours. A vrai dire, MBS, qui a souhaité la victoire de Donald Trump, aimerait que la première visite du président américain à l’étranger se fasse en Arabie Saoudite. Et donc pour ce faire, il faut l’appâter. N’oublions pas que Riyad souhaite absolument signer un accord de sécurité avec Washington, qui d’ailleurs fait partie du deal envisagé dans la perspective de la reconnaissance d’Israël par l’Arabie Saoudite. MBS sait qu’aujourd’hui l’économie américaine est très dynamique, et qu’en termes de rentabilité c’est le meilleur endroit où investir actuellement. Dans le cadre d’un accord de sécurité MBS sait aussi que cela profitera à l’industrie de l’armement américain, qui est le lobby le plus influent aux États-Unis.

Mais pour ce faire, l’Arabie Saoudite ne pourra pas ignorer le problème palestinien…

Non, en effet, quand les deux hommes se verront, deux discussions majeures seront mises sur la table par MBS. D’abord le pétrole. Ensuite la Palestine. Deux sujets primordiaux pour MBS. Car si d’un côté, Trump dit qu’ il faut « forer, forer, forer » pour que le prix du pétrole baisse, côté saoudien en revanche, on a une interprétation inverse de la situation. Les pays du Golfe en général veulent au contraire maintenir le baril de brut à 90 dollars pour pouvoir continuer de financer leurs grands projets. Donc la discussion sera très serrée sur ce sujet. Car si Trump parle d’ « America first », MBS lui pense « Saudi first ». MBS a en outre une autre carte importante à jouer dans la discussion avec les Américains : la carte Chine.  Si les Etats-Unis ne veulent pas dealer quelque chose de correct avec les Saoudiens sur le plan du pétrole et trainent à signer sur un accord de sécurité, MBS, lui, peut très bien se tourner vers la Chine. Pékin est déjà le premier partenaire commercial de Riyad, et en cas de frein de la part de Washington, MBS n’hésitera pas à se rapprocher des Chinois.

Et la Palestine, et les accords d’Abraham ?

J’y viens. D’abord il ne faut pas parler de l’extension des accords d’Abraham avec l’Arabie Saoudite. Il s’agit d’un accord de reconnaissance d’Israël par l’Arabie saoudite. A l’heure actuelle, MBS a d’ores et déjà fait savoir qu’il était prêt à reconnaître l’Etat d’Israël mais à condition d’un geste significatif d’Israël envers les Palestiniens. Après le 7 octobre, le prince héritier a fait monter les enchères en disant publiquement : « nous sommes prêts à reconnaitre l’État d’ Israël, mais dans le contexte de la création d’un Etat palestinien ».

Maintenant on va voir si les deux protagonistes qui ne croient qu’aux deals vont trouver un terrain d’entente.

Les « envolées lyriques » de Trump sont pour l’instant une posture. Car bien évidemment, que ce soit du côté jordanien comme du côté égyptien, personne ne veut accueillir de réfugiés palestiniens, qui plus est avec le risque de voir arriver une population gangrénée par le Hamas. Il faudra donc bien qu’à un moment ou à un autre, l’aile droite de Netanyahou cède du terrain.

Avant la trêve à Gaza et le retour de Trump, l’administration Biden parlait de pouvoir donner le pouvoir au Fatah. Aujourd’hui les pays du Golfe veulent une nouvelle autorité palestinienne avec la mise en avant de personnalités qui font consensus en Palestine. Les Emiriens pourraient pousser quelqu’un comme Mohammed Dahlan, l es Saoudiens et les Qataris plutôt Marwan Barghouti qui est un symbole important de la résistance palestinienne et qui serait aussi un symbole de la réunion de la Cisjordanie et de Gaza. Le problème pour l’instant, c’est qu’une partie de l’extrême droite israélienne – fort influente – n’a pas complètement renoncé au projet du Grand Israël. Et c’est là où Donald Trump peut jouer un rôle important pour infléchir l’actuelle position du gouvernement Netanyahou.

Bertrand Besancenot
Bertrand Besancenot est Senior Advisor au sein d’ESL Rivington. Il a passé la majorité de sa carrière au Moyen-Orient en tant que diplomate français. Il est notamment nommé Ambassadeur de France au Qatar en 1998, puis Ambassadeur de France en Arabie Saoudite en 2007. En février 2017, il devient conseiller diplomatique de l’Etat puis, après l’élection d’Emmanuel Macron en tant que Président de la République, Émissaire du gouvernement du fait de ses connaissances du Moyen-Orient.