Élection présidentielle tunisienne : la fin de la parenthèse démocratique
L’élection présidentielle qui s’est tenue en Tunisie le 6 octobre s’est soldée par une victoire écrasante du Président sortant, Kaïs Saïed, qui l’a emporté dès le premier tour avec plus de 90% des suffrages exprimés.
Un tel résultat était attendu, faute de véritable concurrence. En l’absence des principaux leaders politiques, pour la plupart en prison, 14 candidats (sur 17) avaient vu leur candidature rejetée par l’instance en charge de l’organisation du scrutin, l’ISIE, et les deux seuls autorisés à participer (outre le Chef de l’État sortant) étaient deux personnalités largement inconnues du grand public tunisien. Le Conseil d’Etat, en charge du contentieux électoral, ayant fait droit au recours de certains candidats contre les décisions de l’ISIE, a vu ses compétences transférées à une autre juridiction et ses décisions annulées.
L’autre caractéristique de cette élection tient au faible taux de participation (27,7% officiellement), le plus bas depuis la Révolution de 2011 et la chute du régime du Président Ben Ali (par comparaison, la participation, lors du premier tour du précédent scrutin présidentiel de 2019, avait été de 49%).
Sitôt les résultats connus, ceux-ci ont suscité de vives critiques de la part de l’opposition, dont la plupart des partis avaient appelé au boycott du scrutin, qualifié de « simulacre » ou de « mascarade ».
Pour s’en tenir aux faits, tels qu’ils ressortent en tout cas des chiffres officiels, ces résultats appellent deux commentaires :
1- Le faible taux de participation illustre d’abord, et principalement, la désaffection d’une grande partie de l’électorat tunisien à l’égard d’une élection considérée – à juste titre – comme jouée d’avance. Il témoigne aussi de sa défiance envers un système politique qui lui apparaît déconnecté des réalités, et d’une classe politique perçue comme largement corrompue et incompétente. Il traduit enfin une absence d’adhésion – voire une franche hostilité – de la part d’une fraction (difficile à quantifier) de cet électorat vis à vis du «projet» porté par le Président Kaïs Saïed, dont le principal effet, jusqu’à présent, a été la remise en cause de la totalité des acquis démocratiques de la Révolution de 2011, sans aucune perspective d’amélioration de la situation économique et sociale (qui s’est au contraire sensiblement dégradée).
2- A contrario, le résultat du Président Saïed montre que celui-ci conserve, dans l’électorat tunisien, un socle de soutien non négligeable (on peut l’estimer autour de 20%). En dépit de la dérive autoritaire à l’œuvre depuis deux ans et de la dégradation accélérée de la situation économique et sociale, son discours aux accents populistes, nationalistes et complotistes, continue de porter, notamment auprès des jeunes et des classes populaires.
Sa mise en cause systématique des élites (toutes catégories confondues), accusées d’avoir «pillé le pays» lors de la décennie précédente et d’être «vendues à l’étranger», trouve encore un écho favorable auprès d’une frange de la population qui considère que les promesses de la Révolution ont été trahies et que le redressement passe par la dissolution de toutes les institutions mises en place depuis 2011 et la mise à l’écart de tous ceux qu’elle juge responsables de l’état actuel de déliquescence du pays.
En définitive, cette élection marque incontestablement la fin de la parenthèse démocratique ouverte par les Tunisiens en 2011. La « Révolution du jasmin » n’est plus qu’un lointain souvenir. La Tunisie renoue avec un système politique qu’elle a déjà expérimenté par le passé, à savoir la concentration de tous les pouvoirs entre les mains d’un seul homme.
Au-delà de sa dimension institutionnelle et politique, il reste à démontrer que ce modèle est viable, en l’absence de tout projet économique cohérent susceptible de répondre, dans la durée, aux attentes de la grande majorité des Tunisiens. Le dialogue avec le FMI est quasiment rompu depuis plus d’un an. Aucune des réformes indispensables pour relancer l’économie et redresser l’état très dégradé des finances publiques n’a jusqu’à présent été engagée. Si l’Etat a pu jusqu’ici, en recourant à différents expédients, éviter le pire, la situation demeure extrêmement précaire et à la merci de tout nouveau choc extérieur qui se traduirait par une flambée des prix des hydrocarbures ou des produits alimentaires de base (céréales notamment), que le pays importe massivement pour pourvoir à ses besoins. Quant à la population, elle fait preuve, pour l’heure, d’une grande résilience face à la montée de l’inflation, aux pénuries de produits de base, à l’augmentation du chômage, notamment chez les jeunes, et du taux de pauvreté. Mais pour combien de temps ?